L'influence de Paris, la suite de l'histoire du tango en Europe

tango en Europe

=► 1.  Le tango en Espagne

=► 2.  Le tango en Angleterre

=► 3.  Le tango en Italie

=► 4.  Le tango en Allemagne

=► 5.  dans d'autres pays d'Europe

Finlande, Tchéquie, Pologne, Hongrie

=► 6.  et dans le reste du monde

Etats-Unis, Japon, Russie, Turquie etc...

1. Le tango en Espagne

Quand le tango est-il arrivé en Espagne ? C'est une question extrêmement difficile pour plusieurs raisons. Tout d'abord parce qu'il faut bien différencier la musique et la danse.

Concernant la musique, plusieurs théories disent que le tango est né en Espagne, partiellement ou totalement, avant que d'être exporté en Argentine. Ce serait donc le premier pays d'Europe à connaitre le tango, et ce, bien avant les autres... De toutes façons, que ce soit par les Zarsuelas, le Tango Americano ou la Habanera, Espagne et Argentine étaient musicalement très liées. On notera en 1892 le succès du "Tango en ré", opus 165 N°2 d'Isaac Albeniz. A remarquer également qu'il fut joué à Paris dès 1893, quand l'auteur s'y installa.

Ensuite concernant la danse et le nom même de tango, il existe une ambiguïté difficile à déchiffrer dans les références anciennes, entre le tango dit argentin, et le tango, forme de danse flamenca. Même en France la confusion dans l'annonce des représentations où le tango va être joué ou dansé, va durer une ou plusieurs années.

Nous nous contiendrons donc dans ce survol rapide, à la période commençant dans les premières années du vingtième siècle.

premier tango en espagne Comme dit précédemment, une musique tango était déjà présente sous d'autres formes (voir l'étymologie du mot "tango"), mais le tango tel que nous le connaissons arrive en 1904, avec un premier disque, enregistré par El Tano Genaro (Genaro Esposito) et distribués par la firme Odéon. Sur ce premier "double-face", on pouvait entendre quatre tangos. A noter que la firme Odeon était une idée originale de la société internationale Talking Machine de Berlin. La société avait été fondée par les industriels allemands Max Strauss et Heinrich Zunz, un homme d'affaires uruguayen d'origine allemande, Karl Lindström, marié à une Chilienne, et qui organisa cette firme phonographique pour en faire une force majeure de l'industrie internationale du disque. En 1907, la Rondalla Vázquez, formation que l'on peut apparenter à la Gardia Vieja enregistrait un tango resté célèbre : “¿Cómo te va del ojo?”.

Barcelone allait devenir l'épicentre du tango en Espagne, suivie par Madrid.

De l'époque qui précéda la grande guerre de 1914, il nous reste des tangos encore connus aujourd'hui comme celui de Teresita Zazá, chanteuse espagnole et son célèbre "Hora del té" en 1913 , un tango dans le style argentin d' Álvaro Retama et Ricardo Yust. Elle partit d'ailleurs faire une brillante carrière en Argentine en 1915, et ne reviendra en Espagne qu'en 1927. tango imperio argentin Elle eut l'occasion de partager la scène avec le duo Gardel-Razzano, en 1916, dans différents théâtres, l'Odeon de Mar del Plata, le Splendid, le Marconi, Avenida, Comedia, Empire, Florida de Buenos Aires. On peut citer aussi, dans un autre genre, l'actrice argentine Lola Membraves qui commence sa carrière en chantant des " Tonadillas ", petite pièce musicale servant d'introduction ou d'interlude au théâtre, dès 1904 à Madrid, à l'âge de dix-neuf ans. Parmi plein d'autres, il faut citer Imperio Argentina, née Magdalena Nile del Río, née en Argentine, mais de parents espagnols, chanteuse, danseuse et actrice (elle partagera l'affiche avec Carlos Gardel dans les films " La Casa es seria " et " Melodia de Arrabal " tournés à Joinville, en France en 1932 et 1933). Un peu comme en Argentine et en France c'est aussi les orchestres de la ville qui relayent l'arrivée du tango. Ainsi La Banda Municipal de Barcelona enregistre des tangos en 1915. Puis des compositeurs espagnols se font connaitre dans le monde du tango : Rosendo Llurba, Juan Viladomat, Leopoldo Corretjer, Keppler Lais, Ramuncho... A écouter ci-dessous le tango " Rocio " d'Imperio Argentina.............

pancho spaventa Francisco dit "Pancho" Spaventa

En 1922, la Compagnie des acteurs Catalina Barcena et Manuel Collado, vient en Espagne réaliser une série de représentation de leur spectacle " El cabaret de los pajaros " dans le Teatro Esclava de Madrid. Pour animer les entractes et la fin de représentation, ils engagent un chanteur, auteur comique, Pancho Spaventa. Celui-ci diffusa alors le tango auprès d'un public qui aussitôt l'adopta, lui et sa musique. La même année et après Madrid, c'est Barcelone qui fait appel à lui, par l'intermédiaire de l'auteur de la comédie.

Il grava à suive, de 1924 à 1929, toute une série de disques avec la compagnie La Voz de su Amo, puis avec Pathé. Spaventa fut le premier a introduire véritablement le tango chanté en Espagne. Ensuite il fut eclipsé par les tournées de Carlos Gardel. Ecoutons cet enregistrement de 1924, du tango " Patotero sentimental " :

tango de moda spaventa " Spaventa revient se produire à Barcelone, nous ravissant avec le charme particulier de son style et cette grâce fine et intentionnellement aristocratique qu'il sait imprimer à ses chansons. Il ne faut pas oublier que Spaventa a été l'un des premiers chanteurs à nous apporter le miracle des notes du tango argentin. Quand en Espagne les "típicas", avec leurs costumes pittoresques et leurs bandonéons, étaient presque inconnus, Spaventa nous offrait la plus belle chose du tango : ses mots, dans lesquels il mettait toute son âme exquise.

Il a recueilli nos tout premiers applaudissements, il a suscité nos toutes premières émotions, il a réveillé dans nos cœurs la douceur déchirante du tango, frère des romantiques - des derniers romantiques ! - de ceux qui ont faim et soif d'amour... Ces applaudissements qui étaient tièdes et qui, grâce à Spaventa, sont devenus tonitruants, sont aujourd'hui reçus par les autres orchestres qui viennent dans la Mère Patrie, mais aucun chanteur argentin ne peut comparer leurs lauriers frais avec les lauriers anciens et constamment verdis qui donnent aujourd'hui du prestige au travail de Spaventa.

Les jours se sont écoulés. Le public volage, inconstant comme une mauvaise femme, applaudit tel ou tel artiste, mais garde toujours une émotion délicate et sincère pour ceux qui ont réveillé des délicatesses dormantes et cachées. Spaventa est déjà passé par Barcelone, il revient une fois de plus et nous sommes sûrs que ce ne sera pas la dernière fois non plus. Il y a ici de très bons souvenirs de lui, et il a ici aussi de très bons amis et admirateurs, de sorte que pas un seul jour l'oubli ne puisse venir ternir le cristal de notre intime et sincère affection. "

En octobre 1928 une revue (extrait ci-dessus) se spécialise dans le tango. Editée à Barcelone, " El Tango de Moda "se consacre presque essentiellement à la musique, publiant à chaque numéro des partitions musicales et des articles sur les chanteurs, musiciens et compositeurs. Elles sera publiée régulièrement, pendant six ans, jusqu'en février 1934.

revista el tango de moda  revista el tango de moda  revista el tango de moda

Quelques couvertures de la revue El tango de Moda - extraites de la collection D. Lescarret

Les 22 premiers numéros des deux premières années sont à disposition des chercheurs

Deux exemples d'articles ci-dessous montrent la ferveur avec laquelle, les Espagnols accueillirent le tango

Dans le premier numéro, l'éditorialiste dresse un tableau sévère du monde de la chanson et du spectacle en Espagne, lorsque le tango arrive. Ci-dessous la page intitulée "El triunfo del Tango", dont on peut lire le texte traduit en français, en

cliquant sur l'image

triomphe du tango

 

Dans le numéro, de janvier 1929, le journaliste fait un portrait particulièrement élogieux de Miguel Calo, et encense la prestation de Catulo Castillo à Madrid. Deux articles d'El Tango de Moda dont on peut lire le texte traduit en français, en

cliquant sur l'image

tango de moda, castillo, miguel calo

Deux autres revues dédiées au Tango furent également éditée en Espagne : " Tangomania " dont le premier numéro sort en 1920, et " El tango popular ", sorti pratiquement la même année.

revista tango mania           revista el tango popular

tango irusta, fugazot, demare En novembre 1928 les  frères Canaro arrivent en Espagne. C'est d'abord l'orchestre dirigé par Rafael Canaro qui passe au dancing Maipú-Pigall de Madrid. L'orchestre est composé, outre Rafael à la contre-basse, de trois bandéonistes, Juan Canaro, Mario et Pedro Polito, Juan Tróccoli et le français Girard aux violons, Fioravanti de Cicco au piano, et le chanteur Carlos Dante.

Au même moment  Francisco Canaro arrive à Madrid avec un autre projet : un trio formé de deux chanteurs dont l'un guitariste, Irusta et Fugazot, d'un pianiste, Lucio Demare, et un répertoire de tangos et de folklores. Le trio, avec d'autres musiciens, jouera dans le prestigieux théâtre Maravilla, puis partira ensuite pour Barcelone.

