La Fragata Presidente SARMIENTO
Ses voyages en France et son apport à la diffusion du Tango / page 2
Remerciements : à toutes les personnes qui ont permis d'effectuer cette étude, et de l'illustrer. La liste complète figure en la page 1. Nous y rajouterons, El Señor Haurigot, qui nous a autorisé à publier une partie de ses photos, pour illustrer cette page, et dont le père fut un des Commandants de la A.R.A. Sarmiento en 1959, el Capitán de Fregata Miguel S. Haurigot, ici à droite, en photo.
Nous y rajouterons également, le site du Petit Hergé, le meilleur blog et guide du visiteur voulant découvrir Buenos Aires, et dont l'auteur a bien voulu nous autoriser à publier certaines de ses photos. http://www.petitherge.com/
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Début de l'étude en page 1
1. Introduction et précautions d'usage
2. La Fragata Sarmiento : présentation, construction, histoire générale
3. Le premier voyage autour du monde, escale à Toulon en 1900
4. Le 2ème (1901) et le 3ème voyage 1902 - escales à Brest, le Havre et Cherbourg
5. Le 4ème (1903) et le 5ème voyage 1904 - escale à Brest
6. Voyages 6 (1905) et 7 - l'année 1906
7. Le 8ème voyage 1907 - escales à Brest, Bordeaux et Royan
Sur cette page
8. Le 9ème voyage 1909 - escales à Boulogne, Cherbourg, La Pallice
Inauguration du monument San Martin à Boulogne
9. Le 10ème voyage 1910 - Nantes / Le 11ème voyage 1911 - Toulon
10. Le 13ème voyage 1913 - Toulon / Le 22ème voyage 1924 - Marseille
11. L'arrivée du tango à Marseille en 1906 :
Une simple légende, mais nouvelles hypothèses sur le rôle de la Sarmiento
12. Le rôle d'Ambassadeur culturel et de prestige, de la Fragata Sarmiento
13. Conclusion de l'étude, agrémentée de quelques images
14. Un livre qui résume ces pages et qui rétablit l'histoire
Près d'un siècle de "copié-collé" de multiples historiens infirmé par de nouveaux documents - 350 pages dont un tiers bilingue français-espagnol - 6 ans de travail de recherche - un accueil triomphal en Argentine.
15. Courriers officiels et bibliographie - Liens divers
ANNEXE : "La Argentina" et l'épopée du corsaire et capitaine français, Hippolyte Bouchard
8. Le 9ème voyage 1909 - escales à Boulogne, Cherbourg, et la Pallice
Inauguration du monument San Martin à Boulogne sur mer
" Une curieuse cérémonie " titre le Petit Journal du 31 Octobre 1909 ! Effectivement des grenadiers à cheval, argentins, et à Boulogne sur Mer, il y a de quoi surprendre.
Mais l'évènement ne se limite pas à cette curiosité : bals, banquets, visites officielles, concerts, trains spéciaux pour que les argentins de Paris puissent venir y assister, inauguration d'un monuments, tout est annoncé de longue date, comme en témoigne cet article du Figaro, publié le 7 Octobre, soit plus de trois semaines à l'avance.
L'évènement : l'inauguration de la statue du Général San Martin !
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Mais d'abord un bref rappel : Le Général Jose de San Martin, " El Libertador ".
Formé en Espagne et nommé colonel lors de son engagement contre l'invasion française du Portugal en 1911, il retourne à Buenos Aires où il s'illustre contre les royalistes espagnols en défendant les rives du Paraña, en 1813.
Nommé chef de l'Armée du Nord puis gouverneur du Cuyo, San Martin allait s'illustrer en défendant, aussi bien l'indépendance de l'Argentine, que celle du Chili, déclarant l'indépendance du Pérou, et rentrant dans la légende au côté de Simon Bolivar.
De retour à Buenos Aires, il est accusé de conspiration, et déçu et dépité, il décide de s'exiler en Europe, et finalement en France, à Evry, près de Paris, en 1834.
Sa maison de " Grand Bourg " existe toujours, transformée en couvent, et a été fidèlement reconstituée à Buenos Aires, dans le quartier de " Palermo chico ", où on peut la visiter.
En 1848, il part s'installer à Boulogne sur mer, où il décède en 1850.
Sa maison y a été transformée en Musée.
La Fragata Sarmiento allait participer, en compagnie d'autres navires de la flotte argentine, à ce grand évènement. Regardons le déroulement de son voyage à partir de l'ouvrage " Los viajes de la Fragata Sarmiento " :
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Venant directement de New-York, la Fragata Sarmiento, arrive à Boulogne sur mer, le 19 Octobre 1909.
C'est un voyage très important et le Président de la République Argentine avait tenu a honorer de sa présence la frégate et son équipage, lors du départ de Buenos Aires. La foule avait pris part à la manifestation, voir image ci-dessous :
Compte-tenu de l'importance des festivités, la frégate Sarmiento, n'est pas arrivée seule : deux navires militaires, les canonnières " Paraña " et " Rosario ", l'accompagnent, images ci-dessous.
