L'influence de Paris, la suite de l'histoire du tango de par le monde
=► 7. Le tango aux Etats-Unis
=► 8. Le tango au Japon
=► 9. Le tango en Turquie
=► 10. Le tango en Russie
11. Et ailleurs dans le monde
12. Répercussions en Argentine
13. Conclusion - Bibliographie
=► Pour l'extension du tango en Europe à partir de Paris (N° 1,2,3,4,5 et 6) : cliquez
Le tango aux Etats-Unis
Il paraitrait que Ovidio José Blanquet "El Cachafaz" ait passé deux ans, entre 1911 et 1913 aux Etats-Unis, mais il ne reste aucune trace de ce qu'il y fit, ni d'un éventuel début du tango là-bas. C'est en 1914 que le tango fait fureur, d'autant que nombre d'américains résidants à Paris et connaissant ou pratiquant le tango, musiciens compris, se rapatrièrent dans leur pays pour fuir la guerre qui allait commencer. Parmi les musiciens on notera Celestino Ferrer, et parmi les danseurs, le célèbre Casimiro Ain, venue lui-aussi se réfugier à New-York au début du conflit.
Les débuts du tango furent difficiles aux Etats-Unis : imaginez une "danse de zoulous"... Mais en 1914, le tango arriva à s'imposer, malgré les obstacles et fait rage dans le pays. Bien sur il y a toujours les "pro" et les "anti" comme partout dans le monde lors de son arrivée. Parmi ces derniers se trouvait, comme on pouvait s'y attendre, la New York's Catholic Church avec le Cardinal Farley, archevêque de New-York, à la tête de la croisade.
Mais le tango triompha. A qui dut-il cette victoire ?
Parlons d'abord d'un
personnage qui assura la transition entre la danse parisienne et le tango
aux USA, il s'agit de
Maurice Mouvet. Né à New-York de parents belges, il
arrive tout jeune, à 15 ans, à Paris en 1903. Passionné par la danse, discipline
dans laquelle il veut faire carrière, il débute comme danseur de gigues, valses
et mazurkas. En 1907, il apprend la "
Danse Apache
", en compagnie de
Max Dearly
qui la rendit célèbre avec
Mistinguett, danse
dont il aurait fait une démonstration devant le roi Edouard VII.
En 1910, toujours à
Paris, il se met sérieusement au tango, qu'il va ramener en 1911 aux Etats-Unis.
Il l'aurait appris auprès de jeunes argentins qui fréquentaient Maxim's et
l'aurait dansé pour la première fois au
Café des Ambassadeurs,
le bar mythique de l'hôtel
Crillon...
Mais Maurice Mouvet était connu comme extrêmement arrogant et prétentieux, ce
qui peut laisser planer quelques doutes sur ses souvenirs et affirmations...
A New-York il rencontrera tout d'abord Osvaldo Fresedo et en 1916, Francisco Canaro.
En 1914 il éditera " The tango and the new dances for ballroom and home ", et en 1915, " Art of Dancing " où il évoquera le tango à Paris. Sa première partenaire, Léona, étant malheureusement décédée, avec sa nouvelle, Florence Walton qu'il avait épousé en 1911, il participa aux comédies musicales " The Pink Lady " et " Over the River ".
Leur union dans la vie et dans la danse, durera jusqu'en 1920.
Quelques extraits de son ouvrage de référence Maurice's Art of Dancing. Cliquez sur les imagettes pour les agrandir
Mais il n'était pas le seul à revenir de France, et très vite une sérieuse concurrence s'instaura avec un autre couple au nom resté célèbre dans l'histoire de la danse aux Etats-Unis, et également du cinéma : Les Castles.
Vernon, de son vrai nom
William Vernon Blyth, est arrivé d'Angleterre en 1906, à l'âge de 19 ans. Il se marie en 1911 avec Irène, une New-Yorkaise, fait quelques spectacles de danse, et décide avec sa femme de partir pour Paris. Ils y popularisent
les danses à la mode américaines, le
Fox-trot, déjà connu, le
Turkey-trot
(la marche du Dindon), et le
Grizzly Bear
(la danse de l'Ours), et apprennent le tango. Très vite, ils deviennent
extrêmement populaires à Paris, dansent au prestigieux
Café de Paris,
39 avenue de l'Opéra, où ils rencontrent Maurice Mouvet. Déjà s'instaura une
solide concurrence entre les deux couples, et Maurice Mouvet intrigua auprès du propriétaire des lieux,
Louis Barrya, pour être le seul à
pouvoir offrir sa prestation de danse dans ce lieu de référence. Mais les Castle
surent s'imposer.