A écouter ci-dessous, " En Un Pueblito Español " par le Trio Argentino.

champagne veuve joyeuse tangoMais si la musique se diffusait dans le pays, et venant souvent directement d'Argentine, pour la danse, Paris restait la référence, et nombreux étaient les espagnols aisés qui faisaient le voyage, pour aller y apprendre et pratiquer. Il y avait Magic City bien sûr, mais également Luna Park, qui était des lieux de divertissement, où ils aimaient se retrouver et faire la fête. Paris et le champagne ! Ci-contre une publicité espagnole (en fait une caricature de Sem dans son album le Nouveau Monde), pour la cuvée " Veuve joyeuse " de la marque " Veuve Cliquot " en 1913. L'original est à voir dans l'incontournable Musée Carnavalet, véritable mémoire de la Ville de Paris, parmi d'autres souvenirs dont les vestiges du Café de Paris rendu célèbre, entre-autres par les Castle. En suivant ces deux liens vous verrez deux extraits des deux films ayant immortalisé cet endroit de prestige, totalement disparu et oublié, et concernant les Castle, vous verrez les deux magnifiques cariatides qui ornaient la porte d'entrée, aujourd'hui conservées, là encore, dans l'incontournable Musée Carnavalet.

bernabe simarra profesor de tangoC'est à Paris en 1912 et 1913, en ces lieux précités, ou bien au Lido où il travaillait comme professeur de danse, que Bernabé Simarra, réputé comme étant le meilleur, sinon un des tout meilleurs danseurs au monde, prit contact avec des Barcelonais ; ou bien ce fut dans le célèbre Lido parisien. Après un passage dans l'autre Lido, celui de Venise (c'était la même clientèle), il s'installa en 1920 à Barcelone, fonda une académie de danse, et enseigna le tango à la haute société espagnole. Il y restera jusqu'à la guerre civile, en 1936, abandonnant tout, pour se réfugier et finir dans la misère à Montevideo. Dans l'image de droite, on voit Bernabé Simarra donnant un cours de tango.

En Espagne aussitôt, à Barcelone précisément, des établissements ouvrent, évocations de ce qui se passe à Paris, comme le 4 Gats, créé par  Pere Romeu, serveur du restaurant le Chat noir de Paris, et on ne peut oublier la Maison Dorée, lieu renommé mais aujourd'hui disparu. Reprenant le nom du prestigieux restaurant parisien où le chef Casimir Moisson avait créé le Tournedos Rossini en l'honneur de leur célèbre client du même nom. Situé Plaza Cataloni, c'est un café-restaurant à l'esprit très parisien, où sont inaugurés en 1912 parmi les tout premiers "thés-dansant" mettant à l'honneur le tango.

  maison dorée barcelone, le tango en espagne maison dore barcelona pub     maison dorée barcelone menu

Il fut ainsi publié en la revista Nuevo Mundo de febrero de 1914, ce regard vers Paris

dancing luna park paris  danseurs de tango espagnol luna park paris

Avec en légende : "L'aspect fantastique du grand salon de Luna-Park durant les heures avancées de la nuit, pendant lesquelles se danse le fameux Tango argentino - Groupe de distingués tangueros (tanguistas dans le texte d'origine) parisiens, clients assidus du célèbre restaurant de Lunapark"

juan viladomat tango espagneJuan Viladomat

Cependant, même si le tango dansé importé de France, se développa un peu sur Barcelone et Madrid, c'est surtout la musique, directement venue d'Argentine, qui toucha et passionna les espagnols. Une exception toutefois : un espagnol allait créer un tango qui devint un grand succès en Argentine et est encore aujourd'hui joué dans nombre de milongas... Le fait est assez rare, pour ne pas dire unique, et mérite d'être mentionné..

Dès 15 ans, il joue dans l'orchestre municipal de Manlleu, sa ville natale. Il étudie au conservatoire du Liceo de Barcelona, et complète sa formation à Paris. A la foie, flutiste et pianiste, de retour chez lui il va composer, jouer et enregistrer de nombreuses zarzuelas, sardanes, tout ce qu'il appelle non sans ironie "genero infimo" et quelques tangos comme Julieta et Tango prohibido.

Sur le thème de la drogue, très à la mode à l'époque, il avait commencé avec un premier tango, "Nubes de opio", nuages d'opium, mais son premier grand succès arrive en 1926 avec "El tango de la cocaína", pièce musicale centrale de la pièce de théâtre du même nom. Cette année là elle fut jouée plus de 500 fois au théâtre Victoria de Barcelone..

el tango dela cocaïna   tango de la cocaïna espagne   tango de la cocaïne juan viladomat

Mais c'est un autre tango qui va le rendre célèbre : Fumando espero

Ecrit en 1922 et jouée dans la revue musicale "La nueva España" sous le nom de "Tango del cigarro", il aurait été écrit initialement pour un groupe de fumeur dansant la Danse Apache, dans cette revue, jouée pour la première fois le 12 décembre 1923 au Teâtre Victòria, à Barcelone. Le morceau est incorporé au répertoire de la cupletiste Ramoncita Rovira, qui l'enregistre en 1926. Une autre chanteuse, plus connue, Rosita Quiroga, l'enregistre à son tour en 1927 avec l'orchestre Tipica Victor, aussitôt suivie la même année par Ignacio Corsini et Francisco Lomuto. Il est également présent dans les disques de Roberto Firpo , Carlos Dante avec Alfredo De Angelis , Libertad Lamarque avec Víctor Buchino ,  Carlos Acuña , La Bella Dorita, Imperio Argentina , Pilar Arcos et Mary Santpere, entre autres.

Il faudra attendre 1955, pour que le succès mondial arrive avec la célèbre interprétation d'Argentino Ledesma, accompagné par l'orchestre d'Héctor Varela, interprétation qui fait encore le régal des danseurs d'aujourd'hui.

Et enfin, apothéose de cette saga peu commune, le film espagnol "El último cuplé" de 1957, avec l'interprétation de Sara Montiel allait faire rentrer ce tango dans l'histoire. L'extrait chanté en vidéo ci-dessous :

Sarita Montiel, el ultimo cuple, tango      

Une anecdote : les paroles initiales, écrite par Félix Garzo (pseudonime de Antoni Josep Gayà),comportaient une strophe, jugée "indécente" : […] Tras la batalla en que el amor estalla, un cigarrillo es siempre un descansillo y aunque parece que el cuerpo languidece, tras el cigarro crece su fuerza, su vigor […] Le cigare comme stimulant et remède à la rétractation post-coïtale... ça faisait un peu désordre à l'époque de l'Espagne franquiste...

D'autres soucis de censure vinrent également du Grand Duc Wladimir de Russie lequel trouvait trop de ressemblances en le héros du film et lui-même, mais finalement le film fut un énorme succès, non seulement en Espagne, mais également à Hollywood. Fumando espero était mondialement consacré.

Et même si des artistes comme Carlos Gardel l'ont chanté et enregistré, la version le plus souvent appréciée dans les milongas, reste bien celle d'Argentino Ledesma, avec Héctor Varela et son Orquesta Típica :

        

Le legs de Viladomat contient des centaines de pièces, de manuscrits et de musique imprimée, et une vingtaine d'enregistrements sur disques anciens.

Deux autres compositeurs l'un de Bilbao l'autre de Barcelone, méritent également d'être signalés : Ramón Bertrán Reyna (Ramuncho) pour le texte et Patricio Muñoz Aceña (sous le pseudonyme de Keppler Lais) écrivent le tango La Cieguita, en 1926. Présenté à Carlos Gardel, celui-ci l'inscrivit à son répertoire et l'enregistra le 17 décembre 1927, à Barcelone. L'interprétation en fut plusieurs reprise, dont celle notamment de Libertad Lamarque, dans un film espagnol sortie en 1961, Bello recuerdo, avec le gamin célèbre Joselito, la "Voz de Oro" de España.

       

Les émigrés

On peut également citer des espagnols partis faire carrière en Argentine, comme Manuel Jovés (Barcelone), auteur de plusieurs tangos dont sept furent enregistrés en 1922 par Carlos Gardel, et deux sont particulièrement célèbres : "Loca" et "Patotero sentimental", sans oublier Antonio Viergol, le co-auteur de Loca, un madrilène parti au pays du tango.

A l'autre bout de la péninsule, à Bilbao, on trouve Luis Bayón Herrera “Juan Pueblo”, lui aussi parti à Buenos Aires, et auteur entre-autres de “El taita del arrabal” et “Un tropezón”, également enregistrés par Gardel.

Malheureusement la période noire du tango allait commencer en 1935, année de la mort de Carlos Gardel, véritablement idolâtré en Espagne, et se poursuivre à partir de 1936 avec la guerre civile, la prise de pouvoir par le Général Franco en 1938, et la chute de Madrid et de Barcelone en 1939...

Pour la danse, il faudra attendre 1983, comme partout ailleurs, pour que le tango dansé reparte en Espagne, mais encore aujourd'hui, malgré quelques évènements de prestige comme le Festival de Sitges, il reste moins développé au niveau de la danse, qu'en France ou qu'en Italie... même si les choses semblent être en train de changer...

En conclusion, et comme on va le voir pour d'autres pays, on peut dire que globalement la musique est arrivée directement d'Argentine, et la danse par l'intermédiaire de Paris, avec les transformations qu'elle y avait subi.

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2. Le tango en Angleterre

Les Londoniens auraient vu le tango joué pour la première fois en 1912 dans la comédie musicale The Sunshine Girl au Théâtre Gaiety. Démarré le 24 février, il y aurait eu 336 représentation de la pièce, jusqu'en février 1913. L'acteur et danseur de la revue, Georges Grossmith, enseigna le tango aussitôt après, il l'avait appris à Paris en 1911-1912. Les restaurants et les hôtels créèrent rapidement ensuite, des espaces pour danser avec accompagnement d'orchestres.

