L'influence de Paris, la suite de l'histoire du tango de par le monde

=► 7.  Le tango aux Etats-Unis

=► 8.  Le tango au Japon

=► 9.  Le tango en Turquie

=► 10.  Le tango en Russie

=► 11.  Le tango en Chine

=► 12.  Australie / Nouvelle-Zélande

=► 13. Conclusion - Bibliographie

=► Pour l'extension du tango en Europe à partir de Paris (N° 1,2,3,4,5 et 6) : cliquez

7. Le tango aux Etats-Unis

Il paraitrait que Ovidio José Blanquet "El Cachafaz" ait passé deux ans, entre 1911 et 1913 aux Etats-Unis, mais il ne reste aucune trace de ce qu'il y fit,  ni d'un éventuel début du tango là-bas. C'est en 1914 que le tango fait fureur, d'autant que nombre d'américains résidants à Paris et connaissant ou pratiquant le tango, musiciens compris, se rapatrièrent dans leur pays pour fuir la guerre qui allait commencer. Parmi les musiciens on notera Celestino Ferrer, et parmi les danseurs, le célèbre Casimiro Ain, venue lui-aussi se réfugier à New-York au début du conflit.

Les débuts du tango furent difficiles aux Etats-Unis : imaginez une "danse de zoulous"... Mais en 1914, le tango arriva à s'imposer, malgré les obstacles et fait rage dans le pays. Bien sur il y a toujours les "pro" et les "anti" comme partout dans le monde lors de son arrivée. Parmi ces derniers se trouvait, comme on pouvait s'y attendre, la New York's Catholic Church avec le Cardinal Farley, archevêque de New-York, à la tête de la croisade.

Mais le tango triompha. A qui dut-il cette victoire ?

tango maurice mouvetParlons d'abord d'un personnage qui assura la transition entre la danse parisienne et le tango aux USA, il s'agit de Maurice Mouvet. Né à New-York de parents belges, il arrive tout jeune, à 15 ans, à Paris en 1903. Passionné par la danse, discipline dans laquelle il veut faire carrière, il débute comme danseur de gigues, valses et mazurkas. En 1907, il apprend la " Danse Apache ", en compagnie de Max Dearly qui la rendit célèbre avec Mistinguett, danse dont il aurait fait une démonstration devant le roi Edouard VII.

le tango de maurice mouvet En 1910, toujours à Paris, il se met sérieusement au tango, qu'il va ramener en 1911 aux Etats-Unis. Il l'aurait appris auprès de jeunes argentins qui fréquentaient Maxim's et l'aurait dansé pour la première fois au Café des Ambassadeurs, le bar mythique de l'hôtel Crillon... Mais Maurice Mouvet était connu comme extrêmement arrogant et prétentieux, ce qui peut laisser planer quelques doutes sur ses souvenirs et affirmations...

 A New-York il rencontrera tout d'abord Osvaldo Fresedo et en 1916, Francisco Canaro.

En 1914 il éditera " The tango and the new dances for ballroom and home ", et en 1915, " Art of Dancing " où il évoquera le tango à Paris. Sa première partenaire, Léona, étant malheureusement décédée, avec sa nouvelle,  Florence Walton qu'il avait épousé en 1911, il participa aux comédies musicales " The Pink Lady " et " Over the River ".

Leur union dans la vie et dans la danse, durera jusqu'en 1920.

Quelques extraits de son ouvrage de référence Maurice's Art of Dancing. Cliquez sur les imagettes pour les agrandir

Mais il n'était pas le seul à revenir de France, et très vite une sérieuse concurrence s'instaura avec un autre couple au nom resté célèbre dans l'histoire de la danse aux Etats-Unis, et également du cinéma : Les Castles.

Irène et Vernon CastleVernon, de son vrai nom William Vernon Blyth, est arrivé d'Angleterre en 1906, à l'âge de 19 ans. Il se marie en 1911 avec Irène, une New-Yorkaise, fait quelques spectacles de danse, et décide avec sa femme de partir pour Paris. Ils y popularisent les danses à la mode américaines, le Fox-trot, déjà connu, le Turkey-trot (la marche du Dindon), et le Grizzly Bear (la danse de l'Ours), et apprennent le tango. Très vite, ils deviennent extrêmement populaires à Paris, dansent au prestigieux Café de Paris, 39 avenue de l'Opéra, où ils rencontrent Maurice Mouvet. Déjà s'instaura une solide concurrence entre les deux couples, et Maurice Mouvet intrigua auprès du propriétaire des lieux, Louis Barrya, pour être le seul à pouvoir offrir sa prestation de danse dans ce lieu de référence. Mais les Castle surent s'imposer. 

A noter que le Café de Paris, qui fit des émules partout dans le monde, New-York compris, était le lieu de rendez-vous des jeunes argentins fortunés de passage dans la capitale. Maurice Mouvet, comme Vernon Castle, purent ainsi se familiariser avec le tango et l'apprendre. Les argentins purent, de leur côté, se familiariser avec la Danse Apache de Maurice Mouvet, le Fox-trot et les rythmes ragtime des Castle... et, les voyageurs suivants purent apprécier les débuts des deux couples en tango parisien, et les évolutions parisiennes apportées.

Sans nul doute, que ces argentins suivants, ramenèrent tout ceci en tant que mode en vigueur en France, lors de leur retour dans leur pays, parfait exemple du chassé-croisé culturel entre les deux continents : les premiers initient Paris au tango, les seconds ramènent chez eux un tango modifié et plus acceptable. Ci-dessous le splendide Café de Paris, en 1920, aujourd'hui remplacé à l'angle par une horrible chocolaterie, la magnifique porte ayant été détruite, les cariatides enlevées, et sur le côté, salle et terrasse remplacées par l'entrée de l'hôtel Edouard 7, et la façade triste et sans âme de son restaurant...

cariatide entrée café de paris  Café de Paris  cariatide entrée café de paris

Carte postale collection D. Lescarret, entourée des deux cariatides de la porte d'entrée, visibles au Musée Carnavalet à Paris

Cette gloire acquise à Paris, permettra aux Castle, de rentrer aux Etats-Unis précédés d'une réputation flatteuse. Il y importeront le tango, en fait le tango qu'ils avaient appris à Paris.

book modern dancing by the castleCe qui allait devenir le "Tango américain" ne subira par la suite que peu d'influences de la part de l'Argentine et des évolutions qui suivirent dans la manière de danser, et on peut considérer qu'à quelques détails près, ce fameux "tango américain" qui inonde les films made in Hollywood, est une photographie relativement fidèle de ce qui se dansait à Paris à l'époque. Les Castle, installés dans la gloire publièrent un livre d'apprentissage de référence : "Modern Dancing" en 1914. On y trouve tous les pas et figures des danses à la mode, de la "Castle walk", et son petit saut arrière caractéristique, des One-step, Maxixe, Tango, etc...