A noter que le Café de Paris, qui fit des émules partout dans le monde, New-York compris, était le lieu de rendez-vous des jeunes argentins fortunés de passage dans la capitale. Maurice Mouvet, comme Vernon Castle, purent ainsi se familiariser avec le tango et l'apprendre. Les argentins purent, de leur côté, se familiariser avec la Danse Apache de Maurice Mouvet, le Fox-trot et les rythmes ragtime des Castle... et, les voyageurs suivants purent apprécier les débuts des deux couples en tango parisien, et les évolutions parisiennes apportées.
Sans nul doute, que ces argentins suivants, ramenèrent tout ceci en tant que mode en vigueur en France, lors de leur retour dans leur pays, parfait exemple du chassé-croisé culturel entre les deux continents : les premiers initient Paris au tango, les seconds ramènent chez eux un tango modifié et plus acceptable. Ci-dessous le splendide Café de Paris, en 1920, aujourd'hui remplacé à l'angle par une horrible chocolaterie, la magnifique porte ayant été détruite, les cariatides enlevées, et sur le côté, salle et terrasse remplacées par l'entrée de l'hôtel Edouard 7, et la façade triste et sans âme de son restaurant...
Carte postale collection D. Lescarret, entourée des deux cariatides de la porte d'entrée, visibles au Musée Carnavalet à Paris
Cette gloire acquise à Paris, permettra aux Castle, de rentrer aux Etats-Unis précédés d'une réputation flatteuse. Il y importeront le tango, en fait le tango qu'ils avaient appris à Paris.
Ce
qui allait devenir le "Tango
américain"
ne subira par la suite que peu d'influences de la part de l'Argentine et des
évolutions qui suivirent dans la manière de danser, et on peut considérer qu'à
quelques détails près, ce fameux "tango américain" qui inonde les films made in
Hollywood, est une photographie relativement fidèle de ce qui se dansait à Paris
à l'époque. Les Castle, installés dans la gloire publièrent un livre
d'apprentissage de référence : "Modern
Dancing" en 1914.
On y trouve tous les pas et figures des danses à la mode, de la "Castle walk",
et son petit saut arrière caractéristique, des One-step, Maxixe, Tango, etc...
Un film retrace la vie d'Irène et Vernon Castle, ceux-ci étant joués par Fred Astaire et Ginger Rogers. Il y est bien mentionné que ceux sont eux qui ont ramené le tango aux Etats-Unis. La présentation de cette danse est quelque peu... "originale", costume compris, mélangeant le tango espagnol et le tango argentin, et sans doute assez loin de ce que les premiers porteños lui avaient appris. Dans le film les Castle exécutent leur premier numéro de danse au Café de Paris début 1912 sur une musique de "Too much mustard" (la Très moutarde) jouée par un orchestre de typiquement jazz, type d'orchestre n'apparaissant en France qu'en 1914...
En fait la "Très moutarde", inventée par Cecil Maclin, était considérée comme un One-step, un Turkey-trot, ou un tango. A noter : l'auteur de ce site, n'a pas trouvé la moindre trace du fait qu'Irene et Vernon Castle, aient pu faire des claquettes... Enfin un peu de racisme, affiché à l'époque, anima la production, l'ami fidèle des Castle était noir, mais au cinéma, malgré les protestations d'Irène, on imposa un blanc... Ci-dessous un extrait de ce film " The Story of Vernon and Irene Castle ", sorti en 1939, et diffusé en France sous le titre de " La grande farandole " où la " Très moutarde " a été accélérée par Vernon, sans doute un des ancêtres du Quick Step actuel, en fait du Fox-trot en vitesse rapide, de la Danse Sportive.
Quelques remarques sur la façon de danser : dans la séquence qui précède on notera la position "shadow" (femme de dos par rapport au cavalier, une des positions typiques de la Maxixe), que l'on utilise encore lors de shows de Tango ou de Valse Argentine. Autre technique employée en show de tango, Palanca, un saut de la cavalière, propulsée vers le haut, par le lever de la jambe pliée du cavalier. Dans la séquence ci-dessous, on notera également les ressemblances entre les techniques de la Maxixe et certaines techniques de la Milonga d'aujourd'hui, remarquant le travail du talon du cavalier, secondes 9 et 10.