Ci-dessous à gauche, on peut voir Georges Grossmith dansant avec Miss Kitty Mason en première page du magazine The Sketch en 1913. Dans le commentaire, on parle de "Vrai tango", mais la position des pieds des deux partenaires, fait immédiatement penser à Irene et Vernon Castle dansant leur "Castle walk"...

the sketch tango 1913 maurice mouvet tango londres 1913

Effectivement, deux des principaux acteurs, de la propagation du tango à Londres, furent Maurice Mouvet, d'une part, et Irene et Vernon Castle, d'autre part, tous en provenance de Paris. Ci-dessus, à droite, on peut voir une publicité pour les thés-dansants du restaurant "Prince's", avec Maurice Mouvet et Florence Walton.

Comme partout, les classes conservatrices manifestèrent leur opprobre, mais des personnes de renom comme Lady Diana Manners, se mirent à fréquenter les thés-tango, entrainant avec elle une bonne partie de la gentry londonienne. Les duchesses de Marlborough et de Manchester, la comtesse d'Essex, Mme George Keppel et Mme Hwfa Williams (épouse de Thomas Anthony du même nom, officier de l'armée britannique et proche du futur roi Edouard VII) lui emboitèrent le pas.

Le journal Illustrated London News, du 25 October 1913, écrit dans sa publicité et à propos du tango : "London is already been bitten severely with the craze; it has swept Paris clean off its feet; every other capital is getting the infection", "Londres est déjà sévèrement mordu par l'engouement qui a balayé Paris de ses pieds ; toutes les autres capitales contractent l'infection." Les cours commencent à fleurir comme le signale le journal The Tatler de novembre 1913, illustrant son propos de quelques figures d'apprentissage du tango (ci-dessous à droite).

Tango records londres 1913    the tatler tango 1913

La consécration officielle arrive lorsque le Grand Duc Michel Mikhaïlovitch de Russie, vivant en exil à Londres, organise dans le Palais de Kenwood House, une soirée où assiste la Reine d'Angleterre, Mary de Teck. Celle-ci trouve la danse exécutée par Maurice et Florence Watson, "charmante" et en apprécie la démonstration. Le tango avait gagné.

Outre Paris, la vogue du tango avait été amenée et entretenue par la gentry londonienne qui avait l'habitude d'aller dans les stations balnéaires françaises, Deauville particulièrement réputée pour le tango et également Le Touquet. On voit ci-dessous cette publicité du Dancing Time pour un long week-end, du 12 au 19 septembre 1913, où, sont proposés tournois de golf et de tennis, mais où l'argument publicitaire principal, est bien le tango, un grand concours en étant, en outre, organisé.

dancing times tango 1913

"The Tango craze" est tel à Londres, qu'il en est fait écho jusqu'en Australie, au fin fond du Queensland. Le "Townsville Bulletin" du 20 décembre 1913 écrit ainsi dans un article intitulé "The Tango craze, all London to dance it" :

daily mail tango londres 1913" La danse tango a conquis Londres (dit le 'Daily Mail'). Son avance a été irrésistible. Aucune danse n'a gagné une telle popularité aussi soudainement et complètement. C'est en train de devenir la diversion reconnue à l'heure des repas. Il y a des thés tango, des dîners tango, des soupers tango. Des hôtesses organisent des pratiques de tango chez elles ; Lady Garvagh a organisé son deuxième thé de tango chez elle, 4, Marble Arch, hier, et ce fut un grand succès. Les restaurants introduisent à la hâte la danse comme une attraction quotidienne.tea time tango londres 1913
Lundi soir, il y aura un souper tango au Trocadéro, avec le professeur Cook comme interprète de la danse. Chaque jour, il y a des soupers tango au Savoy, des thés et des soupers tango au Princes' Restaurant, des thés-tango au Queen's Theatre. Les thés-tango du mardi et du vendredi ont lieu à l'Opéra de Londres. La danse est si fascinante que la grande difficulté d'en apprendre les étapes complexes ne dissuade pas les gens. Les professeurs de tango sont très demandés, mais très peu sont compétents pour donner des cours. Et il faut bien connaître la danse ; le désastre attend l'audacieux qui s'aventurerait sur le sol dans l'espoir de capter les combinaisons déroutantes
."

the tango and how to dance it Les cours : bien évidemment les professeurs, auto-proclamés pour la plupart, comme partout et de tout temps, pullulent. Les articles et "méthodes" également. Le travail le plus sérieux fut effectué par Gladys Beattie Crozier qui publia un ouvrage de 210 pages sur le sujet. Bien sûr, les explications sur l'origine du tango et la façon de le danser feraient aujourd'hui sourire, il n'en reste pas moins que nombre de détails que l'on y trouve sont particulièrement intéressants.

where to dance tango londres 1913 Regardons quelques extraits de l'exemplaire de la collection de l'auteur de ce site, Dominique Lescarret. D'abord pour illustrer le paragraphe sur les thés-tango, Gladys en publie une liste intéressante à la page 76 de son ouvrage, ci-contre.

Outre les grands hôtels déjà signalés, Carlton, Waldorf, ou l'hôtel Cecil, on y note que le Savoy abrite le Public Schools and Universities Dance Club ce qui est le signe d'un balbutiement de brassage social, même si en Angleterre les "Public Schools"... sont payantes. On note également la présence de tango en 1913 aux Grafton Galleries, s'intercalant, ou plus vraisemblablement en parallèle, des expositions de Manet en 1912, et des Maîtres espagnols en 1914. D'autres galeries artistiques accueillent également des évènements tango. On en trouve aussi à la station balnéaire de Brigton, et également à Westgate-on-Sea, située non loin de Canterbury et de Douvres. Plus étonnant, le Nord-Est de l'Angleterre, pourtant très éloigné de Londres (environ 400km à vol d'oiseau) est également touché par la vague du tango, les villes de Scarborough et Newcastle étant mentionnées.

Dans ce chapitre, la présence lors de ces thés-tango du One-Step est signalée, ce qui aura et avait déjà une forte influence sur la manière de danser, en particulier avec l'introduction de la marche (mais toujours, alors, en commençant du pied droit), et les références de lieux sont Paris, Biarritz et la Riviera italienne, ce qu'elle appelle en français le "Haut Monde".  Au Waldorf Astoria, elle note la pratique, en outre, du Boston, et le mélange par certains des pas de la Maxixe et du Tango.

Gladys développe ensuite une description de chacun de ces lieux de danse, insistant sur le plus célèbre et le plus couru, celui du Carlton avec sa décoration raffinée couleur ivoire et or mat, et sa rigoureuse sélection d'invités. Outre le One-Step, le Two-Step et la Maxixe, sont également cités, ainsi que le nom d'un couple célèbre de démonstrateurs "français", les Almanos, dont on n'est pas sûr qu'ils aient connu un jour notre pays... Mais la France est au goût du jour, nombre de mots "Monsieur", "Mademoiselle", "Table d'hôte", sont en français dans le texte, comme d'ailleurs les noms de figures "Ciseaux", "Promenade", "Pas oriental" , "L'aller et retour", etc...

Ensuite, incontournable comme dans tout manuel d'apprentissage de la danse, une bonne place est laissée aux figures, avec 32 photos pleine page en fin d'ouvrage, et quelques croquis au fil des textes explicatifs. On remarquera quelques détails intéressants. Tout d'abord La Promenade, qui n'a plus rien à voir avec la promenade du Tango Parisien : en fait il s'agit de quatre pas de marche, l'homme commençant du pied droit, l'influence plus précoce et plus importante des Etats-Unis ayant sans doute amené le One-Step plus tôt qu'à Paris. Ensuite la fameuse "Promenade Parisienne" (que l'on retrouve encore aujourd'hui dans le "Tango Américain") devient ici le "Pas Oriental". Un passage des bras des deux danseurs en arche vers le haut, est caractéristique du mélange avec la Maxixe. Enfin une forme de "Soltada" avant l'heure avec un "Tour sous le bras" possible vestige de la technique identique utilisée dans la contre-danse française et baptisée... l'Allemande. L'Europe était déjà en marche, et si on regarde la contre-danse allemande du XVIIIe siècle, on voit que nombre de "passes" de Rock sont déjà présentes, mais également des techniques de Salsa et de Rueda cubaine...

figure tango la promenade  figure tango pas oriental  figure tango maxixe  figure tango soltada

Concernant la musique, Gladys insiste sur le style espagnol des tangos, et outre le grand succès de l'époque "El Choclo", elle cite "Chispa" de Maria Gutierrez-Ponce, dont on n'a retenu que le tango "Viva el principe", enregistré en 1927 par El "Tano" Genaro Esposito qui le jouera souvent durant son long séjour à Paris. Un autre tango est également cité : "La Belle créole" composé par un chef d'orchestre anglais, Richard Farban, mais antérieurement, vers 1898, donc avant l'arrivée du tango argentin à Paris. La confusion existant alors entre le tango espagnol (musique et danse solo type flamenco) et le tango argentin se retrouve dans ce morceau, qui s'il a bien le rythme des tangos de l'époque, laisse entendre par moment des accompagnements de castagnettes que l'on distingue nettement à 1'15". Mais si ce morceau a été effectivement écrit par un anglais aux alentours de 1898, cela interroge quelque peu sur l'arrivée effective du tango en Europe...

       

D'autre tangos sont conseillés dans l'ouvrage, la majeure partie d'entre-eux n'ayant pas traversé l'histoire. On retrouve la trace de la partition de "Mitsou tango" à la BnF et qui est cité comme ayant été enregistré par un orchestre Tzigane hongrois à Paris en 1912. Parmi les tangos que nous connaissons, on peut remarquer "Chiquita Tango" de Villoldo, "El Irresistible" de Logatti (repris par D'Arienzo, Troïlo, Biagi et d'autres encore), et "Joaquina" de Bergamino (enregistré en 1910 par l'Orquestre Greco, avec Francisco Canaro au violon, et repris par d'Arienzo et Roberto Firpo). On notera la haute qualité des tangos retenus par l'auteur, et par les organisateurs de ces thés-tango.