Un film retrace la vie d'Irène et Vernon Castle, ceux-ci étant joués par Fred Astaire et Ginger Rogers. Il y est bien mentionné que ceux sont eux qui ont ramené le tango aux Etats-Unis. La présentation de cette danse est quelque peu... "originale", costume compris, mélangeant le tango espagnol et le tango argentin, et sans doute assez loin de ce que les premiers porteños lui avaient appris. Dans le film les Castle exécutent leur premier numéro de danse au Café de Paris début 1912 sur une musique de "Too much mustard" (la Très moutarde) jouée par un orchestre de typiquement jazz, type d'orchestre n'apparaissant en France qu'en 1914...

En fait la "Très moutarde", inventée par Cecil Maclin, était considérée comme un One-step, un Turkey-trot, ou un tango. A noter : l'auteur de ce site, n'a pas trouvé la moindre trace du fait qu'Irene et Vernon Castle, aient pu faire des claquettes... Enfin un peu de racisme, affiché à l'époque, anima la production, l'ami fidèle des Castle était noir, mais au cinéma, malgré les protestations d'Irène, on imposa un blanc... Ci-dessous un extrait de ce film " The Story of Vernon and Irene Castle ", sorti en 1939, et diffusé en France sous le titre de " La grande farandole " où la " Très moutarde " a été accélérée par Vernon, sans doute un des ancêtres du Quick Step actuel, en fait du Fox-trot en vitesse rapide, de la Danse Sportive.

         

Quelques remarques sur la façon de danser : dans la séquence qui précède on notera la position "shadow" (femme de dos par rapport au cavalier, une des positions typiques de la Maxixe), que l'on utilise encore lors de shows de Tango ou de Valse Argentine. Autre technique employée en show de tango, Palanca, un saut de la cavalière, propulsée vers le haut, par le lever de la jambe pliée du cavalier. Dans la séquence ci-dessous, on notera également les ressemblances entre les techniques de la Maxixe et certaines techniques de la Milonga d'aujourd'hui, remarquant le travail du talon du cavalier, secondes 9 et 10.

         

On notera dans le livre des Castle quelques remarques intéressantes : " ... Take your lessons, si possible, from some one who has danced professionally in Paris, because they are so many good dancers there, that anybody who can dance the Tango (and get paid for it) in paris, must really be a good dancer. " Paris est la référence.

Ci-dessous quelques extraits de la partie tango du livre des Castle. Cliquez sur les images pour agrandir

vernon castle - modern dancing  vernon castle - modern dancing  vernon castle - modern dancing  vernon castle - modern dancing  vernon castle - modern dancing  vernon castle - modern dancing

Autre citation sur l'apprentissage : " The most important thing about the Tango is its tempo. You must before you can dance at all, understand and appreciate the music ". Toujours valable aujourd'hui... et parfois un peu oublié...

Un danseur, qui avait fait les beaux jours de Paris, Casimiro Ain, allait lui aussi arriver aux Etats-Unis, en 1913, où il ouvre une académie de danse. Avant lui, El Cachavaz, de son vrai nom Ovidio José Bianquet était venu à new-York, où il serait resté une ou deux années, sans qu'il ne subsiste la moindre de trace de son activité. Mais la concurrence est très rude, les Castle occupant le marché, l'accueil plutôt hostile, et la barrière de la langue difficile à franchir.

thé-tango hôtel Mc AlpinAinsi le musicien Celestino Ferrer dut pour survivre travailler comme... vendeur de bonbons, et le bandéoniste Carlos Güerino Filipotto comme laveur de voitures. Pour diminuer les frais ils partagèrent leur logement avec un jeune italien surnommé " El Tano " du fait de son origine, mais que le monde entier connaitra plus tard son le nom de Rudolf Valentino.

Malgré tout le tango arrive à s'imposer, et là aussi, comme dans d'autres pays du monde, on copie ce qui se passe à Paris. ainsi on voit fleurir des établissements aux nom parisiens comme le " Sans Souci " ou le " Café de Paris ", et la mode des thés tango fait fureur... même si la " Castle Walk ", et les rythmes jazzy, ont la préférence du public. Ci-contre, à gauche, l'hôtel Mc Alpin, aux alentours de 1917, un des hauts lieux des thés tango new-yorkais de l'époque (image tiré de l'ouvrage The Tango in the United States, de Carlos G. Groppa 1931).

En 1914, le tango s'est définitivement imposé. Georges Gershwing's débute sa carrière cette année là en jouant un tango de sa composition pour son premier concert, dix ans avant de devenir mondialement célèbre avec " Rhapsody in blues ", mélangeant jazz et musique classique.

rudolph vanlentinoRudolph Valentino. Un jeune italien, né à Castenallita, émigre en 1912, dès l'âge de 18 ans, à Paris. En 1913 il part pour New-York, où il survit grâce à de petits boulots. Un jour il est engagé comme danseur professionnel par un restaurateur qui connaissait les Castle. Ayant rencontré un acteur professionnel, il part avec lui pour Los Angeles où il obtient quelques petits rôles dans une douzaine de productions de cinéma, lequel était alors encore muet.

Sa gloire arrive avec son premier véritable grand rôle dans les " Quatre cavaliers de l'Apocalypse ". Il y exécute un tango, mélange de tango parisien et de fox-trot, qui fait le tour du monde. Très probablement c'est Casimiro Ain, de retour de Paris, qui lui avait appris le tango lors de leur collocation à New-York.

Un  film lui sera consacré en 1977, retraçant sa vie et évoquant quelques aspects un peu trouble de sa arrière, notamment en tant que gigolo, et le côté choquant de sa probable bisexualité... Son rôle est interprété par Rudolf Noureev qui littéralement crève l'écran, secondé par Leslie Caron, elle aussi magnifique. A voir et à revoir ! A noter que la musique choisie pour le second extrait, est la Cumparsita, qui précédera un one-step puis un fox-trot.

