LES RYTHMES FONDAMENTAUX
origines, fusions, évolutions
La musique du Tango Argentin s'articule autour de plusieurs rythmes, du plus simple au plus complexe, empruntant autant aux polyrythmies d'origine Africaines, qu'à des rythmes Européens tels que Valse, Polka et Mazurka, en passant par des rythmes métissés d'appartenance Cubaine, tel que la Habanera . Nous retiendrons d'abord les notions de Cinquillo, de Habanera, et de Candombe, puis étudierons les apports des autres rythmes et leur fusion, pour pouvoir appréhender les notions nécessaires à la compréhension de la musique et de la danse.
Pour simplifier, Tresillo et Cinquillo sont une manière de faire tenir des rythmes ternaires (chaque temps est divisible par trois), dans des bases rythmiques binaires.
Ainsi, à titre d'exemple, le cinquillo inclut cinq notes dans un rythme à quatre temps, issu sans doute du quintolet existant dans la contradanza, elle-même issue de la contredanse française, (on le trouve même dans les valses de Chopin) avec différentes écritures possibles, et le passage de l'une à l'autre :
Le Tresillo Cubano (à ne pas confondre avec le terme Tresillo en Espagnol qui signifie un simple triollet) et le Cinquillo peuvent se jouer sur deux ou quatre temps, et sont des bases communes à toutes les musiques d'origine noire dans l'ensemble de l'Amérique du Sud et du Golfe des Caraïbes. Ces cellules rythmiques d'origine noire d'Afrique Centrale et Occidentale, sont les bases de la Clave, mais sont aussi présente, dans la musique européenne. On les retrouve aussi bien dans les musiques purement Cubaines que dans les musiques Colombiennes, certains morceaux de Jazz, et Tangos et Milongas. Rebaptisées 3-3-2, (trois demi temps, trois demi temps, deux demi temps), on les retrouve de Troilo à surtout Piazolla, même si elles restent sous-jacentes dans la plupart des Tangos et Milongas. Toutefois, c'est avant tout une manière de jouer, et ces formules rythmiques n'apparaissent pas forcément dans l'écriture des partitions. Dans le Jazz, cette manière de faire "entrer" du ternaire dans un rythme de base binaire, est une des composantes fondamentale du Swing.
La habanera est une forme musicale aux origines complexes et diverses. On la retrouve, bien sur à Cuba, mais aussi en Espagne dans le Nord comme dans le Pays Andalou, dans les Pyrénées Françaises, et dans les Musiques Nord Africaines de l'Atlas, même si de nombreux musicologues situent son origine dans la Contredanse
Elle est caractérisée par une cellule rythmique originale et récurrente, écrite sur deux temps :
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Une des plus célèbre utilisation du rythme de la Habanera dans la musique classique est le célèbre passage de la Carmen de Bizet : " L'amour est enfant de Bohème".
L'amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser,
Et c'est bien en vain qu'on l'appelle
S'il lui convient de refuser.
Rien n'y fait menace ou prière,
L'un parle bien, l'autre se tait,
Et c'est l'autre que je préfère,
Il n'a rien dit mais il me plaît.
Refrain: L'amour, l'amour,
L'amour est enfant de Bohème,
Il n'a jamais jamais connu de loi,
Si tu ne m'aimes pas je t'aime,
Si je t'aime prends garde à toi.
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Une autre Habanera connue, d'origine Berbère, a servi de générique à l'émission littéraire "Des Mots de Minuit". Il s'agit d' "Ana le owerka" disponible sur le CD "Trésor de la musique judéo arabe", par Lili Boniche, mythe vivant de la musique arabo-andalouse
Le Candombe est un rythme d'origine Centre Africaine, utilisé par les noirs d'Argentine et d'Uruguay, pays où il est encore très présent.
Sa rythmique de base s'écrit :
L'analogie de cet ostinato avec celui de l'Habanera est aussi évidente à l'écriture qu'à l'écoute, et il est vraisemblable que ces deux rythmes n'ont eu aucun mal à fusionner, seule la gestion des accents pouvant être différente.
Nombre d'entre-eux participèrent à l'élaboration d'abord de la milonga, et ensuite du Tango. Parmi ceux-ci, on peut citer :
certains rythmes du Baião Brésilien, et la Mazurka, la Scottish et la Polka, fort diffusées en Argentine
Mazurka Baião Scottish Polka simple
Si l'on regarde tous les rythmes présents à Buenos Aires à la même époque, les similitudes sautent immédiatement aux yeux. Chaque culture, Française par les danses telles que Mazurka Scottish, Valse et Polka, d'une part, Afro Cubaine (Afrique plus France et Espagne dans la Habanera), Indienne du Brésil comme le Baião ( qui se transformera en Forro), et enfin purement Africaine avec le Candombe, va pouvoir plus ou moins se reconnaitre dans le rythme des autres, l'adopter, le transformer et finir par donner la Milonga d'abord, le Tango par la suite. Même le vieux Passepied, à la mode à partir de 1650 en France (donc dans le Monde), comporte un rythme assimilable au 3-3-2, et inclue souvent une hémiole dans sa composition rythmique, hémiole ou l'art de faire tenir un rythme ternaire à l'intérieur d'un rythme binaire ou inversement ...
Passepied Habanera
→ ~
3-3-2
ou bien →
Mazurka Habanera
→ →
ou bien directement →
Baião 3-3-2
→ →
Même rythme brésilien, que dans la matchiche et que dans certains des premiers tango d'Angel Villoldo (El Esquinazo), qui évolue, après liaisons, vers le 3-3-2, appelé à Cuba tresillo (il s'agit du "tresillo cubano", à ne pas confondre avec le terme tresillo utilisé habituellement, et qui signifie simplement triolet)
Polka Habanera
→ →
Candombe On "supprime" les deux silences Habanera
→ →
Etant bien entendu que Habanera et 3-3-2 sont deux structures équivalentes que l'on retrouve dans les Milongas et les premiers Tangos
→ → ou
Le rôle des marches militaires fut également très important. D'abord parce qu'elles contenaient les cellules rythmiques fondamentales, des décennies avant la création du tango, et parce qu'ensuite, si l'on en croit les études d'Alicia Chust, sociologue argentine spécialisée dans les cultures populaires et auteur du livre " Tangos, orfeones y rondallas ", les bandas populaires, et les fanfares militaires, ont eu un rôle déterminant dans la création et la diffusion du tango... et les musiciens étaient bien souvent les mêmes.
D'ailleurs les tout premiers enregistrements de tango, fait en 1907 à Paris, furent le fait de la fanfare militaire de la Garde Républicaine, et la même année Angel Villoldo faisait enregistrer son tango El Esquinazo par la Banda Nacional de BuenosAires, et deux ans plus tard, par la Banda de la Policia.
Regardons l'exemple particulier de la " Marseillaise " : => Cliquez
Enfin, si les rythmes sesquialtères étaient très en vogue dans la musique baroque, deux siècles avant la création du tango, il existait également, au moins un siècle avant, des chansons folkloriques bâties sur les mêmes cellules rythmiques que celles du tango et de la milonga.
Regardons cet exemple, avec la chanson luxembourgeoise " Zu Arel op der Knippchen " écrite aux alentours de 1780, environ un siècle avant le premier tango.