Gladys consacre tout un chapitre au tango pour les enfants. Il s'agit là d'une particularité que l'on ne retrouvera pas dans les autres pays, peut-être à cause du caractère trop sexué pour l'époque, de la danse. Malgré cela Gladys en préconise l'enseignement à l'école pour les plus jeunes, mais avec une orientation déjà marquée vers la compétition, ce qui préfigurait toutes les outrances ultérieures de la danse sportive qui sera essentiellement codifiée par les Anglais...

Outre un petit chapitre sur le tango sur patin à glace (également très en vogue à Paris), deux chapitres sont consacrés à la mode vestimentaire et les choix à faire en matière d'habillement pour aller danser le tango. Des conseils sont également donnés pour les soirées déguisées et comment s'habiller en paysan espagnol, en paysan argentin et en tzigane.

robe tango gladys crozier  robe tango gladys crozier  pall mall gazette robe tango 1913  léon bakst robe tango ethel levy 1913

Les deux croquis de gauche sont tirés de l'ouvrage de Gladys Crozier, le troisième vient d'une publication du journal anglais Pall Mall Gazette de 1913, le dernier, à droite, représente le costume créé par Léon Bakst, célèbre à l'époque, pour la vedette Ethel Levy dans le spectacle Hello! Tango, inauguré à Londres fin 1913. On remarquera que la révolution vestimentaire de Paul Poiret popularisant la jupe-culotte en 1911, n'est pas encore arrivée à Londres, et que le bas des robes reste très serré, ce qui ne devait guère être pratique pour la danse... mais, bien caché, existait dans la sous-jupe, parfois de type "pantalon persan", un passage permettant au pied du danseur de s'y glisser suivant le besoin des pas. Dans l'image de droite, ci-dessus, on voit une fente nettement plus marquée, permettant une bien plus grande aisance des jambes, mais il s'agit d'un costume de scène, et d'usage peu courant dans les thés-tango. Pour le reste on note une orientalisation des tenues, et le choix d'étoffes légères, souvent du taffeta de soie, toujours très raffinées.

Dans le journal Vanity Fair de décembre 1913, on retrouve les mêmes tendances, l'image de gauche, ci-dessous cette fois, marque le début de la liberté accordée aux jambes de la femme, par l'élargissement du bas de la robe, et à l'extrême droite par une amorce de jupe-culotte. Dans l'article concerné, il est noté que la référence en la chose est Paris, pour la mode et pour la qualité de danse, citant en particulier les cabarets de Montmartre.

robes tango vanity fair 1913 robe culotte tango vanity fair 1913

L'article est publié sous la forme d'une visite des cabarets de Paris, et mentionne par ailleurs que c'est là que Vernon Castle (chapitre 7 - Le Tango aux Etats-Unis)  y aurait appris le tango.

Et puis la guerre arrive...

Pendant la guerre, à la différence de la France (sauf vers Deauville et Nice...) où la danse et les festivités ne sont pas de mise vue la situation, voire totalement interdites, les Anglais continuent à danser. Non seulement Londres, mais tout le Royaume Uni. Et même en France, les troupes britanniques dansent, y compris le tango, pendant leur période de repos, loin des tranchées. Une anecdote extraordinaire, mettant en exergue la mentalité et l'originalité du caractère écossais, relate que leurs troupes, dansaient le tango dans leur camp de repos à Deauville, en sortant du bain... et au son du bagpipe... "Incredible" !

L'anecdote telle que relatée dans le Tome 2 de "L'Epoque Tango", écrit en 1920 : cliquez

Au lendemain de la guerre, la danse repart de plus belle. Le «boom de la danse» a été remarqué dès 1919 – comme The Sunday Sun (journal régional de Newcastle) l’a observé : « Il y a un grand boom dans la danse. Depuis le silence des armes à feu en novembre dernier, il occupe une place prépondérante dans la vie sociale de l'individu. Là où c'était autrefois un art, c'est maintenant devenu un engouement…..si les choses continuent comme elles sont actuellement, il est prudent de supposer que la danse deviendra bientôt une obsession pour la majorité de nos jeunes citoyens.»

Loelia Ponsonby tango londres 1920Les gens dansaient à la maison, dans les salles de danse et les boîtes de nuit et même entre les plats en dînant dans les restaurants, et la popularité de la danse dominait la scène d'après-guerre. Loelia Ponsonby (plus tard duchesse de Westminster), a rappelé: «Soutenus par rien de plus que du thé ou du café (un verre de sherry l'aurait transformé en une orgie), nous avons "trotté" sans relâche jusqu'à ce qu'il soit temps de rentrer chez nous et de nous changer en robe de soirée pour une vraie danse… la danse était plus qu'un engouement, c'était devenu une sorte de religion mystique.»

Mais comme on le note dans le témoignage de la jeune future duchesse, en photo ci-contre à gauche, on parle de... "trotter"  : en Angleterre comme en France, le tango a un nouveau concurrent, le Foxtrot.

Et comme en France, Foxtrot et Tango vont se mélanger, mais encore plus en Angleterre. Et même la Valse va participer à ce mélange. Et c'est en 1922 qu'arrive ce que certains considèrent comme un malheur : la codification des "danses standards", et en particulier du tango... faite par des Anglais qui étaient bien loin de la danse d'origine...

On dit que l'un des acteurs principaux de cette codification était Santos Casani que l'on peut voir dans les courts extraits vidéo ci-dessous :

       

Deux autres personnages allaient intervenir pour codifier, certains diront figer, voire dévoyer, les danses de l'époque. Victor Silvester d'abord qui remporte le premier Championnat du Monde organisé par l'Imperial Society of Teachers of Dancing (ISTD). Il invente des pas, les codifie et, étant également musicien, il commence à éditer des disques spécialement adaptés à la danse. Particularité de ces enregistrements : pas de chant et un tempo strict et renforcé facilitant le repérage des danseurs. Avec en plus 23 studios de danse, et plus tard, dans les années 50, son émission à la BBC, il lui fut très facile d'imposer sa propre vision de la danse, une vision très... "standardisée".

josephine bradley orchestra tango savoy tango album victor silvester modern ballroom dancing tango

L'autre personnage important dans cette évolution codificatrice et musicale, fut une femme, Joséphine Bradley, championne du monde de foxtrot en 1924, grande concurrente de Silvester, et qui, elle aussi, édita des musiques "simplifiées" à usage de la danse et de la compétition (et c'est toujours le style des musiques artificielles et épouvantables, qu'on nous inflige aujourd'hui...). Ils furent malheureusement les principaux artisans de la codification du tango...

On voit sur la photo du recueil de partitions du Savoy, ci-dessus, les titres des tangos populaires joués en ce lieu, et la présence d'une batterie dans l'orchestre. L'Argentine est bien loin... même si les musiciens sont déguisés en gauchos...

interdiction danses sauvages londres 1931Le pire était à venir : en 1931, l'Angleterre qui régnait sur le monde de la danse sportive, allait se couper encore plus d'évolutions et d'innovations. Les "autorités" sans doute débordées par l'arrivée de nouveautés, se restreignent sur les grands classiques et sur... la "Valse tango" ! Regardons ce petit texte, ci-contre à droite :

"Aucune nouvelle danse ne sera introduite en 1931, selon la décision du conseil officiel des directeurs du contrôle des salles de danse, à Londres. Santos Casani , l'un des principaux managers, a annoncé qu'il se concentrait sur la vulgarisation de la "valse tango", et met spécifiquement en vedette la valse viennoise. La danse sauvage ne sera pas autorisée dans les salles de bal anglaises."

La porte venait de se refermer sur les nouveautés et évolutions, et sur le tango argentin, pour près de quatre-vingt années...

Et aujourd'hui ?

Comme le reste du monde, l'Angleterre fut conquise par les performances de la revue Tango Argentino, surtout après son succès à Brodway. On raconte que c'est un peu plus tard, en 1990 qu'un certain Andrew Potter, passionné par le spectacle d'une autre revue, Forever Tango, aurait monté avec un groupe d'amis, le premier cours et la première milonga dans le centre culturel London Welsh Center.

Plus tard, en 1997, une réalisatrice anglaise, également chanteuse et danseuse nommée Sally Potter va réaliser le principal film culte du tango argentin : La leçon de tango ! Les acteurs principaux en sont ceux qui à la même époque révolutionnent la danse : Pablo Veron, Gustavo Naveira et Fabian Salas. L'impact est énorme. Aujourd'hui, même si le tango argentin est moins présent en Angleterre qu'en France ou en Italie, il est définitivement de retour, en particulier à Londres.

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3. Le tango en Italie

Comment le tango est-il arrivé en Italie ? Là encore il faut distinguer deux aspects différents : l'arrivée de la musique, et celle de la danse.

En ce qui concerne la musique, elle arrive directement d'Argentine. Il faut rappeler que l'émigration italienne a été massive en Argentine, mais aussi que de nombreux italiens faisaient l'aller-et-retour entre cette terre d'immigration, et leur patrie d'origine, certains installés là-bas rentrant d'ailleurs définitivement (voir page sur l'immigration). Il faut aussi souligner que nombre de grands compositeurs de tango étaient italiens ou enfants d'italiens, et nombre d'entre-eux commencèrent à se faire connaitre entre 1910 et 1920.

Et la danse ? C'est là que l'on retrouve deux villes emblématiques du développement du tango en France, puis en Europe : Paris et Nice.

D'abord Paris, capitale culturelle du monde à cette époque. On y rencontre plusieurs sortes d'Italiens : des émigrés, des artistes et des nobles et autres gens riches venus y faire la fête.