On notera dans le livre des Castle quelques remarques intéressantes : " ... Take your lessons, si possible, from some one who has danced professionally in Paris, because they are so many good dancers there, that anybody who can dance the Tango (and get paid for it) in paris, must really be a good dancer. " Paris est la référence.
Ci-dessous quelques extraits de la partie tango du livre des Castle. Cliquez sur les images pour agrandir
Autre citation sur l'apprentissage : " The most important thing about the Tango is its tempo. You must before you can dance at all, understand and appreciate the music ". Toujours valable aujourd'hui... et parfois un peu oublié...
Un danseur, qui avait fait les beaux jours de Paris, Casimiro Ain, allait lui aussi arriver aux Etats-Unis, en 1913, où il ouvre une académie de danse. Avant lui, El Cachavaz, de son vrai nom Ovidio José Bianquet était venu à new-York, où il serait resté une ou deux années, sans qu'il ne subsiste la moindre de trace de son activité. Mais la concurrence est très rude, les Castle occupant le marché, l'accueil plutôt hostile, et la barrière de la langue difficile à franchir.
Ainsi le musicien
Celestino
Ferrer
dut pour survivre travailler comme... vendeur de bonbons, et le bandéoniste
Carlos Güerino Filipotto
comme laveur de voitures. Pour diminuer les frais ils partagèrent leur logement
avec un jeune italien surnommé "
El Tano
" du fait de son origine, mais que le monde entier connaitra plus tard son le
nom de
Rudolf Valentino.
Malgré tout le tango arrive à s'imposer, et là aussi, comme dans d'autres pays du monde, on copie ce qui se passe à Paris. ainsi on voit fleurir des établissements aux nom parisiens comme le " Sans Souci " ou le " Café de Paris ", et la mode des thés tango fait fureur... même si la " Castle Walk ", et les rythmes jazzy, ont la préférence du public. Ci-contre, à gauche, l'hôtel Mc Alpin, aux alentours de 1917, un des hauts lieux des thés tango new-yorkais de l'époque (image tiré de l'ouvrage The Tango in the United States, de Carlos G. Groppa 1931).
En 1914, le tango s'est définitivement imposé. Georges Gershwing's débute sa carrière cette année là en jouant un tango de sa composition pour son premier concert, dix ans avant de devenir mondialement célèbre avec " Rhapsody in blues ", mélangeant jazz et musique classique.
Rudolph Valentino.
Un jeune italien, né à Castenallita, émigre en 1912, dès l'âge de 18 ans, à
Paris. En 1913 il part pour New-York, où il survit grâce à de petits boulots. Un
jour il est engagé comme danseur professionnel par un restaurateur qui
connaissait les Castle. Ayant rencontré un acteur professionnel, il part avec
lui pour Los Angeles où il obtient quelques petits rôles dans une douzaine de
productions de cinéma, lequel était alors encore muet.
Sa gloire arrive avec son premier véritable grand rôle dans les " Quatre cavaliers de l'Apocalypse ". Il y exécute un tango, mélange de tango parisien et de fox-trot, qui fait le tour du monde. Très probablement c'est Casimiro Ain, de retour de Paris, qui lui avait appris le tango lors de leur collocation à New-York.
Un film lui sera consacré en 1977, retraçant sa vie et évoquant quelques aspects un peu trouble de sa arrière, notamment en tant que gigolo, et le côté choquant de sa probable bisexualité... Son rôle est interprété par Rudolf Noureev qui littéralement crève l'écran, secondé par Leslie Caron, elle aussi magnifique. A voir et à revoir ! A noter que la musique choisie pour le second extrait, est la Cumparsita, qui précédera un one-step puis un fox-trot.
Juan Carlos Cobián.
C'est le grand rénovateur du tango, un de ceux qui l'ont fait évoluer vers de
nouveaux horizons. Après des débuts en Argentine avec osvaldo fresedo et
la formation d'un premier orchestre, avec en particulier
Pedro Maffia
et Luis
Petrucelli
aux bandonéons, et
Julio De Caro
au violon, il tombe amoureux d'une jeune américaine et part pour New-York, en
1923.
Il va y rester cinq années, jouant suivant les circonstances, tango et jazz. C'est là qu'il rencontre notamment Rudolph Valentino, et compose pour lui plusieurs morceaux. C'est également aux Etats-Unis qu'il composa la première version d'un de ses plus célèbres morceaux, Nostalgias, la version chantée sur des paroles d'Enrique Cadicamo, étant inaugurée en 1936, et enregistrée par l'orchestre de Charlo.