Cartes postales collection D. Lescarret
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" Concernant l'inauguration du monument en l'honneur du Général San martin, cérémonie au cours de laquelle la participation de l'équipage de la "Sarmiento" fut tout à fait remarquable, (il faut noter que) tous les ministres argentins devant les gouvernements européens, sont venus dans la ville. De même qu'y assistèrent l'ambassadeur des Etats-Unis et les ministres plénipotentiaires, accrédités auprès des gouvernements Français, Péruvien, Chilien, Brésilien, Uruguayen Equatorien, Colombien, Guatémaltèque, et Panaméen. Plus de deux milles argentins s'étaient réunis dans la cité pour être présents à la cérémonie. Au passage des troupes argentines dans les rues de la ville, la population les acclama follement, donnant spontanément une note populaire aux cérémonies officielles. "
Il faut dire que les grenadiers argentins, arrivés par le navire transporteur " Pampa " avaient fort belle allure
Cartes postales collection D. Lescarret
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" A l'arrivée du Ministre de la guerre français, le général Brun, les deux orchestres de la Sarmiento et du régiment de Grenadiers à cheval, venus spécialement pour la cérémonie, jouèrent successivement la Marseillaise et l'Hymne National Argentin. Tout d'abord fut inauguré le bureau de poste de Boulogne, cérémonie où furent invités les représentants du gouvernement argentin et des autres pays, inauguration que l'on avait fait coïncider avec celle du monument, pour donner encore plus de relief aux festivités. Lors de la cérémonie, le Maire de Boulogne sur mer, exprima, durant son discours, sa satisfaction du fait que l'inauguration de cet édifice publique coïncida avec l'édification dans la ville du monument à la gloire d'un illustre soldat de la République Argentine. "
Cartes postales collection D. Lescarret
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Bien évidemment la presse française, dans son ensemble, ce fit l'écho de cette manifestation. Quelques extraits :
Mais outre les diverses manifestations sur place, les réceptions, dont une à bord de la Sarmiento, et le déplacement de Paris vers Boulogne de près de deux milles argentins par trains spéciaux, l'escale fut également marquée par la montée à Paris des officiers et de l'ensemble des cadets.
Le 28 octobre 1909, à midi, le Président de la République reçut à déjeuner, le Contre-amiral Domecq Garcia, et les Commandants de la Sarmiento, des deux canonnières Paraña et Rosario, et du transporteur Pampa.
De son côté le Général Brun, Ministre de la guerre, invita à visiter Paris, cinq officiers de marine, cinq officiers du régiment de grenadiers à cheval, vingt simples marins et quatre-vingt grenadiers. Un diner fut offert par le Général brun aux officiers et aux Commandants des Paraña et Rosario. Les officiers visitèrent durant leur séjour, la Tombe de Napoléon, l'Ecole Militaire, divers sites de Paris et assistèrent à des spectacles dans les lieux les plus réputés, Opéra, Comédie française et Opéra Comique. Les Cadets, de même que les Grenadiers à cheval firent grande impression.
Cliquez sur les imagettes pour les agrandir / Cartes postales collection D. Lescarret
Les grenadiers partirent, laissant leurs chevaux en cadeau à la France (une centaine), mais la visite de la flotte argentine et du Sarmiento restera dans l'histoire, et la Sarmiento repassera dans ce port durant les années ultérieures, en souvenir de ce qui fut sans doute une des escales les plus mémorables de ce navire.
Escale dans le port de Cherbourg
Après une escale à Porsmouth, et une visite des cadets à Londres, la frégate Sarmiento arrive le 9 novembre 1909 en rade de Cherbourg. Les cadets obtinrent l'autorisation de visiter l'Arsenal, mais la demande de voir les sous-marins ne put être acceptée, les autorités françaises gardant jalousement toute information à leur sujet.
Les officiers et marins furent invités à diverses manifestations organisées par les autorités, et le Vice-amiral Bellue, organisa en notre honneur, un grand bal à la Préfecture Générale Maritime, mais suite au décès d'un de ses frères, la fête ne put avoir lieu. En retour de ces attentions, une " matinée danzante " fut organisée à bord de la Sarmiento.
L'hélice à pales orientables de la Fragata Sarmiento
Escale dans le port de La Pallice
Arrivée à La Pallice le 12 Novembre. Cette escale non initialement prévue, permit à de nombreux officiers argentins et français de se rencontrer. Notons que parmi les festivités traditionnelles, un bal fut organisé pour les sous-officiers de la Sarmiento, bal durant lequel officia l'orchestre de la Sarmiento. Après une visite de La Rochelle, et en remerciements, une " matinée " fut organisée le 16 novembre à bord de la frégate.
9. Le 10ème voyage 1910, Nantes, et le 11ème voyage 1911, Toulon
Le 10ème voyage escale à Nantes en 1910
Ayant reçu un télégramme indiquant de remplacer l'escale prévue à Brest, par une autre à Nantes, la frégate Sarmiento quitta Portsmouth le 27 Novembre 1910, pour arriver, après une traversée difficile, le 29 au matin, à l'embouchure de la Loire.