Les transporteurs de culture :

Les émigrés :  1861 date de l'unité italienne, est paradoxalement aussi la date du début des grandes émigrations au départ de la péninsule. Il faut aussi se rappeler que le "Resorgimento" est l'œuvre de Garibaldi, qui s'était illustré auparavant... en Uruguay, même si on n'y parlait guère encore de tango (mais peut-être déjà des débuts de la milonga). En 1911, le tango est arrivé en France depuis environ six ans, et il y a 500 000 italiens installés en France, lesquels font des aller-et-retours vers leur patrie d'origine et y envoient souvent leurs enfants pendant plusieurs années. La musique étant très populaire dans cette population, il y a fort à penser que les transferts culturels, dont particulièrement ceux concernant le tango, furent nombreux. D'ailleurs, dans l'autre sens, c'est vers cette époque que les italiens amenèrent en France l'accordéon qui supplanta le "cabret" des auvergnats, et donna naissance au style musette.

Les artistes :  Loin de Paris, difficile d'arriver à une grande notoriété. A titre d'exemple, le plus célèbre poète du moment, Gabriele d'Annunzio, était un danseur passionné de tango et pratiquait à Paris et dans son "annexe" des beaux jours : Deauville. Il fut croqué par le caricaturiste Sem dans son album "Tangoville", dansant le tango avec Ida Rubinstein, en sortant d'un plat de... spaghettis ! http://www.histoire-tango.fr/histoire danse tango/Les possedees.htm

 

gabriele d'annunzio arcachon      gabriele d'annuzio sem

Gabriele d'Annunzio, prince de Montenevoso, était un personnage sulfureux. Grand amateur de femmes, il dilapidait son argent en de multiples débauches, et criblé de dettes, dut se réfugier en France, d'abord à Arcachon (photo du dessus à gauche, dans sa villa St Dominique) où il collabore avec Claude Debussy pour écrire Le martyr de St Sebastien, ballet choral qui va susciter l'ire du Cardinal Amette, celui-là même qui va lancer ensuite la campagne des évêques français contre le tango : ..\grands themes\eglise et tango.htm

maria luisa casati A Paris il rencontre l'extravagante marquise Maria Luisa Casati Stampa, une italienne de Milan, qui l'initie au tango, tango qu'il pratiquera également avec l'actrice et danseuse Ida Rubinstein. Il était souvent accompagné dans cette passion, par son ami le sculpteur Rodin. Maria Luisa connue pour ses soirées extraordinaires avait d'ailleurs accueilli chez elle les Ballets Russes. Elle apparaissait avec un python noir autour du cou et avait coutume de se promener la nuit dans les rues de Venise, avec, en laisse, son guépard familier... A noter que tous ces personnages affectionnaient ce que Gabriele d'Annunzio appelait "la tuile de Perse", en l'occurrence la cocaïne, ce qui rajoutait encore au côté sulfureux du tango. Ci-contre à gauche, Maria Luisa Casati.

De Paris, d'Annunzio retourne en Italie, et y devient un héro de guerre. Membre du Grand Orient, son influence politique sera influante. Nul doute également qu'il fut un personnage important dans l'importation du tango dansé, et sa défense dans la péninsule. A noter quelques phrases célèbres de ce grand libertin, mais aussi poète et penseur : " France, France, sans toi le monde serait seul " , reprenant ainsi dans un de ses sonnets, un vers de Victor Hugo ; ou cette pensée, révolutionnaire à l'époque, et étonnante de la part d'un libertin, qui prône "une égalité absolue des sexes devant la loi, l'éligibilité des femmes à toutes les fonctions privées ou publiques".

Du côté des peintres, c'est, par exemple, Gino Severini, venu de Toscane, créateur du genre "futuriste", et qui peint les deux toiles ci-contre, toutes deux intitulées "Tango argentino" en 1913. Il peindra la même année "La Danse de l'Ours", autre danse de couple à la mode du moment. Il avait également peint un couple de  "Danseur à Pigalle" en 1912.

ginoseverini ginoseverini ginoseverini

Exposée au Centre Pompidou, une autre de ses œuvres célèbres "La Danse du pan-pan" illustre une autre mode de danse de couple, et un lieu, Le Monico, un des temples du tango.

Cliquez sur ce lien pour découvrir cette peinture et ce lieu célèbre de la pratique du tango : Les années folles - Le Monico

Mais à l'intérieur du mouvement futuriste, on va trouver les mêmes clivages que dans le reste de la société concernant le tango, et même quelques propos très réactionnaires pour des ..."futuristes"...tommaso marinetti parsifal tango

Ainsi Filippo Tommaso Marinetti, écrit une diatribe extravagante, à la fois contre le tango et contre Wagner. Il y écrit à propos du tango : "Gouttes d'amour. Miniature des angoisses sexuelles. Barbe à papa du désir. Luxure en plein air. Délire tremens... Tango, funérailles lentes et patientes du sexe mort ! ... On crie «A bas le tango!» au nom de la Santé, de la Force, de la Volonté et de la Virilité…" On imagine la façon de danser de l'auteur, et sa vision de l'amour, quand il précise : "Posséder une femme, ce n'est pas se frotter contre elle, mais la pénétrer... Un genou entre les cuisses ? Il en faut deux !...Vive la brutalité d'une possession violente et la belle fureur d'une danse musculaire grisante et fortifiante."

Nous sommes en 1914, le tango est depuis un an en Italie, mais, comme en France, la guerre contre la danse, y est déjà déclarée. Et comme en France, l'Eglise aura son mot à dire... mais c'est une autre histoire et à part entière à découvrir ici...

Les nobles et les riches

pichetti tango italiapichetti tango italia

Nous venons d'évoquer ce type de personnage avec l'épisode d'Annunzio, mais il y en a d'autres que l'on va retrouver à Paris, à Deauville, mais aussi à Nice et à Monte-Carlo. Nice, lieu de rencontre de toute l'Europe huppée et richissime, est aussi un lieu de plaisir, voire de débauche. Le tango y est très bien accueilli et pratiqué, surtout en période de carnaval où l'usage de l'Opium et de la Cocaïne est une pratique courante... et Nice est "à moitié italienne"... Encore plus près de la frontière de la péninsule : Monte-Carlo. On y retrouve d'ailleurs un "Café de Paris" (voir ce lieu emblématique sur la page Arrivée du tango à Paris . Voir également son rôle sur la diffusion du tango aux Etats-Unis) A partir de 1914 les professeurs de tango commencèrent à exister en Italie et ainsi le Duc des Abruzzes apprit la danse avec le plus célèbre professeur de l'époque : Pichetti (au-dessus à gauche).

luigui bompard tangoLe journal L'Illustrazione italiana N°27, du 6 juillet 1913 reproduit ce dessin de Luigui Bompard, montrant la pratique du tango dans un salon parisien (dessin ci-contre à gauche).

Cet italien de Bologne, né d'une mère italienne et d'un père français, faisait de nombreux aller-et-retour entre les deux pays. C'est à Milan où il s'est installé en 1911, qu'il publie ce dessin.

A Paris, où il séjourne souvent, il est influencé par Léonetto Cappiello qui peint affiches et portraits du monde de la danse et de la haute société.

Luigui Bompard, comme Léonetto Cappiello, rentrés en Italie pendant la guerre et repartis en France après, font partie de ces artistes qui importèrent la "tangomania" parisienne en Italie.

Les cours et manuels de danse commencent à fleurir. En 1914, Gavina Giovannini publie un magnifique petit ouvrage, "Balli d'Oggi" (danses d'aujourd'hui, qui sera réédité en 1922) donnant une bonne part au Tango et à la Maxixe. On remarquera que dans son introduction concernant le tango, derrière le nom espagnol figure la traduction... en français ! Traduction qui peut prêter quelque peu à sourire : comme on peut le voir sur l'extrait ci-dessous, le "Corte" étant devenu... le "Départ"...

balli d'oggi tango italia

cours de tango balli d'oggi

Extrait d'ouvrage de la collection D. Lescarret

Un autre extrait des images du cours est ici dans le paragraphe "introduction de la marche"

On notera que le Corte, le "Départ" devient, d'après les explications, l'équivalent d'une forme d'hésitation ou de balance :

"1.Le cavalier avance son pied droit. 2.le pied gauche rattrape le droit. 3.Recul dans la même position. 4.Recul du pied gauche".

Tout juste un an après, en 1915, c'est un autre professeur de Milan, Manassero, qui publie également son cours. On y notera, là encore la traduction "en français" des termes espagnols, et la mention d'une danse française "La valse poudrée", une valse lente (la "Bostonisation" des danses est en marche) écrite par le français Francis Popy (1874-1928). Là encore, comme dans la majorité des ouvrages de l'époque, le cavalier commence ses figures, par le pied droit.

tango manassero   tango manassero

Et puis l'Eglise s'en mêle... ou bien s'emmêle...

eglise et tangoNous sommes début 1914. Une bonne partie des catholiques sont "offensés" par le tango, véritable "Danse de Satan" à leurs yeux. Contrairement à la légende, le Pape ne s'en mêle pas directement, mais les évêques et cardinaux montent au créneau, même si la contestation religieuse est encore plus forte en France qu'en Italie. Les articles virulents de l'Osservatore Romano, organe officiel de presse du Vatican, ne laissent aucun doute sur la position officielle du Souverain Pontife. Bien sûr quelques argentins racontent des démonstrations imaginaires devant le Pape et viennent enrichir les légendes infondées qui encombrent l'histoire du tango.

Il faudra attendre 2014, soit un siècle plus tard, pour que le Pape  François, lui-même Argentin, prenne officiellement position vis-à-vis de cette musique et surtout de la danse, position favorable fort heureusement. L'auteur de ce site, Dominique Lescarret, y est un peu pour quelque chose...

 Voir l'Eglise et le Tango, une page d'histoire passionnante.

A noter que l'Eglise monta au créneau partout dans le monde, y compris au Canada, et que partout, outre les condamnations d'ordre religieux, un très fort parfum de xénophobie flottait sur ces prises de position moralisatrices.