Il rencontre également
un couple de danseurs de tango,
Cortez and Peggy, avec lesquels il travaillera,
en particulier à l'Hippodrome
Theater.
Il jouera dans l'hôtel Alpine, dont la photo est en illustration plus haut, mais également dans le tout nouveau, à l'époque en 1929, Ciro's, réplique (agrandie) de celui de Paris ; et toujours en compagnie de Cortez and Peggy.
Il repart aux Etats-Unis en 1937 et y restera jusqu'en 1943. Créateur du style " tango romance ", nul doute que son influence fut grande, au plan musical, en Amérique.
En dehors du tango en
lui-même, la musique portègne influença
Mais si la musique a été relativement bien acceptée aux USA, il n'en fut point la même chose en ce qui concerne la danse. Après la "rage tango" des tout débuts, la danse a été peu à peu abandonnée. Ce désamour est expliqué par nombre de commentateurs par le fait que les américains du nord ont beaucoup de mal à comprendre et ressentir les émotions suscitées par les musiques et danses d'Amérique du Sud. " Pour aimer et comprendre le tango, il faut être Argentin, Latin ou Slave " . Ndla : Je rajouterais que les japonais s'en sortent très bien, initialement en musique et aujourd'hui en danse.
Par contre les américains, toujours friands de cinéma et de grands spectacles apprécièrent Carlos Gardel quand il tourna dans les studios new-yorkais de la Paramount en 1934 et les deux années suivantes. Ils firent de même, un véritable triomphe à Broadway, à la célèbre Revue Tango Argentino, qui relança le tango à travers le monde au début des années 80.
Aujourd'hui, c'est Gustavo Naveira lui-même, le grand rénovateur du tango argentin du début des années 90, qui relance aux Etats-Unis un tango de très haute qualité. Ayant installé son studio à Boulder, dans le Colorado, il rayonne à travers les Etats-Unis, et toujours de par le monde, souvent en Italie et en Sicile où le niveau des danseurs est excellent.
Le tango au Japon
On oubliera vite la théorie quelque peu fantaisiste, prétendant que le tango serait arrivé là-bas lors d'une soirée donnée à l'hôtel Oriental de Yokohama, en 1906, soirée animée par l'orchestre de la Sarmiento (!). Bien évidemment par le moindre rapport officiel, pas la moindre notification, pas la moindre information journalistique, pas la moindre preuve historique de ce soi-disant évènement, comme avec l'arrivée imaginaire de la Sarmiento, à Marseille cette même année.
Plus
sérieusement, ainsi qu'il est relaté dans l'excellent ouvrage "
Tango nomade
", supervisé par
Ramón Pelinski,
ce serait bien à Yokohama, au Grand Hôtel, que pour la première fois un tango
fut dansé au Japon, mais le
20 mai 1914.
C'est le couple Thomas Lector et Dorothy Smaller qui le dansa, au grand
étonnement des japonais, un critique concluant dans le journal Ongakukai de
juillet : " On peut
plus largement qualifier le tango de gymnastique. Ses sauts rapides et ses
mouvements agiles ne sont pas appropriés aux femmes japonaises.
" C'était mal parti...
Pourtant le 13 décembre 1914, un japonais, Tarôjaka Massuda, le danse dans le Théâtre Impérial de Tokyo. Il faudra attendre 1921, pour que Banri Hirano, revenant de Paris, organise le premier cours consacré à cette danse, et en 1928, le tango apparait dans un livre "pour apprendre à danser par soi-même". Juste un peu avant le Baron Megata, qui avait appris à danser dans le cabaret " El Garron ", s'employa à diffuser le tango dans son pays, publiant lui-aussi un manuel d'apprentissage du tango, et enseignant la discipline à ses élèves. Le premier livre de ce type entièrement consacré à l'apprentissage du tango, écrit par Junzaburô Mori, un élève du Baron Megata, apparaitra ainsi en 1930.
On disait du Baron Megata, dans le journal Modern Dance de 1938 : " ...il danse d'une manière très en douceur... Comme s'il glissait sur du verre... ", par opposition à l'école anglaise, elle très mécanisée.
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En 1981, Edmundo Rivero, écrit le tango " A lo Megata ", en hommage au baron. Les paroles sont de Luis Alposta.