Les raisons de ce changement sont évoquées dans l'article de l'Ouest-Eclair, ci-contre, mais ces bagarres sont pratiques courantes chez les marins. Les Etats-Unis et les volontaires Argentins allaient se retrouver dans le même camp, contre l'Allemagne, quelques années plus tard.
" Après avoir attendu une journée la marée en rade de Saint Nazaire, le 30, la Sarmiento commença les quatre heures de remontée de la Loire pour arriver à Nantes. Aussitôt arrivés, les officiers de la frégate reçurent la visite des Lieutenants de Vaisseau Lapointe, commandant le contre-torpilleur "Oriflamme", et Louis Laferrere, commandant du contre-torpilleur "Tromblon", qui avaient reçu l'ordre, alors qu'ils étaient en exercice à Brest, de descendre nous escorter et accompagner la Sarmiento, jusqu'à son départ. "
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Devaient s'en suivre diverses réceptions, contrariées par une inondation exceptionnelle de la Loire qui avait rompu ses digues. Une grande fête de gala au théâtre, ainsi qu'une " matinée " à bord de la Sarmiento, furent ainsi annulées. Deux cents pesos en or, initialement prévus pour organiser cette fête, furent ainsi offerts, par la frégate Sarmiento, aux fond de secours organisé pour réparer les dégâts importants dus à cette inondation.
Cartes postales collection D. Lescarret
Le 6 décembre la Sarmiento appareilla, non sans difficulté et fut aidée par un remorqueur pour se remettre bout à un courant de six nœuds. Arrivée en rade de St Nazaire, le télégramme suivant fut adressé aux autorités françaises :
" C'est un devoir fort agréable que de signaler à V.E. avec quelle amabilité nous avons été accueillis par les autorités nationales et celles de la ville de Nantes, ainsi que les facilités accordées par le Gouvernement pour visiter leurs nouveaux torpilleurs en construction dans les arsenaux de Saint Nazaire, et l'usine qui fabrique les machines et les chaudières pour la marine de guerre française."
A posteriori on pourrait se demander pourquoi une escale à Nantes et Saint Nazaire, en remplacement de l'escale de Brest, éminent port militaire ? En fait les Chantiers de l'Atlantique construisaient à l'époque des navires de guerre, et parmi leurs clients se trouvait ... l'Argentine. Quatre ans plus tard, deux contre-torpilleurs furent ainsi livrés à l'Argentine, par les Chantiers de l'Atlantique, situés à Saint Nazaire.
Carte postale collection D. Lescarret
Le 11ème voyage escale à Toulon en 1911
L'escale de Toulon, du 11 au 23 octobre fut un peu particulière pour l'équipage de la Sarmiento. Ils arrivèrent peu de temps après la catastrophe du croiseur "Liberté", explosé en pleine rade peu de temps avant. Ecoutons le récit du commandant de la Sarmiento, le Capitaine de Frégate Mariano F. Beascochea :
" De Malte nous avons fait route vers Toulon, où nous avons mouillé près des restes du croiseur "Liberté", réduit en un écueil de métal, un amas de vieilles ferrailles. La proue et la poupe sous l'eau, les ponts blindés, déchirés par l'explosion, étaient étalés en morceaux sur la coque. Cela faisait à peine un mois que ce croiseur, un des plus puissants de la flotte française, avait explosé, conséquence d'une mauvaise qualité de poudre entreposée dans la Sainte Barbe. Ce fut une tragédie brève et rapide. A l'aube du 25 septembre 1911, de la fumée et des flammes sont apparus au dessus du pont du "Liberté". L'incendie se déclara dans la proue, et quelques minutes plus tard d'énormes flammes balayèrent les batteries, volatilisant sur leur passage, hommes et matériel. Immédiatement après, une formidable explosion fit trembler la ville de Toulon, faisant tourner portes et fenêtres dont les carreaux volèrent en éclats. On entendit un bruit d'explosion assourdissant ! Une haute colonne de fumée monta jusqu'au ciel. Mille fragments de métal volèrent dans les airs. Le " Liberté " avait disparu faisant deux cents morts et trois cents blessés graves. Ce fut ainsi le résultat d'une réaction chimique invisible ; des particules changées en débris gigantesques, par la déflagration spontanée d'une poudre instable ! "
Cartes postales collection D. Lescarret
" Nous nous sommes recueillis sur ces quelques restes. Ce fut une cérémonie brève et impressionnante. Cinq Amiraux français, reçurent la couronne où, sur des rubans aux couleurs de l'Argentine, étaient inscrits ces mots : " A ceux qui sont morts à leur poste ! " Tous les équipages des croiseurs mouillés dans le port étaient présents, ainsi que des représentants officiels de toutes les hiérarchies. "
Journal : collection D. Lescarret / cliquez pour agrandir
Ci-dessous, à gauche, le Président de la République, Armand Fallières, lors de la cérémonie du 3 Octobre.