D'ailleurs toutes les "danses exotiques" sont également incriminées, comme le précise l'Osservatore Romano :

" Avec de sages conseils, l'autorité ecclésiastique déplore la dépravation des mœurs à Rome, non seulement à cause de l'introduction récente de nouvelles danses provenant - disent-ils - d'Argentine qui, selon les informations reçues de là-bas, sont justement incriminées et ne constituent les délices que des plus basses couches de la société, mais à cause de tant d'autres formes de licence indécente (...) Et je dis cela pour qu'on ne pense pas que, s'abstenant du fameux Tango, quelqu'un puisse croire qu'il est licite d'y mêler toutes les autres danses..."

Au cours des premiers mois de 1914, les condamnations des prélats se multiplient : le cardinal-archevêque de Vérone Arcilieri, l’archevêque de Ferrare, le Collège des curés de Milan, l’archevêque de Modène Natale Bruni, l’évêque d’Udine Antonio Anastasio Rossi, et d'autres encore.

La guerre de 14-18 allait mettre quelque peu fin à ces attaques religieuses

il tango delle capinereA partir de 1920, comme partout en Europe, le tango repart de plus belle, et les réactions hostiles se détournent vers les danses nouvellement arrivées, foxtrot, puis charleston avec la seconde révolution vestimentaire des danseuse qui est fut associée.

Le fascisme naissant, n'entrava pas cet engouement, et sous sa gouvernance, des tangos comme "Le tango delle capinere" de 1928, repris en France sous le nom de "Tango des Fauvettes" assure à son auteur, Stefano Ferruzi de Milan, interprété par le tout aussi célèbre Carlo Butti. Un véritable succès populaire qui dépassa largement les frontières de la péninsule.

    

stefano ferruzi carlo butti et stefano ferruzi stefano ferruzzi

Stefano Ferruzi   -   Carlo Butti répétant avec Stefano Ferruzi   -   Carlo Butti

D'autres tango composés par des italiens furent très populaires partout dans le monde, même si le style était très différent des tangos traditionnels. On peut citer "Le tango de la jalousie" écrit en 1930 par Vittorio Mascheroni et Giuseppe Mendes.

Il faudra néanmoins attendre la fin des années 60 pour que le tango entre dans le monde du divertissement, grâce à la télévision, et à une vulgarisation des disques grands public, et enfin les années 80 pour un total renouveau.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

De l'humble avis de l'auteur de ce site, l'Italie est incontestablement le pays où le tango se danse le mieux en Europe. Et comme l'a déclaré Pablo Veron, référence incontestable en matière de tango, "le niveau moyen dans les milongas est supérieur en Europe à celui de l'Argentine"... Chose que moi-même ait pu constater, à partir de 2010.

L'Italie est un bon début d'explication. En effet l'engouement des italiens pour la danse, le fait que la population pratiquant le tango y soit plus jeune et corrélativement le fait que le style "milonguero" y ait eu moins de succès, ont attiré les plus grands professeurs de l'histoire du tango du début du 21ème siècle. Ainsi Gustavo Naveira, y fait des tournées très régulières, Zotto s'est installé à Milan, Ezequiel Paludi et Geraldine Rojas également (aujourd'hui à Amsterdam) et d'autres professeurs (et non seulement démonstrateurs !) de talent essentiellement un peu partout sur la péninsule. Les Festivals de Milan, Venise, Rome, Padoue et autres sont parmi les plus courus d'Europe, et le niveau y est excellent. On pourrait dire : "Si l'Argentine est la mère du tango, et que Paris en est la fiancée, l'Italie en est sûrement la maîtresse". Mais ce n'est qu'un avis personnel...

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4. Le tango en Allemagne

Tout aurait commencé en 1913. Le tango se diffusait alors, à partir de Paris, dans toute l’Europe, touchant aussi Berlin. Cette année-là, Niki Georgewitch y gagna, en interprétant un tango argentin, le premier prix d’un festival de danse. Le public berlinois commençait alors à s’intéresser au tango… jusque chez les officiers, ce qui déplaisait au Kaiser Wilhelm, qui leur interdit alors de danser le Tango en uniforme.

Mais comment était-il arrivé ? Dans la recherche des pionniers du tango, il y a un siècle, on trouve un certain nombre de personnalités qui ont donné une impulsion décisive à son succès à Berlin. Franz Wolfgang Koebner (1887-1978), journaliste et écrivain ainsi que danseur de tango passionné et professeur de danse, a été l'un des acteurs actifs dans l'introduction, la diffusion et le développement du tango argentin à Berlin. En 1912, il avait commencé ses activités de journaliste et participé à la fondation du magazine "Elegante Welt", l'un des premiers magazines illustrés consacré à des sujets modernes tels que la mode, le sport et les loisirs dans la grande ville, décrivant ainsi le monde des loisirs en détail, et l'arrivée du tango.

Il est le co-auteur d'un ouvrage de référence : " Tanz Brevier " avec R.L. Leonard.

On le retrouvera en 1924, année durant laquelle il fonda le magazine "Das Magazin". En plus de ses activités de journaliste, Franz Wolfgang Koebner était un "bon vivant", puisant l'inspiration de ses textes journalistiques et ses publications de livres, ainsi que certains scénarios et productions cinématographiques, dans la vie trépidante de la grande cité du Berlin de l'époque.

Ses thèmes portaient des titres tels que "The Gentleman" (1913) ou "Cocain" (1921) et comprenaient quelques publications consacrées aux nouvelles danses à la mode venues d'Amérique : "Tanz Brevier" (1913), "Jazz and Shimmy" (1921) et "Charleston" (1926). Depuis l'arrivée de Koebner à Berlin, il a dansé et enseigné le tango plus intensément que presque n'importe qui d'autre. Il a écrit de nombreux articles sur la nouvelle danse dans le "Elegante Welt" et dans la presse quotidienne et a été juge dans de nombreux tournois de danse à la mode. Franz Wolfgang Koebner fait partie intégrante de l'histoire des débuts du tango à Berlin.

Il faut noter que dans l'ouvrage Tanz Briever, on y trouve dans les commentaires une lucidité concernant la danse en général, et le tango en particulier, qui malheureusement fera défaut souvent dans les années qui suivirent, autant en Europe, qu'ailleurs dans le monde.

On peut ainsi citer :

" Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas "

" Il est récemment devenu à la mode de marcher en rythme et ainsi de glisser plus uniformément sur le sol "

 " Tango. Le mot a quelque chose de doux, de flatteur on le sent, "el tango". Et cette danse est d'une beauté indescriptible avec sa musique douce, plaintive et pourtant si infiniment rythmée "

" Je dois alors dire quelque chose à propos de la musique. Les vrais tangos argentins sont brillamment composés (...) il est étrange que la plupart des tangos d'origine, soient composés dans la tonalité mineure et pourtant ne semblent jamais monotones "

" Le tango ne peut être dansé que par des bons danseurs "

 " La grande nouveauté de cette danse (le tango), qui rompt avec toutes les traditions, consiste dans le fait que la dame doit danser des pas différents de ceux du monsieur "

" Les figures individuelles du tango ne peuvent être définies avec précision... c'est à l'imagination du danseur de savoir combiner ces figures, comment et quand les utiliser "

" La danse sur scène et la danse dans la vie quotidienne sont deux choses si différentes l'une de l'autre qu'elles n'ont en fait rien d'autre en commun que leur nom "

" La maxixe, ou appelons-la plutôt "la brésilienne", (ou tango brésilien) est arrivée en même temps que le tango, elle rend hommage au même principe des différentes figures, mais une différence est essentielle. Les pas ne subissent pas d'interruptions aussi fortes, la danse est extraordinairement fluide, et la principale différence tient du fait que le danseur danse tantôt derrière la dame, tantôt à côté, puis à nouveau devant elle "

" Je pense que la brésilienne mettra longtemps à devenir populaire chez nous, et ce n'est que lorsque nos danseurs auront traversé le purgatoire du tango qu'ils sauront apprécier les charmes de la maxixe brésilienne "

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On remarquera la justesse d'analyse des auteurs concernant une danse à peine arrivée depuis quelques mois dans leur pays : prédominance de la musique, évolution des pas en rythme et dans le sol, possibilité de combiner les figures, etc...

On peut noter également dans leur ouvrage, les évolutions et les transferts remarquables d'une danse à l'autre : ainsi le " Rag "  (du rag time américain), introduit une génuflexion des danseurs, qui transposée au tango prend le nom et la place du Corte...

A la fin de l'ouvrage, on retrouve les inévitables dessins d'une incroyable complexité, et qui ne devaient guère permettre au lecteur, d'apprendre sans l'aide d'un professeur...

Il nous faut remarquer en lisant cet ouvrage, et concernant les noms cités et les influences importantes sur le tango, que la Danse Apache impressionna le monde entier, Argentine compris. Cette danse disparut avec sa population particulière qui fut envoyée en toute première ligne au début de la guerre, façon comme une autre de s'en débarrasser. Il ne survivra de leurs danse que quelques attitudes ou figures que l'on retrouve aussi bien dans le tango que dans le Lindy hop.
Ci contre une gravure montrant une démonstration de Danse Apache dans un night-club de Berlin.

D'autres chemins avaient sans doute été empruntés par le tango pour arriver en Allemagne. Avant la guerre de 14-18, Paris et Nice étaient les lieux de festivités des riches allemands, lesquels fréquentaient inévitablement tous les dancings à la mode où le tango se diffusait. Dans son livre " Jouir " écrit en 1917 et publié l'année suivante, Paul Margueritte fait dire à un de ses personnages, Jules de Soriaud, parlant des touristes allemands : " Menton après San Remo est pourri par leur présence ; Nice commence à l'être... ils font de Monaco un foyer d'espionnage..." Il répond ainsi à son interlocuteur Courboisse qui lui disait : "... c'est vrai qu'on voit trop d'allemands mal fagotés sur la promenade des Anglais...".