Joué pour la première fois au japon en 1982, il fut enregistré en 1983 avec Leopoldo Federico, et le bandéoniste
japonais Yoshinori Yoneyama. Vous pouvez l'écouter ici, interprété par l'orchestre de Jose Colangelo
et du célèbre chanteur Ikuo Abo.
En fait, le tango instrumental arrivera vers 1932.
Cette année-là, deux orchestres allaient se consacrer avec succès au tango au Japon : le " Montmartre Tango Ensemble " (traduction généralement adoptée) et le " Moulin Rouge Orquestra " composé de musiciens français. A noter que Kiyoshi Sakurai, qui avait séjourné à Buenos Aires, second violon dans le premier orchestre, accompagna le second lors de son retour à Paris pour jouer à El Garron, et devint le principal chef d'orchestre au Japon dans la période d'avant la guerre de 40 (mais il faudra attendre 1954, pour que le premier orchestre argentin, celui de Juan Canaro, joue sur le sol nippon).
Par la suite de nombreux musiciens japonais sont
partis se former directement en Argentine, et depuis cette époque le tango a
connu, et connait encore aujourd'hui au Japon, le même succès qu'en Europe, et
sinon plus. D'ailleurs, tous les touristes qui se sont rendus à Buenos Aires
durant le mois d'Aout, ont pu y voir de nombreux japonais et japonaises sur les
pistes de danse dans toutes les milongas, généralement de bons, voire de très bons danseurs.
Un film retrace les lendemains de la défaite de 1945, et ses conséquences sur les aristocrates japonais qui perdirent tout... sauf le tango : Anjô-Ke no Butôkai, de Kôzaburô Yoshimura, tourné en 1947 au Japon, et diffusé seulement en 2005 aux Etats-Unis. Vous pouvez en voir un extrait sur la page 4 de la filmographie de ce site. On remarquera durant la séquence proposée, la fameuse " promenade parisienne " en vogue à l'époque au Japon (école française au style coulé, par opposition à l'école anglaise, beaucoup plus mécanisée), promenade toujours pratiquée aujourd'hui aux Etats-Unis, et figurant dans de nombreux films américains.
L'interdiction du jazz au Japon pendant la Seconde Guerre mondiale avait donné un regain de popularité au
tango au lendemain de la guerre.
Dans les années 1950, une bonne vingtaine d'orchestres officiaient dans le pays, une grande partie des musiciens ayant été formés sur place.
Le plus populaire était l'Orchestra
Típica Tokyo dirigé par
Shimpei Hayakawa.
Le premier orchestre argentin à jouer au Japon fut celui dirigé par Juan Canaro (1954).
Les grands orchestres argentins ont rapidement effectué des tournées dans le
pays, comme ceux dirigés par
Osvaldo Pugliese
et Francisco Canaro.
Un extrait de Canaro en Japón, Cadena de tango, enregistré en 1961 à Tokyo, une "chaine de tangos aussi inventive qu'étonnante, et agréable à écouter
Après que la Revue Tango Argentino ait relancé le tango dans le monde c'est un des couples du spectacle, Carlos et Marίa Rivarola, qui s'envolèrent pour le Japon en 1988, et devinrent le fer de lance de l'enseignement du tango dansé dans l'archipel. Ils publièrent d'ailleurs, une méthode d'apprentissage rédigée totalement en japonais.
Pour finir écoutons un des morceaux interprété par l'Orquesta Tipica Sakamoto et l'étonnante interprétation de Nostalgias par son chanteur japonais, interprétation qui surprend encore aujourd'hui les danseurs dans les milongas ; morceau extrait de la petite collection de vinyl de l'auteur de ce site, et numérisée (comme il a pu) par lui-même :
Et c'est sans doute parce que le niveau atteint par les japonais devait susciter l'incrédulité que le chanteur Ikuo Abo, avait interprété " En Esta Tarde Gris ", de Mariano Mores, letra de José María Contursi, revêtu d'un kimono traditionnel...
Ci-dessus à gauche, un des vinyls de la collection D. Lescarret
Le tango en Turquie
Le 24 juillet 1923, le traité de Lausanne, fonde la Turquie d'aujourd'hui sur les restes de l'Empire Ottoman. Le Commandant en chef des forces turques Moustafa Kemal, surnommé "Ghazi", le victorieux, devient le chef d'un état qu'il veut moderne et tourné vers l'Occident. Il remplace l'alphabet arabe par l'alphabet latin, donne le droit de vote aux femmes (en 1934, seulement 10 ans plus tard en France...) et instaure un état laïque. Mustafa Kemal Atatürk restera président de la nouvelle Turquie jusqu'en 1938, année durant laquelle il mourut prématurément d'une cirrhose du foie.