Juan Carlos CobiánJuan Carlos Cobián. C'est le grand rénovateur du tango, un de ceux qui l'ont fait évoluer vers de nouveaux horizons. Après des débuts en Argentine  avec osvaldo fresedo et la formation d'un premier orchestre, avec en particulier Pedro Maffia et Luis Petrucelli aux bandonéons, et Julio De Caro au violon, il tombe amoureux d'une jeune américaine et part pour New-York, en 1923.

Il va y rester cinq années, jouant suivant les circonstances, tango et jazz. C'est là qu'il rencontre notamment Rudolph Valentino, et compose pour lui plusieurs morceaux. C'est également aux Etats-Unis qu'il composa la première version d'un de ses plus célèbres morceaux, Nostalgias, la version chantée sur des paroles d'Enrique Cadicamo, étant inaugurée en 1936, et enregistrée par l'orchestre de Charlo.

Hippodrome cortez and peggy et juan carlos cobian Il rencontre également un couple de danseurs de tango, Cortez and Peggy, avec lesquels il travaillera, en particulier à l'Hippodrome Theater.

Il jouera dans l'hôtel Alpine, dont la photo est en illustration plus haut, mais également dans le tout nouveau, à l'époque en 1929, Ciro's, réplique (agrandie) de celui de Paris ; et toujours en compagnie de Cortez and Peggy.

Il repart aux Etats-Unis en 1937 et y restera jusqu'en 1943. Créateur du style " tango romance ", nul doute que son influence fut grande, au plan musical, en Amérique.

En dehors du tango en lui-même, la musique portègne influença James Reese Europe, le jazzman qui avait amené le New-Orleans en France en 1914. Il influencera également Scott Jopling, plus connu comme étant le spécialiste incontesté du Ragtime, et célèbre pour sa musique " The entertainer ", qui s'essaya sur un tango " Solace ", adoptant le rythme de la habanera pour la circonstance 'détail de la partition ci-contre), et Xavier Cugat , le Roi de la rumba", qui joua et enregistra plusieurs tangos.

Mais si la musique a été relativement bien acceptée aux USA, il n'en fut point la même chose en ce qui concerne la danse. Après la "rage tango" des tout débuts, la danse a été peu à peu abandonnée. Ce désamour est expliqué par nombre de commentateurs par le fait que les américains du nord ont beaucoup de mal à comprendre et ressentir les émotions suscitées par les musiques et danses d'Amérique du Sud. " Pour aimer et comprendre le tango, il faut être Argentin, Latin ou Slave " . Ndla : Je rajouterais que les japonais s'en sortent très bien, initialement en musique et aujourd'hui en danse.

Par contre les américains, toujours friands de cinéma et de grands spectacles apprécièrent Carlos Gardel quand il tourna dans les studios new-yorkais de la Paramount en 1934 et les deux années suivantes. Ils firent de même, un véritable triomphe à Broadway, à la célèbre Revue Tango Argentino, qui relança le tango à travers le monde au début des années 80.

Aujourd'hui, c'est Gustavo Naveira lui-même, le grand rénovateur du tango argentin du début des années 90, qui relance aux Etats-Unis un tango de très haute qualité. Ayant installé son studio à Boulder, dans le Colorado, il rayonne à travers les Etats-Unis, et toujours de par le monde, souvent en Italie et en Sicile où le niveau des danseurs est excellent.

8. Le tango au Japon

On oubliera vite la théorie quelque peu fantaisiste, prétendant que le tango serait arrivé là-bas lors d'une soirée donnée à l'hôtel Oriental de Yokohama, en 1906, soirée animée par l'orchestre de la Sarmiento (!). Bien évidemment par le moindre rapport officiel, pas la moindre notification, pas la moindre information journalistique, pas la moindre preuve historique de ce soi-disant évènement, comme avec l'arrivée imaginaire de la Sarmiento, à Marseille cette même année.

Plus sérieusement, ainsi qu'il est relaté dans l'excellent ouvrage " Tango nomade ", supervisé par Ramón Pelinski, ce serait bien à Yokohama, au Grand Hôtel, que pour la première fois un tango fut dansé au Japon, mais le 20 mai 1914. C'est le couple Thomas Lector et Dorothy Smaller qui le dansa, au grand étonnement des japonais, un critique concluant dans le journal Ongakukai de juillet : " On peut plus largement qualifier le tango de gymnastique. Ses sauts rapides et ses mouvements agiles ne sont pas appropriés aux femmes japonaises. " C'était mal parti...

Pourtant le 13 décembre 1914, un japonais, Tarôjaka Massuda, le danse dans le Théâtre Impérial de Tokyo. Il faudra attendre 1921, pour que Banri Hirano, revenant de Paris, organise le premier cours consacré à cette danse, et en 1928, le tango apparait dans un livre "pour apprendre à danser par soi-même". Juste un peu avant le Baron Megata, qui avait appris à danser dans le cabaret " El Garron ", s'employa à diffuser le tango dans son pays, publiant lui-aussi un manuel d'apprentissage du tango, et enseignant la discipline à ses élèves. Le premier livre de ce type entièrement consacré à l'apprentissage du tango, écrit par Junzaburô Mori, un élève du Baron Megata, apparaitra ainsi en 1930.

On disait du Baron Megata, dans le journal Modern Dance de 1938 : " ...il danse d'une manière très en douceur... Comme s'il glissait sur du verre... ", par opposition à l'école anglaise, elle très mécanisée.