A droite (cliquez dessus pour agrandir) cette carte postale indique que les officiers et marins argentins ont défilé, lors des funérailles, mais les dates ne concordent pas : les deux cérémonies eurent lieu les 3 et 7 octobre, et la Sarmiento ne serait arrivée que le 11. Il est possible, compte-tenu du nombre d'Amiraux présents, que la remise de gerbe par les officiers de la Sarmiento, ait donné lieu à un défilé en ville, quelques jours plus tard, l'illustrateur de la carte postale ayant assimilé les dates ... Un mystère à résoudre ...
Cartes postales collection D. Lescarret
Une exploration des Archives du Var permet, toutefois permet d'émettre une hypothèse, et d'apporter une précision.
Concernant la photographie de la carte postale montrant les marins de la frégate Sarmiento, défilant lors d'une cérémonie funéraire, un des premiers articles trouvés, fait état de l'enterrement des cinq dernières victimes de la catastrophe, victimes qui n'avaient pu être enterrées lors des deux précédentes cérémonies. Cet enterrement eut lieu le 23, ce qui cadre avec la présence de la Sarmiento, et les deux journaux relatant l'évènement, y notent la présence de délégations de marins, sans autres précisions. On peut raisonnablement penser que tous les navires présents au port et sur rade, participèrent à cet évènement, ce qui expliquerait cette photo, reprise sous forme de carte postale.
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Les archives du Var nous apportent également, une précision concernant la cérémonie mentionnée dans l'ouvrage "Los Viajes de la Sarmiento" et concernant la remise d'une gerbe. C'est le jour du départ, à huit heures du matin, juste avant de quitter le mouillage, qu'une chaloupe s'est détachée de la Sarmiento et qu'une délégation des marins argentins, est allée déposer une gerbe, directement sur les restes de l'épave déchiquetée, encore dans la rade.
Il est facile de comprendre que les festivités en l'honneur de la frégate Sarmiento furent réduites à un strict minimum : un banquet à la Préfecture Maritime de Toulon, le 20 octobre, et un repas offert à bord aux autorités maritimes, le 23.
Photo agence Meurisse / Gallica Bibliothèque Nationale de France
La Fragata Presidente Sarmiento en rade de Toulon
10. Le 13ème voyage 1913, Toulon, et le 22ème voyage 1924, Marseille
Le 13ème voyage escale à Toulon en 1913
Arrivée à Toulon le 15 Aout 1913, émaillée d'un petit incident protocolaire concernant le nombre de coups de canons à tirer pour saluer correctement les forces navales françaises en présence.
En effet la Sarmiento tira en arrivant les quinze coups de canons réglementaires, mais un émissaire du Vice-amiral Lapeyrere, commandant le cuirassé "Voltaire", lui fit savoir qu'il en manquait deux, car la salve devait saluer en outre toute l'escadre de Méditerranée, laquelle était présente à Toulon. Le commandant de la frégate Sarmiento, après avoir fait remarquer qu'il avait tiré cette première salve par courtoisie avant la première visite protocolaire, signifia à l'officier français, qu'au lieu de rajouter les deux coups manquant, il considérait que la première salve était un salut à la nation française, et qu'il allait en faire tirer une seconde de dix-sept comme souhaité par l'Amiral français. Pointillisme bureaucratique français, et noble attitude de la part du commandant argentin.
Ensuite, rien de bien notable lors de cette escale, à part le fait que les officiers et les cadets en profitèrent et n'hésitèrent pas à traverser la France, à monter à Paris, et même à aller jusqu'à Londres !
Escale de treize jours environ, le navire repartit ensuite, vers La Spezia, le 28 Aout.
Le 22ème voyage : première escale à Marseille septembre 1924
Enfin la Sarmiento rend visite au port de Marseille. Nous sommes en 1924, et on se demande pourquoi, la frégate n'y est pas venue avant. A cela deux raisons probables : d'abord l'objectif premier des voyages de formation des cadets était d'ordre militaire, et Toulon, logiquement avait été privilégié ; ensuite, le côté protocolaire, impliquant des visites des officiers et des cadets à Paris, avait fait que les ports du nord étaient infiniment plus pratiques et avaient été, de ce fait, choisis. Mais en 1924, le grand port de commerce français de la Méditerranée, Marseille, recevait, enfin, et avec les honneurs, ce bel ambassadeur de l'Argentine, qu'était la Fragata Presidente Sarmiento.
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Dès son arrivée le 7 Septembre, le Commandant fut reçu par l'Attaché naval en France, le Capitaine de Frégate Jose Gregores, le Consul d'Argentine, D. Angel C. Martinez, le Commandant de Marine, Capitaine de Navire Guy, le Commandant du XVe Corps Opérationnel, le Général de Division Monroe, le Maire de Marseille et le Capitaine du Port, ainsi que le représentant de la Compagnie des Messageries Maritimes, laquelle avait bien voulu concéder, à la Sarmiento, un poste à quai privilégié.
Les aspirants, accompagnés d'un instructeur et de quatre officiers partirent visiter l'Arsenal de Toulon.