Vingt ans plus tôt, en 1918, il avait passé plusieurs mois à Vienne, en Autriche. C'est peut-être là qu'il entendit parler du tango. Mais il savait déjà danser la Valse et la Polka, apprises dans sa jeunesse, lors de séjours à Salonique, et parlait d'autre part, parfaitement français. Autre hypothèse, c'est par son épouse, Latife Uşşaki, qui avait fait ses études à Paris, à la Sorbonne, que le tango lui avait été apporté... On le voit ci-dessous, dans une photo d'anthologie, en train de danser un tango, tango que l'on entendait à l'époque dans toutes les cérémonies d'ouverture de mariage : la Cumparsita y était jouée. Mentionnons quand même que certains prétendent que sur cette photo, Mustafa Kemal ne dansait pas un tango, mais une valse... Allez savoir... Mais la majorité des historiens s'accorde au moins à dire qu'il savait danser le tango.
Mais comment le tango était-il arrivé initialement en Turquie ? Dès 1900, les disques pour gramophone, appareil nouvellement inventé, ont commencé à être diffusés en Turquie. Concernant le tango, ils venaient de France et d'Argentine, à partir de 1910 et c'est d'abord la musique qui pénétra le pays. Imaginez, avant Mustafa Kemal, les hommes et les femmes non mariés, n'avaient même pas le droit de se toucher ! Le tango fut à la fois la découverte d'un divertissement dans une société où la notion de bal populaire, était inconnue, mais aussi un instrument politique, marquant une rupture totale avec la tradition concernant la place des femmes. Dans cette optique, le pouvoir insista pour instaurer des bals à l'occasion des grandes fêtes nationales, mais fit également en sorte que, dans le tango particulièrement les femmes soient mise en valeur.
La première d'entre-elles qui rentra dans l'histoire fut Seyyan Hanim (en photo ci-dessous), qui interpréta en 1932, un tango écrit quatre ans plus tôt par Necip Celal Andel. C'est le premier véritable tango turc, écrit par un turc et chanté par une jeune élève du conservatoire d'Istanbul. Presque à la même date, en 1930, une autre jeune artiste au nom presque identique, Afife Hanim, formée au conservatoire de Paris, interprète des Fox-trot et le tout nouveau Charleston, ainsi que des tangos. Les trois plus connus furent Gül Tango, Şivekar et Sevda, composés par des musiciens européens, avec des paroles en turc.
Une anecdote : en 1991, le célèbre orchestre argentin
Raoul Garello,
parolier de tango et président de l'Académie Nationale Argentine de tango
Horacio Ferrer
est venu dans notre pays. Après leur concert à Ankara, ils ont donné quatre
concerts à Istanbul. A cette occasion, lors de l'avant-dernier concert, on leur
avait remis les notes d'un tango de composition turque, et lors de leur dernier
concert deux jours plus tard, un tout nouvel arrangement de ce tango, avec et
paroles en espagnol, était prêt. C'était
Özleiştango
de
Necip Celal, qui commençait par les mots célèbres "J'ai aimé une jeune femme".
A noter qu'Horacio
Ferrer, lui-même et
bien auparavant, avait adapté en espagnol le tango "Mazi".
Depuis son introduction dans le pays, le tango turc s'est développé, et a trouvé son identité propre : très peu de tango instrumental, beaucoup d'interprètes féminines, des musiciens d'anthologie comme Orhan Avşar, bandonéoniste et fondateur de son orchestre Tipik Orkestrak, le premier orchestre officiellement turc et diffusé sur la radio d'Istanbul. Depuis de nombreux orchestres comme Band-o-neon, Tang-Esta, Tango+, ont pris la suite, les musiciens se formant sur place et faisant de fréquents voyages en Argentine.
Aujourd'hui les musiciens sont excellents, les anciens tangos réenregistrés, et les danseurs et enseignants de très bon niveau.
Istanbul, avec ses milongas et festivals internationaux, est une place du tango particulièrement renommée.