El barón Megata, en el año veinte
Se tomaba el buque con rumbo a París
Y allí, entre los tangos y el "dolce far niente"
El japonesito se hizo bailarín
Flaco y bien plantado. Pinta milonguera
De empilche a lo duque, aun siendo barón
Bailó con Pizarro, y una primavera
Empacó los discos y volvió a Japón

Y así llevó el tango
A tierra nipona
Donde gratarola
Lo enseñó a bailar
Cuentan que Megata
No cobraba un mango
Por amor al tango
Y por ser bacán

No sólo enseñaba cortes y quebradas
También daba clases de hombría de bien;
Junaba de noches y de madrugadas
Piloteaba aviones y más de un beguén
Y tal vez ahora, que está aquí presente
Mientras una Sony nos pasa "Chiqué"
Alguien, allá en Tokio, elegantemente
Baile a lo Megata sin saber quién fue


Baron Megata, en l'année vingt
par un navire a été emmené à Paris
Et là, entre tangos et "dolce farniente"
Le petit japonais est devenu danseur
Mince et bien planté. De style milonguero
Habillé comme un duc, et même un baron
Il a dansé avec Pizarro, et un printemps
il emballa ses disques et retourna au Japon

Et c'est ainsi que le tango a pris
En terre japonaise
Où il fut accueilli
Et qu'on appris à le danser
Ils disent que Megata
Ne gagna pas le moindre argent
Pour l'amour du tango
Et juste pour le plaisir

Non seulement il enseigna cortes et quebradas
Il donna aussi des cours de bonne moralité;
Attentif la nuit et tôt le matin
Il pilotait des avions et ce n'était pas un caprice
Et peut-être que maintenant, ici, aujourd'hui
Pendant qu'un disque Sony nous passe "Chiqué"
Quelqu'un, là-bas à Tokyo, élégamment
Danse sur le tango Megata sans savoir qui c'était


En 1981, Edmundo Rivero, écrit le tango " A lo Megata ", en hommage au baron. Les paroles sont de Luis Alposta. Joué pour la première fois au japon en 1982, il fut enregistré en 1983 avec Leopoldo Federico, et le bandéoniste japonais Yoshinori Yoneyama. Vous pouvez l'écouter ici, interprété par l'orchestre de Jose Colangelo et du célèbre chanteur Ikuo Abo.

En fait, le tango instrumental arrivera vers 1932.

Cette année-là, deux orchestres allaient se consacrer avec succès au tango au Japon : le " Montmartre Tango Ensemble " (traduction généralement adoptée) et le " Moulin Rouge Orquestra " composé de musiciens français. A noter que Kiyoshi Sakurai, qui avait séjourné à Buenos Aires, second violon dans le premier orchestre, accompagna le second lors de son retour à Paris pour jouer à El Garron, et devint le principal chef d'orchestre au Japon dans la période d'avant la guerre de 40 (mais il faudra attendre 1954, pour que le premier orchestre argentin, celui de Juan Canaro, joue sur le sol nippon).

film tango japonPar la suite de nombreux musiciens japonais sont partis se former directement en Argentine, et depuis cette époque le tango a connu, et connait encore aujourd'hui au Japon, le même succès qu'en Europe, et sinon plus. D'ailleurs, tous les touristes qui se sont rendus à Buenos Aires durant le mois d'Aout, ont pu y voir de nombreux japonais et japonaises sur les pistes de danse dans toutes les milongas, généralement de bons, voire de très bons danseurs.

Un film retrace les lendemains de la défaite de 1945, et ses conséquences sur les aristocrates japonais qui perdirent tout... sauf le tango : Anjô-Ke no Butôkai, de Kôzaburô Yoshimura, tourné en 1947 au Japon, et diffusé seulement en 2005 aux Etats-Unis. Vous pouvez en voir un extrait sur la page 4 de la filmographie de ce site. On remarquera durant la séquence proposée, la fameuse " promenade parisienne " en vogue à l'époque au Japon (école française au style coulé, par opposition à l'école anglaise, beaucoup plus mécanisée), promenade toujours pratiquée aujourd'hui aux Etats-Unis, et figurant dans de nombreux films américains.

L'interdiction du jazz au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale avait donné un regain de popularité au tango au lendemain de la guerre. Dans les années 1950, une bonne vingtaine d'orchestres officiaient dans le pays, une grande partie des musiciens ayant été formés sur place. Le plus populaire était l'Orchestra Típica Tokyo dirigé par Shimpei Hayakawa. Le premier orchestre argentin à jouer au Japon fut celui dirigé par Juan Canaro (1954). Les grands orchestres argentins ont rapidement effectué des tournées dans le pays, comme ceux dirigés par Osvaldo Pugliese et Francisco Canaro.

Un extrait de Canaro en Japón, Cadena de tango, enregistré en 1961 à Tokyo, une "chaine de tangos aussi inventive qu'étonnante, et agréable à écouter

Après que la Revue Tango Argentino ait relancé le tango dans le monde c'est un des couples du spectacle, Carlos et Marίa Rivarola, qui s'envolèrent pour le Japon en 1988, et devinrent le fer de lance de l'enseignement du tango dansé dans l'archipel. Ils publièrent d'ailleurs, une méthode d'apprentissage rédigée totalement en japonais.

Pour finir écoutons un des morceaux interprété par l'Orquesta Tipica Sakamoto et l'étonnante interprétation de Nostalgias par son chanteur japonais, interprétation qui surprend encore aujourd'hui les danseurs dans les milongas ; morceau extrait de la petite collection de vinyl de l'auteur de ce site, et numérisée (comme il a pu) par lui-même :

Et c'est sans doute parce que le niveau atteint par les japonais devait susciter l'incrédulité que le chanteur Ikuo Abo, avait interprété " En Esta Tarde Gris ", de Mariano Mores, letra de José María Contursi, revêtu d'un kimono traditionnel...

Ci-dessus, un des vinyls de la collection D. Lescarret

9. Le tango en Turquie

Le 24 juillet 1923, le traité de Lausanne, fonde la Turquie d'aujourd'hui sur les restes de l'Empire Ottoman. Le Commandant en chef des forces turques Moustafa Kemal, surnommé "Ghazi", le victorieux, devient le chef d'un état qu'il veut moderne et tourné vers l'Occident. Il remplace l'alphabet arabe par l'alphabet latin, donne le droit de vote aux femmes (en 1934, seulement 10 ans plus tard en France...) et instaure un état laïque. Mustafa Kemal Atatürk restera président de la nouvelle Turquie jusqu'en 1938, année durant laquelle il mourut prématurément d'une cirrhose du foie.

Vingt ans plus tôt, en 1918, il avait passé plusieurs mois à Vienne, en Autriche. C'est peut-être là qu'il entendit parler du tango. Mais il savait déjà danser la Valse et la Polka, apprises dans sa jeunesse, lors de séjours à Salonique, et parlait d'autre part, parfaitement français. Autre hypothèse, c'est par son épouse, Latife Uşşaki, qui avait fait ses études à Paris, à la Sorbonne, que le tango lui avait été apporté... On le voit ci-dessous, dans une photo d'anthologie, en train de danser un tango, tango que l'on entendait à l'époque dans toutes les cérémonies d'ouverture de mariage : la Cumparsita y était jouée. Mentionnons quand même que certains prétendent que sur cette photo, Mustafa Kemal ne dansait pas un tango, mais une valse... Allez savoir... Mais la majorité des historiens s'accorde au moins à dire qu'il savait danser le tango.