Le 9 Septembre, le Commandant de la Sarmiento, six officiers et tous les cadets, partirent pour Paris, où ils furent reçus, entre autres, par le Ministre de la Marine, M. Dusmenil, et au Gouverneur Militaire de Paris, le Général Gouranud. Le 10 et les jours suivants, diverses festivités furent organisés en l'honneur des marins argentins, parmi lesquelles soirées à l'Opéra, visite du Louvre, des Invalides, etc ... Une gerbe fut déposée à l'Arc de Triomphe. Par manque de temps, toutes les invitations ne purent être honorées, les cadets rentrant sur Marseille, pour partir vers Gibraltar le 19.
Articles du quotidien maritime "Le Sémaphore de Marseille" / Fond d'archives de la Chambre de Commerce de Marseille (cliquez pour agrandir)
On notera à la lecture de ce journal que la veille du départ, un bal fut donné à bord, accompagné par l'orchestre de la Sarmiento. Y fut-il joué du tango ? Tout à fait possible, nous sommes en 1924 et le tango est devenu à la mode partout dans le monde, y compris dans l'aristocratie argentine, le Capitaine de Frégate A. Monkes, mentionnant (il est le seul) qu'un tango (Esta noche me emborracho) avait été joué lors du passage du canal de Panama, en 1928, soit peu d'années après.
11. L'arrivée du tango à Marseille en 1906 : une légende sans fondement historique,
mais de nouvelles hypothèses sur le rôle de la Sarmiento
L'origine probable de la légende
D'abord, il faut considérer que toute légende se construit, soit à partir de faits réels, enjolivés ou déformés, soit par une confusion entre différents noms ou évènements, eux-mêmes historiques ou légendaires. Le processus, ensuite, est répétitif dans sa transmission, souvent avec d'autres ajouts ou déformations. En outre, chez les historiens, le phénomène connu en navigation web sous le nom de "copier-coller" existe de façon courante, avec, en plus, l'apparente justification des écrits, dès lors qu'un autre avant, les ont déjà cités en référence.
Une des toutes premières traces mentionnant l'envoi de partitions en Europe par la Frégate Sarmiento, se trouve dans la "Historia del Tango" des frères Luis et Hector Bates. Le premier est parolier, écrivain et périodiste, le second est auteur radio-théâtral, périodiste et compositeur. Aucun des deux n'a vocation à écrire l'histoire, mais, en 1936, ils publient une suite d'interview des grands musiciens de l'époque.
La première référence à la Sarmiento, stipule : “ Cuando realizamos el reportaje a Saborido, este nos afirmo que allá, por el año 1905, en ocasión de emprender uno de sus primeros viajes nuestra gloriosa fragata “Sarmiento”, fueron embarcados, con destino al viejo mundo, mil ejemplares del tango “La Morocha”, que escribiera el 25 de diciembre de ese mismo año.”
Ce que l'on peut traduire par : "Lors de la réalisation de notre reportage avec Saborido, celui-ci nous a affirmé, qu'en 1906, allant entreprendre un de ses premiers voyages, notre glorieuse frégate Sarmiento, embarqua, à destination du Vieux Monde, mille exemplaires du tango "La Morocha" qu'il avait écrit le 25 Décembre de la même année."
Première incohérence : Saborido affirme dans le même ouvrage avoir écrit "La Morocha" dans la nuit du 25 Décembre 1905 : il est impossible de l'embarquer sur la Sarmiento ... la même année : la Sarmiento, de retour de son 6ème voyage est à quai depuis le 18 Novembre et ne repartira que le 8 février 1906, c'est à dire l'année suivante...
Un peu plus loin dans l'ouvrage, il est de nouveau mentionné la "Morocha", en ces termes : " De vuelta actuó en lo de Ronquetti, Reconquista y Lavalle, desde el año 1904, escribiendo en ese local su inmortal tango “La morocha”, el 25 de diciembre de 1905. Ese mismo año, la fragata “Sarmiento” realizaba su segundo viaje a Europa, y se llevó 1.000 ejemplares del tango de Saborido, dejándolos en todos los puertos de su ruta. Nuestra música popular iniciaba así la conquista del mundo" que l'on peut traduire par : "A son retour il a joué chez Ronquetti (un bar habituellement orthographié "Ronchetti") à l'intersection de Reconquista et Lavalle, dès 1904, et c'est là qu'il écrit son immortel tango "La Morocha", le 25 décembre 1905. La même année, la Frégate Sarmiento réalisait son second voyage vers l'Europe, et emmena 1000 exemplaires du tango de Saborido, en laissant dans tous les ports, sur sa route. Notre musique populaire commença ainsi sa conquête du monde".
Deuxième incohérence : On reprend la même année (voire première incohérence reprise ici) et l'on remarque que si la Sarmiento avait embarqué ces exemplaires peu de temps après que le morceau ait été écrit, soit environ 45 jours après, l'année suivante, elle part début février et on peut se demander si le morceau avait eu le temps d'avoir du succès au point d'un imprimer mille à destination de l'Europe, cela aussi parait assez peu vraisemblable). Ensuite, la Sarmiento part pour un voyage qui se fera exclusivement dans le Pacifique. On notera également que l'on parle d'un second voyage vers l'Europe, alors que la Sarmiento y est déjà passé lors de cinq de ses précédents voyages.
