La marseillaise, un tango avant l'heure ?

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Soyons clair : il ne s'agit pas de dire que notre hymne national est un tango, mais de chercher dans d'autres musiques antérieures au tango des rythmes qui s'y identifient.

Comme l'a très bien souligné la sociologue argentine Alicia Chust, dans son ouvrage "Tangos, orfeones y rondallas" (Ediciones Carena. 2008), le rôle des fanfares a été déterminant dans la naissance et la diffusion du tango, c'était les orchestres des populations les plus pauvres. Souvent les musiciens étaient les mêmes, jouant dans les défilés militaires comme ensuite dans les manifestations de défilé de carnaval ou de danse. D'ailleurs le premier enregistrement d'El Choclo a été enregistré, à Paris par l'orchestre de la Garde Républicaine, et le tango le plus célèbre de l'histoire, la " Cumparsita " n'était, au départ, qu'une marche de défilé à usage de carnaval.

Regardons les partitions respectives de La Marseillaise, 1789 (partition originale), et celle d'El Choclo, 1903. En jaune-vert la cellule rythmique type habanera, 1830, (ou sa version simple croche-pointé, double-croche noire ou blanche) ; souligné en rouge les départs des demi-phrases musicales par une anacrouse toutes les deux mesures ; enfin, cerclé en bleu, la cassure rythmique par quatre croches sur le 2/4 et quatre noires ou trois noires et un soupir sur le 4/4.

 Les ressemblances sont totalement frappantes.

On en profitera pour remarquer que bien souvent, et contrairement à une idée reçue, le tango n'a pas abandonné le rythme de la habanera, croche pointée, double-croche, croche, croche, et qui serait réservé à la milonga. Dans la réalité, dans de nombreux tangos de la première période, la différenciation se faisait ainsi : dans la milonga ce rythme était primordialement présent à la fois, dans l'accompagnement et dans la mélodie ; le tango s'en est affranchi dans la mélodie, mais l'a conservé dans la basse. Tango et milonga, pendant une longue période, se sont écrits de la même façon en ce qui concerne l'accompagnement rythmique. Les différences : l'affranchissement de l'ostinato rythmique dans la mélodie du tango, et sa "Bostonisation" qui a atteint toutes les danses a cette époque, le tango s'exécutant de manière généralement nettement moins rapide que la milonga.

La partition de la Marseillaise :

La partition d'El Choclo :

Les ressemblances sont totalement frappantes, mais pas si étonnantes, si on se rappelle qu'il s'agit d'une marche, que les orchestres et fanfares ont eu un rôle déterminant dans la création et la diffusion du tango, et que le plus célèbre de tous, la Cumparsita, n'est pas, à l'origine un tango, mais une simple marche de carnaval.

Le rythme de la habanera est d'ailleurs tellement présent dans la Marseillaise, qu'il est facile de l'interpréter, sans être iconoclaste, à la façon d'un tango ou d'une milonga, ce que fait régulièrement cet excellent orchestre dans le style festif et convivial, La Lora Tango. Cet orchestre sait, suivant le lieu et la clientèle, partir en délire et en impro, vers d'autres musiques  utilisant des rythmes sesquialtères ou leurs dérivés (jazz, musique antillaises etc...), mais il sait aussi interpréter avec brio des tangos, de façon totalement traditionnelle.

Ces rythmes se retrouvent dans de nombreuses marches militaires ou rythmes nationaux à travers l'Europe, mais aussi plus antérieurement dans des chansons ou musiques à danser populaires de la France et de l'Europe.

L'hymne national Polonais, est d'ailleurs parmi ceux-ci, un des plus intéressants, car il réunit deux des principaux composants du tango : une marche (militaire ou de défilé) et une mazurka. Il a été écrit en 1797, peu de temps après la Marseillaise. Il a été d'abord le chant de guerre des polonais engagés dans les campagnes de Napoléon en Italie, avant de devenir l'hymne national de leur pays.

En Argentine, un peu plus tard, en 1814, l'Almirante Guillermo Brown, signale l'utilisation pour les faits de guerre, de la Marcha The morning of St. Patrick day, marche irlandaise, dont le Tema de las Gaitas, reprend tout le long, une rythmique très proche de celle caractéristique de la Habanera : croche pointée, double croche, croche, croche, ou ses dérivés (La Música militar en la Argentina durante la primera mitad del siglo XIX / Dra. Diana Fernandez Calvo).

Mais revenons à la Marseillaise et écoutons ce petit passage de La Lora. Bien sûr l'attaque surprend, mais la reprise du tango passe totalement en douceur, et à chaque fois, les danseurs n'ont en rien à modifier leur danse.

Bien évidemment, cette page n'a pas vocation à prouver quoi que ce soit sur une quelconque origine privilégiée du tango, mais de mettre en lumière des cousinages, à travers cet exemple, avec nombre de musiques européennes qui lui sont très antérieures.

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