Le tango en Russie
Le tango va arriver très vite en Russie, principalement à St Petersburg et à Moscou, mais surtout dans cette ville. Cela pourrait paraitre surprenant vu la distance de ces contrées par rapport à Paris, mais il faut se rappeler qu'à l'époque, la Russie était très francophile et vice-versa. En effet si l'extraordinaire Exposition Universelle avait attiré les premiers argentins habitués de la capitale, de nombreux aristocrates russes étaient les bienvenus à Paris, ville qu'ils affectionnaient. Cette amitié franco-russe, allait être consacrée, lors de cette exposition, par l'inauguration d'un des plus beaux ponts de Paris, le pont Alexandre III, nom du tsar de Russie ayant régné entre 1845 et 1894. La Russie était alors notre alliée, alliance militaire, économique et culturelle officialisée par le traité de 1891. Diverses festivités officielles ou populaires avaient marqué ce rapprochement, comme la visite en 1892, de la flotte de guerre française à Kronstadt, port militaire de St Petersburg, et en retour celle de la flotte russe à Toulon l'année suivante ; la grande fête franco-russe organisée sur le Champ de Mars en 1893 ; les visites du Tzar en France en 1896 et 1901.
Le pont Alexandre III lors de son inauguration en 1900 - image Wikipedia
C'est Nicolas II, fortement attiré par toutes les nouveautés, qui autorisa que le tango soit dansé au Palais d'Hiver, dès 1911. On raconte qu'une démonstration avait été organisée pour lui présenter le tango, et qu'il avait été enthousiasmé. En 1914, l'acteur de théâtre et chanteur Alexander Vertinsky présente une petite pièce comique baptisée " Tango ". Il allait devenir une des plus grands chanteurs russes concernant cette musique.
En fait, de nombreux notables russes fréquentaient Montmartre avant la guerre de 14,
dont la princesse
Anastasia Mikhaïlovna, nièce du Tsar de Russie, qui, quoique très mauvaise danseuse,
avait pris quelques cours avec les
Castle, et fréquentait assidument les bals. A noter qu'elle, sa famille et
d'autres princes avaient des résidences à Cannes et à Eze, tout près de Nice. Ensuite il y
eut d'autres, véritables ou faux princes, qui firent les beaux jours de Paris, à partir de 1920, ayant fuit la révolution de 1917
dans leur pays.
Comme explicité sur la page concernant les Années Folles, les russes fortunés fréquentaient les bars, restaurants et dancing huppés de Montmartre, mais une toute autre catégorie de cette population immigrée ou réfugiée, allaient influencer la musique à Paris : les orchestres russes et les musiciens tziganes... ces derniers officiant dans tous les types de musique y compris dans les orchestres de tango. Les cultures ne restent jamais bien longtemps hermétiques, à leurs influences réciproques...
Un film russe, réalisé par Evgueny Bauer, met le tango à l'honneur, dès 1914 : Ditya Bolshogo Goroda, titre français, l'enfant dans la grande ville. Sur les deux séquences ci-dessous, on voit nettement la fameuse " promenade " caractéristique du tango de Paris, ainsi que l'exécution dans le style de l'époque des traditionnels ochos adelante. Là encore, Tango et Maxixe se mélangent allègrement. Bien entendu, il s'agit d'un film muet et la musique de fond a été ajoutée postérieurement.
Malgré la révolution, dans les premières années du pouvoir soviétique, l'État avait toléré le tango qui avait progressivement envahi des couches plus populaires que celles initiales. Cela n'allait guère durer, le Comité scientifique et technique du Conseil suprême de la culture physique (il fallait l'inventer !) crée une commission qui doit déterminer quelles danses doivent être soit recommandées aux citoyens et à la jeunesse soviétiques, soit interdites : le 23 octobre 1926, le plénum de ce Conseil suprême interdit la danse argentine par décret, et le fox-trot par la même occasion. La musique restait autorisée.
La "
romance
" du tango entre la Russie et Paris passait parfois par d'autres
" romances ". Ainsi, dans les années 30,
Oskar Strok, pianiste et compositeur de quelques tangos, quittait sa Russie natale pour suivre une belle
jusqu'à Paris, où il restera jusqu'à la fin de leur histoire, avant de retourner
dans son pays. ainsi vont parfois les échanges culturels... avec son ami
Piotr Léchtchenko,
ils enregistrèrent plus de 80 titres dans les années trente, dont le
mondialement célèbre à l'époque "
Чёрные глаза " de 1928,
connu chez nous sous le titre "
Les yeux noirs
". Chant écrit par un poète écrivain ukrainien
Yevhen Hrebinkatango, sa musique est initialement inspirée par une valse, du compositeur russe-allemand Florian Hermann.