Ainsi l'on voit que l'ouvrage de référence des frères Bates, qui n'est pas un ouvrage d'historiens, mais une suite d'interviews, rappelons-le, comporte des confusions et des problèmes de dates qui lui enlèvent toute légitimité historique sur cet aspect des choses. Probablement que les auteurs et musiciens eux-mêmes aient confondu quelques dates, trente ans après, ce qui est fort concevable. On peut rajouter que le même ouvrage cite comme une vérité historique, le fait que Pie X ait assisté à une démonstration de tango, ce qui s'est révélé par la suite n'être qu'une supercherie montée par un journaliste, correspondant d' Il Tiempo à Rome, et dénommé Carrère. Canaro reprend dans ces mémoires ces mêmes légendes ...
Cet ouvrage des frères Bates est encore, néanmoins, cité à ce sujet, toujours aujourd'hui, et sans remise en question des points évoqués, même si par d'autres côtés il est extrêmement intéressant, et indispensable dans toute bibliothèque ...
Mission officielle ou service rendu ?
Comme on l'a vu au paragraphe précédent les dates annoncées ne peuvent être les bonnes. Ceci ne veut pas dire pour autant, que le fait en lui-même, le transport de partitions par la Sarmiento, soit faux.
Partant de cette hypothèse, s'il y a bien eu des partitions embarquées, la première question qui se pose est : par qui ?
Comme nous allons le préciser plus loin, nous sommes dans la période 1907-1910. Si on en croit les mémoires de Francisco Canaro, le tango et les orquestas typicas restent confinés à La Boca, quartier peu recommandable. Que des représentants de l'Etat, occupant des postes prestigieux aillent s'encanailler dans ce quartier pour y danser un tango encore rudimentaire pour ne pas dire vulgaire, est fort invraisemblable (sauf en cachette dans les bordels de luxe). De plus, de très nombreuses personnalités argentines, telles que Enrique Rodriguez Laretta ou Leopoldo Lugones (qui interdit le tango à la légation argentine de Paris), partaient encore en guerre contre le tango, au plus fort de son succès quelques années plus tard. Par contre que les fils de bonne famille aillent fréquenter ces lieux de perditions est mentionné par tous les historiens s'intéressant à cette époque (les "niños mal de familla bien").
Il raconte également que dans la période 1908-1909, quand il jouait dans ces cafés de la Boca, les bagarres y étaient fréquentes. En particulier il signale le fait que les "patotas" (ces bandes de jeunes issus des beaux quartiers et se croyaient tout permis, mentionnés précédemment) venaient y provoquer les locaux, et que cela finissait toujours en bagarre. Ces jeunes étaient, sans doute, frères, cousins, voisins des cadets, et peut-être même certains en firent partie ... mais leurs parents de la haute société ne fréquentaient sûrement pas les mêmes lieux.
Mais Canaro n'est pas le seul, les chroniqueurs de l'époque confirment ce rejet du tango par la haute société. Carlos Vega ( Estudios para los origenes del tango argentino) le confirme également, de façon fort bien documentée. D'après lui, jusqu'au moins en 1910, le tango est dévolu aux basses couches de la société : " Comme il est coutume, les truands fréquentent leurs lieux ; et leurs lieux sont les cafés, les hôtels, les "casitas" (maison où l'on dansait), les bordels ..." "... Ils ont des libertés qu'aucun salon n'admettrait et que nous ne tolérerions pas chez nos sœurs." Il insiste particulièrement sur le fait que toute l'aristocratie argentine est entièrement tournée vers la France, vers Paris et ses modes, et qu'elle s'y rend et y séjourne régulièrement. Il cite comme premier "coup de théâtre" pour l'aristocratie argentine, l'article du Figaro du 10 janvier 1911, relaté à Buenos Aires : "Ce que nous danserons cet hiver, sera une danse argentine, le tango argentino ..."
On peut donc admettre, dans notre hypothèse, les témoignages qui assurent que ce serait les cadets qui auraient emmené ces partitions, et non pas les officiers. Ceux-ci d'une autre génération, faisaient partie d'une aristocratie qui rejetait le tango, et qui plus est, se trouvaient dans la situation de représenter, à l'extérieur, ce que l'Argentine avait de plus beau, donc en aucun cas une danse du bas peuple, voire de lupanars. Mais tout ceci n'est qu'hypothèses, rappelons-le.
Les cadets avaient-ils la possibilité d'effectuer ce transport ? Mille partitions représentent environ, vu le grammage de l'époque, environ 3 kg pour un encombrement estimé à 15 à 20 cm de hauteur. Ce n'est certes par négligeable, mais chaque cadet avait un petit casier (à la différence des simples marins qui n'avaient que leur sac) et ils pouvaient se les répartir. L'hypothèse reste donc vraisemblable.