Mais comment le tango était-il arrivé initialement en Turquie ? Dès 1900, les disques pour gramophone, appareil nouvellement inventé, ont commencé à être diffusés en Turquie. Concernant le tango, ils venaient de France et d'Argentine, à partir de 1910 et c'est d'abord la musique qui pénétra le pays. Imaginez, avant Mustafa Kemal, les hommes et les femmes non mariés, n'avaient même pas le droit de se toucher ! Le tango fut à la fois la découverte d'un divertissement dans une société où la notion de bal populaire, était inconnue, mais aussi un instrument politique, marquant une rupture totale avec la tradition concernant la place des femmes. Dans cette optique, le pouvoir insista pour instaurer des bals à l'occasion des grandes fêtes nationales, mais fit également en sorte que, dans le tango particulièrement les femmes soient mise en valeur.

La première d'entre-elles qui rentra dans l'histoire fut Seyyan Hanim (en photo ci-dessous), qui interpréta en 1932, un tango écrit quatre ans plus tôt par Necip Celal Andel. C'est le premier véritable tango turc, écrit par un turc et chanté par une jeune élève du conservatoire d'Istanbul. Presque à la même date, en 1930, une autre jeune artiste au nom presque identique, Afife Hanim, formée au conservatoire de Paris, interprète des Fox-trot et le tout nouveau Charleston, ainsi que des tangos. Les trois plus connus furent  Gül Tango, Şivekar et Sevda, composés par des musiciens européens, avec des paroles en turc.

Une anecdote : en 1991, le célèbre orchestre argentin Raoul Garello, parolier de tango et président de l'Académie Nationale Argentine de tango Horacio Ferrer est venu dans notre pays. Après leur concert à Ankara, ils ont donné quatre concerts à Istanbul. A cette occasion, lors de l'avant-dernier concert, on leur avait remis les notes d'un tango de composition turque, et lors de leur dernier concert deux jours plus tard, un tout nouvel arrangement de ce tango, avec et paroles en espagnol, était prêt. C'était Özleiştango de Necip Celal, qui commençait par les mots célèbres "J'ai aimé une jeune femme". A noter qu'Horacio Ferrer, lui-même et bien auparavant, avait adapté en espagnol le tango "Mazi".

Depuis son introduction dans le pays, le tango turc s'est développé, et a trouvé son identité propre : très peu de tango instrumental, beaucoup d'interprètes féminines, des musiciens d'anthologie comme Orhan Avşar, bandonéoniste et fondateur de son orchestre Tipik Orkestrak, le premier orchestre officiellement turc et diffusé sur la radio d'Istanbul. Depuis de nombreux orchestres comme Band-o-neon, Tang-Esta, Tango+, ont pris la suite, les musiciens se formant sur place et faisant de fréquents voyages en Argentine.

Aujourd'hui les musiciens sont excellents, les anciens tangos réenregistrés, et les danseurs et enseignants de très bon niveau.

Istanbul, avec ses milongas et festivals internationaux, est une place du tango particulièrement renommée.

10. Le tango en Russie

Le tango va arriver très vite en Russie, principalement à St Petersburg et à Moscou, mais surtout dans cette ville. Cela pourrait paraitre surprenant vu la distance de ces contrées par rapport à Paris, mais il faut se rappeler qu'à l'époque, la Russie était très francophile et vice-versa. En effet si l'extraordinaire Exposition Universelle avait attiré les premiers argentins habitués de la capitale, de nombreux aristocrates russes étaient les bienvenus à Paris, ville qu'ils affectionnaient. Cette amitié franco-russe, allait être consacrée, lors de cette exposition, par l'inauguration d'un des plus beaux ponts de Paris, le pont Alexandre III, nom du tsar de Russie ayant régné entre 1845 et 1894. La Russie était alors notre alliée, alliance militaire, économique et culturelle officialisée par le traité de 1891. Diverses festivités officielles ou populaires avaient marqué ce rapprochement, comme la visite en 1892, de la flotte de guerre française à Kronstadt, port militaire de St Petersburg, et en retour celle de la flotte russe à Toulon l'année suivante ; la grande fête franco-russe organisée sur le Champ de Mars en 1893 ; les visites du Tzar en France en 1896 et 1901.

Le pont Alexandre III lors de son inauguration en 1900 - image Wikipedia

C'est Nicolas II, fortement attiré par toutes les nouveautés, qui autorisa que le tango soit dansé au Palais d'Hiver, dès 1911. On raconte qu'une démonstration avait été organisée pour lui présenter le tango, et qu'il avait été enthousiasmé. En 1914, l'acteur de théâtre et chanteur Alexander Vertinsky présente une petite pièce comique baptisée " Tango ". Il allait devenir une des plus grands chanteurs russes concernant cette musique.

En fait, de nombreux notables russes fréquentaient Montmartre avant la guerre de 14, dont la princesse Anastasia Mikhaïlovna, nièce du Tsar de Russie, qui, quoique très mauvaise danseuse, avait pris quelques cours avec les Castle, et fréquentait assidument les bals. A noter qu'elle, sa famille et d'autres princes avaient des résidences à Cannes et à Eze, tout près de Nice. Ensuite il y eut d'autres, véritables ou faux princes, qui firent les beaux jours de Paris, à partir de 1920, ayant fuit la révolution de 1917 dans leur pays.

Comme explicité sur la page concernant les Années Folles, les russes fortunés fréquentaient les bars, restaurants et dancing huppés de Montmartre, mais une toute autre catégorie de cette population immigrée ou réfugiée, allaient influencer la musique à Paris : les orchestres russes et les musiciens tziganes... ces derniers officiant dans tous les types de musique y compris dans les orchestres de tango. Les cultures ne restent jamais bien longtemps hermétiques, à leurs influences réciproques...

Un film russe, réalisé par Evgueny Bauer, met le tango à l'honneur, dès 1914 : Ditya Bolshogo Goroda, titre français, l'enfant dans la grande ville. Sur les deux séquences ci-dessous, on voit nettement la fameuse " promenade " caractéristique du tango de Paris, ainsi que l'exécution dans le style de l'époque des traditionnels ochos adelante. Là encore, Tango et Maxixe se mélangent allègrement. Bien entendu, il s'agit d'un film muet et la musique de fond a été ajoutée postérieurement.