Il faut également noter que la guerre fit se rapatrier chez eux tous les allemands résidents en France, de la Normandie où ils étaient nombreux et de la côte d'Azur où beaucoup d'entre-eux travaillaient ou avaient commerces. Cette vague migratoire participa fort probablement, au regain du tango en Allemagne,  juste après-guerre, dans la période 1920.

Mais où dansait-on ? Là encore ce petit livre précieux nous donne de nombreuses indications.

  

  

Ci-dessous le Lido de Berlin, évocation du célèbre Lido de Paris, d'abord une piscine puis un dancing dédié aux " danses nouvelles ". A droite, un lieu de prestige où se pratiquait le tango dans la ville de Baden-Baden.

dancing piscine le lido à berlin 

Le style du tango que l'on dansait alors ? Le petit film ci-dessous, daté de 1913 et intitulé, le " Roi du Tango " nous en donne un aperçu. Il montre également, les interactions et mélanges d'une danse à l'autre, qui ont participé à l'élaboration du tango que l'on connait aujourd'hui. Ainsi, le premier pas enseigné à un homme dans l'extrait ci-dessous, s'apparente à plusieurs autres danses, en particulier au pas de " Botafogo " de la Samba de la Danse Sportive d'aujourd'hui, celle-ci n'étant qu'une version " anglicisée " de la " Samba de gafieira " brésilienne, il n'y a rien d'étonnant à cela : cette Samba particulière, qui ne se dansait qu'à Rio de Janeiro et qui n'a rien à voir avec la Maxixe, n'était que la version " brésilianisée " du tango et surtout de la milonga amenée par les uruguayens voisins... Logique, l'Uruguay a été, dans son histoire, longtemps sous domination portugaise et même totalement intégrée au Brésil durant une bonne dizaine d'années. Il y a encore aujourd'hui en Uruguay, des villages où l'on parle portugais et  non pas espagnol.

         

Toujours dans l'idée de la correspondance des pas d'une danse à l'autre, on remarquera que le pas enseigné à l'homme en début de clip, est (très) globalement analogue à celui d'une cavalière exécutant une " Cape " en Paso doble... et si le cavalier anticipe dans le temps le point de rappel qu'il exécute, sa partenaire fera... un " ocho adelente " (lequel est historiquement antérieur)... une autre analogie se remarque dans les pas et élévations de certains danseurs, lors du concours à la fin du film : ceux de la " Valse hésitation ", contemporaine du tango à la même époque. Comme on le dit en science, on peut aussi dire en matière de danse : " Rien ne se crée, rien ne se perd dans la danse (nature), tout se transforme ".

Les femmes comme partout à l'époque, dansent entre-elles sans que cela ne gêne personne, non pas peut-être comme marque du lesbianisme à la mode en la période d'après la guerre de 14-18, mais simplement comme prolongement de l'habitude qu'avaient (et qu'ont parfois encore) les mères d'apprendre à danser à leur fille. Regardons ce qu'en disait alors le Tanz Brevier : "  Là-bas, deux femmes dansent ensemble. Épaules voûtées de manière à ce que les visages soient à peine visibles, bras pressés contre le corps. Maillon par maillon, tête contre tête, elles marchent sur le sol, fléchissent brusquement les genoux, se balancent imperceptiblement de part et d'autre, basculent alternativement loin en arrière jusqu'à ce que les plumes des toques de fourrure touchent le sol. Chaque mouvement incarne le rythme de la musique. "

Ci-contre une publicité pour un cabaret en 1920 montre deux "vierges" dansant ensemble, avec en bas de l'image, un commentaire un peu particulier : " Ein sittenbild aus Berlin ", traduction : une image morale de Berlin ...

Cette illustration datée de 1926 signée par un(e) certain(e) Hann aurait été reprise de façon quasi identique en France par A.Vallée en 1931, dans le journal La vie parisienne, ci-contre à droite... Le "copier-coller" existait-il déjà ?...

Le Tanz brevier cite des noms bien français : le bar dansant Moulin Rouge, un Palais de la danse, et d'autres spécifiques à Berlin, l' Admiral-Casino, " une petite salle amusante ... dans laquelle on voit non seulement les étrangers mais aussi les bons danseurs berlinois qui remportent les prix dans les tournois de danse et défendent l'honneur de la danse allemande contre les autres nations ", et le prestigieux Admiralpalast, (voir photo plus haut).

Et la musique ?

En fait , l'essentiel du tango importé en Allemagne le fut par les musiciens argentins en tournée, ou résidents à Paris et de passage dans le pays. L'apport des allemands fut assez limité en matière de musique, se résumant essentiellement en la création du Bandoneon, et à son intégration dans les orchestres de tango en Argentine. Cet apport fondamental fut le fait des nombreux immigrants allemands, près de 100 000 arrivés avant 1914. Ceux-ci, outre la bière, la célèbre Quilmes, et de délicieux petits gâteaux, avaient introduit le bandonéon qui peu à peu remplaça le Concertina, lui aussi allemand (et un peu anglais), et qui voyageait, lui, de fait de son très faible encombrement, dans les sacs des marins. Encore aujourd'hui, le Concertina est présent dans certains orchestres de tango, même si la chose est rare.

Mais comme le dit l'illustration ci-contre, à gauche :

" Sin Bandoneon, no hay tango " ...

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5. Ailleurs en Europe

 

De Paris le tango allait aussi se diffuser vers l'Europe du Nord et la Scandinavie.

Au Danemark, un danseur nommé Per Krohg, particulièrement connu à Montparnasse, présente pour la première fois, avec sa partenaire française Lucy Vidil, le tango dans le café-théâtre de sa tante, Le Chat Noir à Kristiania, un quartier de Copenhague, en 1913. Le 27 octobre de la même année, ils le présentent avec succès à Copenhague : la mode était lancée.

Per Krohg et sa partenaire allaient faire toute une tournée en Scandinavie, l'année suivante, pour diffuser le tango.

En Norvège, en 1914 le Tivoli Haven, théâtre d'Oslo, programme un concert avec une démonstration de tango et de Maxixe, par un autre couple de danseurs, Nina Sommerfelt et Gunnar Gullberg qui avaient appris à Kristiana.

En Suède, le tango est officiellement introduit le 6 septembre 1913, au théâtre "Oscars", dans le cadre d'une opérette. Le lendemain les journaux se font l'écho de la performance, publiant articles et schémas des pas de danse. La fièvre du tango était installée. A signaler : une légende relate que des marins de la ligne reliant la région des tailleurs de pierres du  Bohuslän, au Rio de la Plata, en auraient ramené les premiers pas, mais plutôt vers 1920... ce qui parait un peu tardif.

Aujourd'hui toute la Scandinavie danse le tango argentin avec enthousiasme et le niveau tant de danse que de musique y est excellent. Mais un pays fait un peu bande à part... La Finlande...

En Finlande

tango finlande arvo koskimaaEn novembre 1913, ou bien en novembre 1914, les avis divergent, le tango est officiellement présenté en Finlande, sur la scène du Théâtre Apollo d’Helsinki, par le chorégraphe Toivo Nisjkanen, qui l'avait appris lors d'un voyage à Paris. En 1915, le chanteur d'opéra Anniki Arni, interprète un tango dans un restaurant qui voulait présenter la nouvelle danse. En 1920, la T.S.F. retransmettait les concerts du Lido, où jouaient les artistes célèbres du tango, comme Pizzaro ou Canaro, et on les écoutait jusque dans les lycées finlandais. Jusqu'en 1932, année où Arvo Koskimaa (sur la photo ci-contre à gauche) enregistre le tango Vaaralliset huulet, toujours célèbre aujourd'hui, on est encore très près de l'origine musicale argentine de l'époque. Ci-dessous en écoute une version orchestrale, enregistré en 1987, et interprété par l'artiste finlandaise Arja Sipola.

tango finlandais unto mononenMême si la Cumparsita et quelques tangos argentins de référence, restent connus et écoutés, c'est à partir de cette date, 1932, que le tango finlandais va petit à petit se différencier dans la musique et dans le style. C'est Toivi Kärki qui devient le porte-drapeau de ce style typique du pays. Pendant les années 50 le tango résista  à l'invasion de la mode Rock'd Roll, et devient le style le plus populaire dans le pays dans les années 60. En 1955, un autre compositeur, Unto Mononen devient à son tour célèbre avec son tango Satumaa. Ce tango a été repris de multiples fois depuis, et l'est encore aujourd'hui, une des versions la plus connue étant la version Rock de Frank Zappa. On remarquera que le bandonéon n'a pas réussi à évincer l'accordéon qui est toujours l'instrument utilisé dans les concerts et dans les bals. On remarquera également la rythmique toujours très "martelée", qui en fait un tango souvent utilisé en compétition en Danse Sportive...

 

C'est en février 1984, que la Finlande se proclame "deuxième métropole du tango" en créant le festival de Seinajoki, attirant plus d'un million de visiteurs et de danseurs dans la petite ville natale d' Alvaar Alto. C'est l'occasion d'élire pour un an le Roi et la Reine du tango. La façon de danser est très influencée par la rythmique, toujours la même depuis des décennies, et basée sur noire, noire, noire pointée, croche et noire, rythme assez "militaire" que l'on retrouve parfois dans les "tangos" musette français. En danse cela se traduit par trois pas de marche et un assemblé sur le quatrième temps avec changement de pied sur la croche... un cousinage certain avec le fox-trot et ce que l'on nomme tango musette.

Curieusement le côté mécanique de la danse, s'oppose au côté très mélancolique du tango finlandais, qui n'a pas, du tango d'origine, gardé les autres facettes parfois plus festives que cette musique et cette danse peuvent avoir.