Toujours
populaire en Russie, a été joué en 2018 par l' "
Orchestre Militaire de la
Défense de la Fédération de Russie
", dans le grand hall du Conservatoire Tchaikovsky à Moscou... juste retour de l'histoire ! Autre retour étonnant, ce morceau est devenu
ensuite un des standards du
Jazz manouche,
particulièrement apprécié partout au Etats-Unis et dans le monde.
Le tango est véritablement
un art sans
frontière...
Toujours dans le cadre de cette réhabilitation du tango (et aussi de certains artistes d'origine juive) une série télévisée réalisée par Vladimir Kott, retraça en 2018 la vie compliquée de Piotr Léchtchenko. Cette série reçut le Prix Nika qui consacre les meilleurs productions filmographiques russes. Apprécions l'enthousiasme interprétatif des deux acteurs, et notons le choix d'un morceau célèbre, initialement un tango, devenu ensuite un standard du jazz, " Les yeux noirs" :
L'inquiétude qui se lit sur le visage du chanteur est probablement annonciatrice des déboires et de la fin funeste du héros qu'il incarne. Après un énorme succès dans toutes les capitales européennes dans les années 30, et l'ouverture d'un premier restaurant de prestige, il commet l'erreur d'en ouvrir un second en 1942 à Odessa, ville alors occupée par les Allemands. La clientèle étant essentiellement formée par les occupants, les accusations de collaboration commencent à pleuvoir, et la rumeur va gonfler au fil des ans. En 1950, la police l'arrête, le procès vite expédié et on le jette en prison. Il mourut dans celle de Târgu Okna, petite ville du nord-est de la Roumanie, à 56 ans, et de cause inconnue... maladie...coups... torture... Il faudra attendre la perestroïka au milieu des années 80, pour que la voix du " король романсов " (le Roi de la romance), parfois aussi surnommé " сладкоголосого соловья " (le Rossignol à la voix douce) soit de nouveau diffusée en Russie.
Alexander Tsfasman Vadim Kozin Alexander Vertinsky Jerzy Petersburski
Il faut bien sûr citer dans cette épopée du tango en Russie, les noms de Vadim Kozin, compositeur ayant réussi à combiner la passion gitane et la sensibilité de l'aristocratie russe ; Alexander Vertinsky qui chante l'émigration loin de son pays ; Alexander Tsfasman et son orchestre, qui initialement jouait essentiellement du jazz et se tourna ensuite, avec succès, vers le tango dans les années 30 ; et dans les mêmes années, le compositeur Jerzy Petersburski (disques et photos ci-dessus).
Bien plus tard, un
autre film russe, "
Une drôle de planète
" (Эта веселая планета), dans lequel figurent
Gloria et Edouardo Arquimbaud,
grands diffuseurs de tango dans le monde, met le tango à l'honneur en 1973. Il
s'agit d'un film comique dont l'extrait concernant la danse,
sérieux, lui, est visualisable sur la
quatrième page de la filmographie de ce site.
On notera que ces danseurs d'une ancienne génération exécutent, il y de cela un
demi-siècle, des figures de style que certains affublent aujourd'hui du qualificatif de "nuevo"...
Depuis Sebastian Arce et Mariana Montes et d'autres, ont pris le relais dans la diffusion du tango en Russie, et on peut dire qu'actuellement le niveau de danse, à Moscou et à St Petersburg est excellent, et la fréquentation plutôt jeune, de surcroît.
Et concernant la musique, l'excellente formation russe Solo tango orquesta connait un succès mondial, ci-dessous un petit extrait de La Cumparsita mais en version valse, issue de leur album Quejas de Bandoneon.
Et ailleurs dans le monde
En Chine
En Australie
Le Tango Sépharade et Yiddish
Conclusion - Bibliographie
Conclusion
Bibliographie (principalement)
- Tango nomade - sous la direction de Ramon Pelinski/ Ed. Triptique - Montréal 1995
- ¡Tango! - Simon Collier, Artemis Cooper, Maria Sazana Azzi, Richard Martin - Paris 1995
- El tango en España - Ernesto Portalet - Corregidor Buenos Aires 1996
- The Tango in the United States - Carlos G. Groppa / McFarland - North Carolina 2004
- Carlos Gardel en España - Manuel Gerrero Cabrera - Madrid 1920
Copyright 2012 Dominique LESCARRET
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