         

Malgré la révolution, dans les premières années du pouvoir soviétique, l'État avait toléré le tango qui avait progressivement envahi des couches plus populaires que celles initiales. Cela n'allait guère durer, le Comité scientifique et technique du Conseil suprême de la culture physique (il fallait l'inventer !) crée une commission qui doit déterminer quelles danses doivent être soit recommandées aux citoyens et à la jeunesse soviétiques, soit interdites : le 23 octobre 1926, le plénum de ce Conseil suprême interdit la danse argentine par décret, et le fox-trot par la même occasion. La musique restait autorisée.

La " romance " du tango entre la Russie et Paris passait parfois par d'autres " romances ". Ainsi, dans les années 30, Oskar Strok, pianiste et compositeur de quelques tangos, quittait sa Russie natale pour suivre une belle jusqu'à Paris, où il restera jusqu'à la fin de leur histoire, avant de retourner dans son pays. Ainsi vont parfois les échanges culturels... avec son ami Piotr Léchtchenko, ils enregistrèrent plus de 80 titres dans les années trente, dont le mondialement célèbre à l'époque " Чёрные глаза " de 1928, connu chez nous sous le titre " Les yeux noirs ". Chant écrit par un poète écrivain ukrainien Yevhen Hrebinkatango, sa musique est initialement inspirée par une valse, du compositeur russe-allemand Florian Hermann. Toujours populaire en Russie, a été joué en 2018 par l' " Orchestre Militaire de la Défense de la Fédération de Russie ", dans le grand hall du Conservatoire Tchaikovsky à Moscou... juste retour de l'histoire ! Autre retour étonnant, ce morceau est devenu ensuite un des standards du Jazz manouche, particulièrement apprécié partout aux Etats-Unis et dans le monde. Il a aussi été interprété par un autre chanteur célèbre de l'époque Yuri Morfessi.

De gauche à droite, les tangos "Dis-moi pourquoi", "Les Yeux noirs" et "Mon dernier tango" chantés par Yuri Morfessi

     

Et l'Orchestre Militaire de la Défense de la Fédération de Russie

         

Toujours dans le cadre de cette réhabilitation du tango (et aussi de certains artistes d'origine juive) une série télévisée réalisée par Vladimir Kott, retraça en 2018 la vie compliquée de Piotr Léchtchenko. Cette série reçut le Prix Nika qui consacre les meilleurs productions filmographiques russes. Apprécions l'enthousiasme interprétatif des deux acteurs, l'émotion qu'ils suscitent, et notons le choix, de nouveau, du tango "Les yeux noirs"  :

         

L'inquiétude qui se lit sur le visage du chanteur est probablement annonciatrice des déboires et de la fin funeste du héros qu'il incarne. Après un énorme succès dans toutes les capitales européennes dans les années 30, et l'ouverture d'un premier restaurant de prestige, il commet l'erreur d'en ouvrir un second en 1942 à Odessa, ville alors occupée par les Allemands. La clientèle étant essentiellement  formée par les occupants, les accusations de collaboration commencent à pleuvoir, et la rumeur va gonfler au fil des ans. En 1950, la police l'arrête, le procès vite expédié et on le jette en prison. Il mourut dans celle de Târgu Okna, petite ville du nord-est de la Roumanie, à 56 ans, et de cause inconnue... maladie...coups... torture... Il faudra attendre la perestroïka au milieu des années 80, pour que la voix du " король романсов " (le Roi de la romance), parfois aussi surnommé " сладкоголосого соловья " (le Rossignol à la voix douce) soit de nouveau diffusée en Russie.

Alexander Tsfasman      Alexander Vertinsky tango   Jerzy petersburski

Alexander Tsfasman                           Vadim Kozin                                   Alexander Vertinsky                         Jerzy Petersburski

Il faut bien sûr citer dans cette épopée du tango en Russie, les noms de Vadim Kozin, compositeur ayant réussi à combiner la passion gitane et la sensibilité de l'aristocratie russe ; Alexander Vertinsky qui chante l'émigration loin de son pays ; Alexander Tsfasman et son orchestre, qui initialement jouait essentiellement du jazz et se tourna ensuite, avec succès, vers le tango dans les années 30 ; et dans les mêmes années, le compositeur Jerzy Petersburski  (disques et photos ci-dessus).

Bien plus tard, un autre film russe, " Une drôle de planète " (Эта веселая планета), dans lequel figurent Gloria et Edouardo Arquimbaud, grands diffuseurs de tango dans le monde, met le tango à l'honneur en 1973. Il s'agit d'un film comique dont l'extrait concernant la danse, sérieux, lui, est visualisable sur la quatrième page de la filmographie de ce site. On notera que ces danseurs d'une ancienne génération exécutent, il y de cela un demi-siècle, des figures de style que certains affublent aujourd'hui du qualificatif de "nuevo"...

Depuis Sebastian Arce et Mariana Montes et d'autres, ont pris le relais dans la diffusion du tango en Russie, et on peut dire qu'actuellement le niveau de danse, à Moscou et à St Petersburg est excellent, et la fréquentation plutôt jeune, de surcroît.

Et concernant la musique, l'excellente formation russe Solo tango orquesta connait un succès mondial, ci-dessous un petit extrait de La Cumparsita mais en version valse, issue de leur album Quejas de Bandoneon.

Le tango est véritablement un art sans frontière...

11. En Chine  阿根廷探戈在中国

C'est encore par Paris que le tango arrive en Chine pour la première fois en 1913. En effet la France y possède plusieurs concessions, dont celle de Shanghai. Elle la gardera jusqu'en 1946. Particulièrement florissante, la concession accueillait Université jésuite, l'American Collège, et, en sus des français, nombre de ressortissants européens. La ville était desservie par les navires de la Compagnie des Messageries Maritimes.