Preuve de l'attachement des finlandais à leur tango, cette pièce de monnaie de 10 Eu, frappée en 2017 :

     

Collection personnelle D. Lescarret

Et en partant vers l'Est...

En Tchéquie

Le tango à Prague

Dès la Belle Epoque, Prague avait un œil sur Paris et ses cabarets. Montmartre était à ce point la référence, qu'un des cafés les plus courus de la ville s'appelait... "Le café Montmartre". Certes le nom à l'époque n'avait rien d'original, on en trouvait partout dans le monde et jusqu'à Los Angeles, mais celui de Prague avait deux particularités : une piste de danse et être le haut lieu de rendez-vous des artistes et intellectuels. La piste de danse, avait été baptisée "L'Enfer" car sa décoration effectuée par V.H. Brunner représentait les sept péchés capitaux. La clientèle était très diverse : une bonne partie faisait partie de la classe la plus pauvre, une autre était composée d'artistes : le Café Montmartre devint très vite le lieu de rencontre des peintres du mouvement cubiste. Il y avait parmi les habitués, Gustav Meyrink qui atteint la notoriété avec "Le Golem" publié en 1915, Max Brod, qui publia les œuvres de Franz Kafka, lui aussi un habitué du café, et bien d'autres.

Le fait que ce café, à la différence des autres possédait une piste de danse, et que d'autre part la clientèle y était très francophile, fit que toutes les nouvelles danses en provenance de Paris y furent inaugurées, en particulier la danse baptisée "«šlapák», mot dont la traduction littérale serait "clochard", et qui en fait était la fameuse danse "Apache". Egon Erwin Kish, un journaliste et reporter renommé (on le surnomme "Der rasende Reporter", le reporter qui fonce comme un fou) anime les soirées par ses récits de voyages et ses anecdotes. C'est lui avec sa compagne, Emča Revoluce, qui introduisit le tango au Café Montmartre, et de ce fait en Tchéquie, très probablement dès 1912.

Ensuite de 1920 à 1939, sous le "protectorat allemand", le tango continua d'exister en Tchéquie.

Ci-contre à gauche le Café Montmartre en 1912. Il est à noter que le café existe toujours, et une galerie d'art y a été adjointe. Ci-dessous une œuvre de l'artiste Hüttnerová Iva, figurant le lieu en 1912, et le Café Montmartre aujourd'hui.

 

Au-dessus à gauche, on voit un couple pratiquant la "danse apache", toujours en 1912, les autres derrière ayant une attitude nettement plus "tango". A droite un des tableaux qui orne les murs du café.

Un tango célèbre en Tchéquie, et qui se joue encore fut composé en 1924 par Jaroslav Ježek. On raconte que c'est pendant ses vacances à Pisek, dans le sud du pays, que l'inspiration lui vint dans une petite auberge qui servait également d'arrêt de train. Compositeur devenu célèbre après des études au conservatoire de Prague, puis à Paris en 1928, il devint chef d'orchestre et principal compositeur du "Théâtre libéré", le théâtre avant-gardiste de Prague. En 1934 il deviendra membre du groupe tchèque, du Mouvement Surréaliste.

Mercedes Tango

        

Qu'en est-il du tango argentin aujourd'hui à Prague ? Un voyage récent, 2020, a permis d'en apprécier la teneur. Il y a plus d'une demi-douzaine d'associations dans la ville, et une milonga tous les soirs de la semaine. Le niveau est excellent, la clientèle plutôt jeune (30-40) et l'ambiance sympathique : un voyage tango à faire sans aucun doute, surtout que la ville est magnifique et les tchèques très sympathiques à deux conditions incontournables : employer les mots magiques, "bonjour", "s'il vous plait", "merci", et éviter de jeter papiers et mégots par terre... et en plus on y mange bien et la bière est excellente !

En Pologne

La première représentation de tango à Varsovie a eu lieu cinq ans avant que la Pologne ne retrouve son indépendance, le 29 octobre 1913. Il a été dansé par les acteurs Lucyna Messal et Józef Redo sur la scène du théâtre Nowości lors de la représentation de l'opérette Leányvásár (ou "Mariage market", l'opérette ayant pour décor l'ouest américain) du compositeur hongrois Victor Jacobi. La chorégraphie a été préparée par l'excellent maître de ballet Edward Józef Kuryłło.

Ci-contre à gauche, l'affiche du premier spectacle, et à droite Lucyna Messal et Józef Redo.

Cependant, les tentatives de vulgarisation du tango en Pologne ne se sont pas arrêtées là. Le spectacle a reçu des critiques enthousiastes. Le tango a commencé à être appelé la danse de la liberté, signe des temps nouveaux. Un film muet fut bientôt réalisé, dans lequel Messal et Redo recréèrent la chorégraphie de Kuryłło, et en 1916, Pola Negri elle-même dansa le tango sur un écran de cinéma.

Peu après les célèbres maîtres de ballet, les frères Sobiszewski, introduisirent le tango au répertoire de leur école de danse de salon. Des professeurs de danse de Paris et de Londres ont également commencé à venir à Varsovie.

Après la première guerre mondiale, une véritable frénésie s'est emparée de la Pologne et le tango se dansait absolument partout. Un des principaux foyers principal était le café Ziemiańska, lieu de rencontre de musiciens, artistes et poètes. Mais le tango en Pologne avait cette particularité d'être totalement démocratique : toutes les couches de la population adhéraient et pratiquaient.

Entre les deux guerres, près de 4000 tangos sont été composés en Pologne. Si la majorité sont tombés dans l'oubli, l'un d'entre-eux connut un succès qui dépassa les frontières "Tango Milonga" de Jerzy Petersburski et Andrzej Włast, qui se joue encore aujourd'hui. "Tango Milonga" avait été joué pour la première fois le 7 mars 1929 sur la scène du cabaret Morskie Oko. Il a ensuite été chanté par Stanisława Nowicka, soutenu par un trio composé de : Eugeniusz Bodo, Witold Konopka et Ludwik Sempoliński. La chanson a ensuite été qualifiée de tube du siècle, et, remise au gout du jour.

Tango Milonga

         

Aujourd'hui le tango est très en vogue en Pologne. De nombreux cours de danse y fleurissent, les festivals nombreux, et Varsovie est une destination privilégiée des tangueros. Un orchestre de renommée internationale y a vu le jour en 2016, "Bandonegro" qui fait des tournées partout dans le monde, y compris en Argentine.

Bandonegro

En Hongrie

Comment le tango est-il arrivé en Hongrie ? Très peu d'éléments à ce sujet... A cette époque des débuts du tango, juste avant la première guerre mondiale, l'empire Austro-Hongois englobe l'actuelle Tchéquie et une partie de l'actuelle Pologne. Prague et Budapest ne sont pas si éloignées, de même que Vienne en Autriche. Les élites voyagent beaucoup, de même que les musiciens, en particulier les tziganes, et surtout ceux de la communauté juive. Il est fort probable que, comme dans la majorité des pays, ce sont les classes supérieures qui ont amenés la danse, et les musiciens voyageurs le tango.

Une seule chose est certaine, le tango existait bien en Hongrie en 1913, comme en témoigne l'affiche à gauche. Elle illustre le "Tangó a "Katonadolog" című operettből", une opérette de 1913. Il est fort possible, sinon probable qu'il y ait une référence à Olly Szokolay, actrice et épouse de l'auteur. Au paragraphe juste en dessous, on peut entendre ce tango, probablement le premier, sinon un des tout premiers joués à Budapest.

La seconde ci-contre, décore encore aujourd'hui les murs du célèbre restaurant juif Spinoza à Budapest. Elle illustre des relations probables avec la communauté juive d'Amsterdam.

Tangó a "Katonadolog" című operettből

Autre tango célèbre, écrit plus tard en 1928 par Mihály Eisemann, un compositeur d'opérettes et de musiques de film, très connu entre 1920 et 1930 : "Liebst du mir noch"
(Est-ce que tu m'aimes encore)

Liebst du mir noch

 

De 1932 à 1940, Pal Kalmar, surnommé le "Roi du Tango", fait rayonner la musique hongroise à travers le monde, enchainant les succès à Londres, Paris, Berlin et jusqu'à Bucarest, en Roumanie. Il est enregistré, à partir de 1936 par la firme Odeon. Ecoutons un de ses succès écrit par Kóla József et Szécsén Mihály : Egy vallomás, ez a tangó egy vallomás (Confession tango, ce tango est une confession).

Egy vallomás, ez a tangó egy vallomás

Bien sûr, il y eut d'autres tangos célèbres en Hongrie, et il faut également signaler une chanteuse restée dans l'histoire à plus d'un titre : Katalin Karády. Actrice principale dans nombre de films hongrois entre 1939 et 1945, elle est plus connue en dehors de la Hongrie pour avoir été nommée, à titre posthume en 2004, « Juste parmi les nations » pour avoir sauvé un certain nombre de Juifs hongrois.

Elle avait participé pendant la guerre de 40 à l'opération Sparrow, une rencontre secrète entre américains et Hongrois, et fut arrêtée et torturée par la Gestapo. Elle nous laisse "Tangolita" créé dans la pièce de théatre "Pál Ábrahám : Bál a Savoyban" en 1948.

Tangolita

En conclusion

Tous les pays d'Europe furent touchés à cette époque, par la tangomania, et suivant à peu près les mêmes chemins : la musique venue directement d'Argentine par les productions issues de la vulgarisation d'une toute nouvelle invention, le gramophone (sauf la France et l'Espagne où de nombreux musiciens argentins vinrent y faire des tournées et parfois s'y installer); et pour la danse, la mode venue de Paris capitale incontestable du monde à cette époque dans de très nombreux domaines, dont ceux de la danse, de la mode et du bon goût.

6. La suite de l'histoire, Etats-Unis, Japon, Russie, Turquie et bien d'autres : Ici...