On peut aussi remarquer que l'impossibilité d'un caractère officiel, du fait des dates, et concernant ce transport de partitions, (qui par ailleurs aurait été mentionné dans les récits des différents officiers), infirme totalement l'hypothèse d'un quelconque bal au Japon en 1906, durant lequel un tango aurait été joué par l'orchestre de la Sarmiento !
La Morocha ou El Choclo ?
D'après certains chroniqueurs, le morceau concerné aurait été "La Morocha", pour d'autres "El Choclo", enfin pour d'autres ... les deux. Pour bien comprendre les difficultés de reconstruire l'histoire, il suffit de revenir aux célébrations de Boulogne sur Mer décrites un peu plus haut : le navire ravitailleur " Pampa" est présenté sur une carte postale comme un navire amenant les cavalier "péruviens" ! Ce genre de confusion est fréquent, les journaux ou les cartes postales, présentant parfois la Fragata Sarmiento comme un navire école ... brésilien.
Cliquez pour agrandir / Carte postale collection D. Lescarret
Ensuite il peut y avoir une confusion sur les noms, confusion tout aussi fréquente. Un exemple qui a peut-être rajouté à ce type de confusion et à l'élaboration de la légende. Dans un ouvrage étonnant, "Una valeja del Titanic", de Enrique Rodolfo Dick, il y est raconté le destin de la famille Andrew, immigrants Anglais en Argentine.
L'un de ses membres y raconte ses péripéties de voyage comme officier sur le "Pampa" et sur la "Sarmiento" avec une extrême précision, relatant même le détail du menu de la réception des officiers à la Mairie, lors des festivités de Boulogne : "Œufs brouillés Princesse, Noisettes de Chevreuil Grand Veneur, Aubergines à la Grecque, Salade Lorette, Bombe Diplomate" le tout arrosé d'un "Chateau Carbonieux 1899" qualifié de "délicieux" ...
cliquez pour agrandir - à droite la Maestra de Tango, Marina Bondarenko à la barre de la frégate Uruguay
Plus intéressant il relate son arrivée sur la frégate "Uruguay" (cette frégate-école contemporaine de la Sarmiento, est actuellement amarrée à côté de cette dernière, et est également transformée en Musée). On peut apprendre ainsi que tout officier mécanicien possédait et devait mettre à jour, en arrivant sur un nouveau navire, un carnet sur lequel il notait toutes les particularités du bateau, circuits, repères et caractéristiques. Ce carnet s'appelait ... "la Morocha". La pratique de ce carnet étant la même encore aujourd'hui, même chez certains officiers pont, on peut penser qu'il y avait un certain nombre de "Morocha" sur chaque navire-école, Sarmiento compris. Sans dire pour autant qu'il s'agit de l'origine de la légende, il n'en demeure pas moins qu'il est envisageable qu'une certaine confusion entre les deux "Morocha", le carnet d'officier d'un côté et la partition de tango de l'autre, puisse avoir existé ... après quelques verres pris par des marins, partis "en bordée" ...
Morocha, El choclo ou les deux ... nul ne sait, les hypothèses suivantes vont pouvoir nous donner quelques idées.
Paris probablement ...
Paris consacrée Capitale du Monde lors de l'Exposition Universelle de 1900, est un phare incontesté pour la culture, la mode et la technologie. La Tour Eiffel (dont on se rappelle le point commun avec la Sarmiento : voir le chapitre sur sa construction en page 1), la ligne de métro, la mode, l'explosion de l'Art Nouveau sont autant d'attraits pour la haute société argentine, qui non seulement y fait régulièrement voyage, mais y envoie ses enfants pour y faire leurs études. La langue française est la langue de l'érudition, comme celle des diplomates, et la majorité des officiers, comme des cadets, la maîtrisent parfaitement. Ces mêmes cadets, qui pratiquement, à chaque escale et à chaque voyage, "montent à Paris", y retrouvent familles d'accueil, amis et compatriotes. Ce sont les mêmes qui, probablement, sont allés s'encanailler dans les milieu du tango de Buenos Aires.
Quand le tango est-il arrivé à Paris ? L'affaire fait polémique, d'autant que les témoignages sont peu fiables, et qu'une grande confusion régnait, jusqu'en 1907, entre tango argentin et tango espagnol, danse solo d'origine Andalouse. S'il est possible, sinon probable, que des tangos aient pu être joués en France ou en Europe avant 1907, c'est bien cette année là, avec l'arrivée à Paris des Gobbi et d'Angel Villoldo, l'auteur d'El Choclo, que l'aventure internationale du tango commence réellement.
Deux dates sont envisageables : 1907 ou 1909 ...
Le succès fut-il immédiat ? On peut en douter. On ne commence à parler réellement de tango dans les journaux qu'en 1911. Une hypothèse séduisante serait qu' Angel Villoldo, lui-même ou par l'intermédiaire de l'éditeur Baetz ait eu besoin de distribuer des partitions des deux tangos à la mode, "El Choclo" et "La Morocha", au fur et à mesure que le succès allait grandissant. Il pouvait sans problème faire imprimer "El Choclo" à Paris, mais pas "La Morocha" dont il ne possédait pas les droits et qui avait été imprimé à Buenos Aires, à 280 000 exemplaires (cf Historia del tango ; Bates / Saborido).