C'est le journal britannique "The North China Herald" qui relate cette arrivée, le 22 novembre 1913, et en reparle dans un autre article le 7 mars 1914 :

"... Le tango, ou ses variantes, n'est pas étranger à Shanghai, mais on peut dire que la célèbre danse a été présentée avec toutes les formalités requises au public de l'Astor House lundi soir. L'accueil a été cordial et il ne sera pas surprenant de voir l'intérêt pour la danse se transformer en enthousiasme au cours de la série de thés tango organisés par la direction de l'hôtel"

Il poursuit :

"... Des démonstrations de tango ont été données par Mlle Elba, Mlle Phillips et M. Lucas. Ils ont présenté quatre danses, et toutes ont été observées avec le plus vif intérêt et la plus grande attention, interrompues par des salves d'applaudissements lorsque chaque danse se terminait par des mouvements finaux gracieux et très précis. La musique du tango a un rythme lent et emphatique, et les mouvements de la danse sont en conséquence définis, précis et gracieux, le mouvement fini étant l'essence même de la danse. De nombreuses figures sont attrayantes, certaines charmantes, certaines simples, d'autres compliquées... "

Dans un autre article, il précise :

"... Les représentations publiques du tango, qui ont été faites par deux danseuses bien connues, ont attiré une attention considérable, mais il y a bien sûr une différence de mise en scène entre ces représentations et les efforts des danseurs ordinaires ou de salon. Il y a quelques nuits, elles ont présenté la danse dans un restaurant qui a la réputation d'avoir introduit la plupart des nouveaux pas à Shanghai, et on rapporte qu'après qu'elles aient terminé, des membres du public ont tenté d'imiter leur performance, et ont échoué lamentablement."

L'article évoque ensuite l'avenir de cette danse :

"...Par ailleurs, un certain nombre de "thés tango" ont été organisés dans le quartier ouest de la ville et, par leur intermédiaire, la danse a été enseignée à un nombre limité de personnes. L'un de ceux qui ont eu la chance d'acquérir un nombre suffisant de pas pour l'exécuter avec un certain style, pense que cette danse ne fera pas fureur ici. "Il faut tellement s'entraîner pour cela, et si vous avez une partenaire qui ne connaît pas cette danse, vous ne pouvez pas l'obliger à la pratiquer, pas comme vous pouvez le faire avec le one-step par exemple."

L'auteur de l'article se trompait sur l'avenir du tango en Chine, danse dont le succès perdurera jusque tard dans les années 30. Sa remarque fait néanmoins pressentir que la complexité de la danse par rapport au one-step, allait amener une forme de fusion auprès du public, entre les deux danses. Nota : la publicité pour le magasin "Au Chic Parisien", ici en illustration est de l'artiste Georges Meunier, auteur d'une publicité célèbre pour le "Bal Bullier", en 1894.

Une seconde vague tango arriva entre 1937 et 1945, suite à l'invasion par le Japon, qui amena surtout des musiciens, mais également des danseurs avertis.

Après une longue éclipse suite à la révolution, et la parenthèse, plus récemment, due au confinement Covid, le tango renait et repart de plus belle, aujourd'hui en Chine.

A signaler que musicalement, l'artiste Yo Yo Ma, et ses interprétations des œuvres de Piazzolla, eurent beaucoup d'influence sur le renouveau du tango. Son album "Soul of the tango" édité en 1997 eut une répercussion mondiale et donna un coup de pouce supplémentaire à l'intérêt pour la musique pour la danse associée, dans le pays.

Parallèlement des argentins comme Ariadna Naveira et Fernando Sanchez,  ou encore Sebastian Arce et Mariana Montes, des colombiens, mais aussi d'excellents professeurs chinois, continuent à œuvrer pour faire progresser le niveau. Petite compilation vidéo où l'on peut voir que dès 2012, ce niveau commençait à monter sérieusement, et l'impact qu'avaient des concours de tango à la télévision. On notera à la fin du clip, l'humour des présentateurs, humour auquel on ne s'attend pas, vu la vision occidentale de la Chine :

         

A noter également qu'à Taipei , Taiwan, le tango est très populaire aussi, et qu'un festival international de tango argentin y est organisé régulièrement. On peut rajouter que, malgré les tensions, les échanges commerciaux continuent et ainsi des danseurs passent ainsi du continent à l'île . La Chine assurément une future grande nation du tango, au moins pour la danse.

Hong Kong a été également un des foyers de la renaissance du tango, et l'année de son rattachement à la République Populaire Chinoise, en 1997, a été aussi l'année de parution d'un des chefs-d'œuvre de Wong Kar-wai, le film "Happy together", une œuvre incontournable sur les vicissitudes de l'amour, entre deux hommes dans le film, le tango, et l'Argentine.

Juste avant le Covid de 2019, on dénombrait en Chine, une douzaine de milongas à Pékin, huit milongas régulières à Shangaï, quatre sur Hong Kong et d'autres dans des villes comme Chongqing, Tianjin, Xiamen, Canton (quatre milongas régulières), Shenzhen, Zhengzhou (trois milongas régulières), Changsha, Yanji, Nanjing, Huai'an, Shenyang, Dalian, Jinan, Qingdao (trois milongas régulières), Xi'an, Chengdu (dont une des deux milongas s'appelle "Panda tango"), Kunming, Hangzhou (trois milongas régulières), et jusqu'en Mongolie intérieure, dans la ville de Hohhot.

Probablement qu'aujourd'hui il y en a d'autres encore.

12. En Australie et en Nouvelle-Zélande

En Australie

Comment le tango a-t'il pu arriver en Australie ? Par l'intermédiaire des londoniens, qui eux-mêmes l'amenaient de Paris. Le West Australian écrit le 5 avril 1913 que  de nouvelles danses sont devenues à la mode : Boston, "Parisian Tango", Ragtime One-step. L'intervenante annoncée, Mrs Schiffman, qui vient de Londres mais voyage beaucoup "sur le continent", énonce dans un autre article de la même année : "Parmi les nombreuses nouveautés, on trouve le gracieux et tout à fait fascinant tango parisien".

Comme partout, il y a les "pour" et les "contre". Un autre journal, L"Argus de Melbourne", écrit ainsi, de façon prémonitoire, le 4 décembre de la même année : " Le jour viendra où, malgré les édits des monarques éphémères, le tango sera dansé dans tous les rassemblements officiels, et les gens s'émerveilleront devant la pruderie de leurs ancêtres, comme devant les préjugés des rois..."

D'autres sources parlent d'un couple de danseurs allemands au théâtre Tivoli de Sidney, la même année.

Bien sûr, tout le monde revendique le tango, quitte à écrire n'importe quoi : les américains expliquent qu'il vient des plantations des champs de coton, et Anna Pavlova, danseuse des Ballets Russes, et favorite du Tsar, explique que c'est elle qui l'a introduit partout en Europe...

Mais peu importe, les thés-tango se mirent à fleurir de partout dans les grandes villes d'Australie.

A St Kilda, un quartier dynamique de Melbourne, s'ouvre, le 22 décembre 1913, un "Palais de danse", nom en analogie à la fois à celui de Londres, et à la tangomania parisienne, le nom donné étant écrit en français.

A noter que les quelques opposants au tango, essentiellement concentrés parmi les fervents catholiques, ayant fait beaucoup de bruit au Conseil municipal pour interdire cette ouverture, à chaque soirée il y avait un vote "pour" ou "contre" le tango : en moyenne 4% seulement de gens contre, la messe était dite ! Le tango avait gagné, et s'était imposé en Australie.

En décembre 1913, un nouveau spectacle, revendiqué comme étant "la première revue australienne", mit le tango à l'honneur. Il est écrit, lors de sa sortie : " Come Over Here est un hommage à la consommation de la bourgeoisie urbaine, aux loisirs et à la modernité technologique. Grâce au cinématographe de MM. Pathé Frères, on voit d'abord les acteurs arriver devant Her Majesty's avant d'entrer sur scène pour se préparer à la représentation. La revue présente l'intrigue habituelle, légèrement appliquée, en l'occurrence un couple d'amoureux le jour de leur mariage qui se précipite à travers les sites de Sydney et de nombreux autres lieux de plaisir et de loisir, rencontrant non seulement le présent à la mode de la ville, mais aussi son passé et son avenir. Les sites charmants comprennent une plage française, le Roof Garden Theatre du Farmer's Sydney emporium, et les pistes de ski du Mt Kosciusko. Pour la scène du mariage dans le vestibule et l'intérieur de l'Hotel Australia, la troupe danse des rags et des tangos, y compris le très controversé Pas des ciseaux ". Le tango principal "Adios Tango" est écrit sur une base de rythme habanera.

La revue fit le tour de l'Australie, jusqu'en 1922.

Partitions et créations locales ne tardèrent pas à fleurir :

Aujourd'hui, on peut trouver nombre de milongas à Melbourne, Sidney, Adélaïde, Brisbane, ou dans des villes moins connues comme Perth (plus de deux millions d'habitants quand même...).

En Nouvelle Zélande

Il est probable que le tango est arrivé à peut près en même temps, et par les mêmes relais, en Nouvelle Zélande et en Australie. On trouve un article du journal Auckland Star, daté du 22 octobre 1913, et qui mentionne une soirée dansante où aura lieu une exhibition de "Rag Tango". En 1915, c'est à Wellington, la capitale que le journal The Evening Post, annonce des thés-tango au profit des soldats partis à la guerre (un très grand nombre, 18000 hommes, mourut en Picardie). 

Le Patea Mail, le 18 novembre 1914, le dit : la ville est devenue folle avec le Tango. Un pauvre homme écrit ainsi : " Patea s'enflamme pour le tango. Mon épouse est partie, elles sont toutes enflammées, et toutes mes filles aussi ; j'ai le cafard, elles sont folles de Tango, c'est vrai, elles sont folles de Tango. Elles tanguent ici, elles tanguent là, elles tanguent pour taquiner, elles portent des tenues Tango ; et maintenant elles tanguent, je le déclare : Oui, au tango chez WILSON'S" (le lieu où la danse faisait rage et objet de la publicité).

En 1925, le Wanganui Chronicle parle du "nouveau tango", en fait le tango parisien d'après guerre, en opposition au vieux tango d'origine. De nombreux articles de l'époque, évoquent ainsi le tango de Montparnasse et les modes parisiennes.

En 1929, le tango fait son grand retour, et on reparla de "tango craze" en Nouvelle Zélande, même (et peut-être surtout) s'il s'agissait d'une version simplifiée.

Aujourd'hui il y a du tango dans les huit principales grandes villes de Nouvelle Zélande, et Wellington, la capitale, accueille un grand festival international tous les ans, et qui dure une semaine. En 2023, ce sera la 19ème édition.

 

Conclusion - Bibliographie

Conclusion

Comme on a pu le voir tout au long de cette page, et de la précédente concernant l'Europe, le tango s'est diffusé dans le monde principalement à partir de Paris. Il faut néanmoins préciser, que c'est surtout la danse qui est concernée par cette affirmation, la musique pouvant être arrivée directement d'Argentine par le biais des disques, le gramophone se popularisant au début du vingtième siècle. C'est néanmoins le succès à Paris qui fut à l'origine de la tangomania qui envahit le monde. En Argentine, où la musique était admise, mais où la danse se pratiquait "sous le manteau" pour les personnes haut placées, c'est Paris encore qui fit se développer la mode des cabarets dansant qui envahirent Buenos Aires, nombre d'entre-eux portant les noms de leurs homologues français.

Presqu'un siècle plus tard, 70 ans exactement, en 1983, Paris et le Chatelet allait de nouveau être le point de départ d'une nouvelle vague tango qui allait envahir la planète.

Bibliographie (principalement)

- The tango and how to dance it - Gladys Beattie Crozier - New York 1913

- Tanz-Brevier - Franz Wolfgang Koebner - Berlin 1913

- Balli d'Oggi - Gavina Giovannini - Milano 1914

- Maurice Art of Dancing - Maurice Mouvet - New York 1915

- Tango nomade - sous la direction de Ramon Pelinski/ Ed. Triptique - Montréal 1995

- ¡Tango! - Simon Collier, Artemis Cooper, Maria Suzana Azzi, Richard Martin - Paris 1995

- El tango en España - Ernesto Portalet - Corregidor Buenos Aires 1996

- The Tango in the United States - Carlos G. Groppa / McFarland - North Carolina 2004

- Carlos Gardel en España - Manuel Gerrero Cabrera - Madrid 1920

etc...

- Revista "Tango de Moda"

- Revista "Tango Mundo"

- Magazine "The Sketch"

- Magazine "The dancing time"

- Magazine "Sunday sun"

- Rivista "L'illustrazion Italiana"

- Rivista "Osservatore Romano"

- Magazin "Das Magazin"

etc...

Autres sources

National Library of Australia

National Library of New Zeland

et sources diverses pour le Japon, la Chine, la Turquie, la Tchéquie, etc...

 

 

Copyright 2023   Dominique LESCARRET

 

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