Les voyages de la Sarmiento étant prévus de longue date, les cadets allant systématiquement à Paris, et inversement, des milliers d'argentins se déplaçant pour les escales de prestiges, il aurait été aisé de se faire amener ces partitions, par les dits cadets. En 1907, lors de l'Exposition Maritime Internationale de Bordeaux ? Possible, mais un peu tôt au niveau des dates, les Gobbi et Angel Villoldo viennent à peine d'arriver. Plus plausible lors des grandes fêtes de Boulogne, ce convoyage de partitions aurait pu se faire dans des conditions idéales en temps, en moyens, et compte-tenu de l'impact de cette escale sur la population argentine de Paris. Et puis 1906 dans la légende ou 1909 dans notre hypothèse, ce ne serait pas la première fois dans l'histoire, comme dans la vie courante, qu'un "9" ait été confondu avec un "6" ...
A gauche, jeton d'entrée pour visiter la Sarmiento / Cliquez pour agrandir / Collection D.Lescarret
... mais sûrement pas Marseille, alors pourquoi ?
Déjà on peut se demander pourquoi une telle légende concernant Marseille, est-elle si souvent reprise : comme souvent des auteurs de renom, ont été mal lus ou mal interprétés. Ainsi, Nardo Zalko, auteur de référence sur le tango à Paris, introduit son ouvrage en mentionnant " Selon la légende ". Il ne mentionne pas du tout un fait historique, étayé d'une quelconque référence. Très prudent, le même auteur précise dans un interview au magazine La Salida (N° 18) : " Le processus d'internationalisation du tango a commencé avec son débarquement à Paris. Mais quand ? Peut-être accosta-il à Marseille en 1906 ". Il s'agit bien d'un " peut-être ", le propos est plus que nuancé. Enfin en historien avisé, il précise plus loin dans son ouvrage : " L'irruption de Baetz dans l'histoire du tango à Paris ébranle tant soit peu la primeur accordée aux marins du Sarmiento". Lui-même, pourtant cité en référence de cette légende, n'y croit donc guère. Il n'avait pas le temps non plus, vu l'énorme travail fourni pour réaliser son livre, une référence, rappelons-le, de creuser ce qui n'était finalement qu'un point de détail, une simple introduction dans le cadre de son ouvrage.
Comme on l'a vu précédemment, la Fragata Sarmiento n'a donc pas touché Marseille en 1906, mais seulement en 1924. Son rôle dans l'arrivée du tango en France ne peut donc en aucun cas être retenu. Alors pourquoi une légende autour de Marseille ? Une confusion de noms peut-être : un des acteurs principaux, de l'épopée de la frégate en France, s'appelait Mansilla, comme nous l'avons soulignés dans les paragraphes précédents..
Né en 1867, et ayant fait toutes ses études en France, du collège jusqu'à La Sorbonne, fin lettré, écrivain, poète (Alma y Sangre 1938), il fut un des ambassadeurs illustres de la République Argentine. Très catholique, une autre légende prétend qu'il aurait organisé l'hypothétique démonstration d' El Vasco au Vatican devant Pie XI en 1924. Comme on le voit son nom, à tort ou à raison, a été associé, à la fois, à la promotion du tango, à celle de l'Argentine, et aux voyages en France de la Sarmiento. De plus, plusieurs membres de sa famille, tenant d'importantes fonctions en France, ont été en rapport avec la Sarmiento.
Si l'on prend en compte que Marseille est connue en Argentine sous le nom de Massilia, il est facile d'envisager une confusion entre ces deux mots Mansilla et Massilia ... mais ce n'est, bien sûr, là encore, qu'une simple hypothèse.
Enfin, quand l'on connait la tradition à Marseille d'inventer des blagues à la moindre occasion, nul doute que cette éventuelle confusion fut reprise, avec bonheur, surtout qu'elle auréolait la ville d'un prestige inattendu ...
Cliquez pour agrandir - "Le coup de Mistral " et " La sardine qui a bouché le Port " - Collection D. Lescarret
Pure coïncidence, mais on remarquera que la carte "la Sardine" est éditée en 1924, année du premier passage de la Sarmiento à Marseille
12. Le rôle d'Ambassadeur culturel et de prestige, de la Fragata Sarmiento
Si la Fragata Sarmiento est connue en France surtout à travers sa légende concernant le tango, il ne faudrait en aucun cas occulter son rôle essentiel qui fut celui d'un ambassadeur de prestige de la République Argentine. Commencée en 1880, la prospérité économique de l'Argentine va aller grandissante jusqu'à la crise de 1929, et en 1900, le pays va compter parmi les acteurs majeurs de l'économie mondiale, surtout dans les secteurs des matières premières et des produits agricoles.
Que cette jeune nation soit représentée par un aréopage de jeunes gens brillants, encadrés par une élite qui forçat l'admiration de tous leurs hôtes dans les pays visités, fut, sans nul doute, un élément fondamental de l'accès de la jeune république au cercle très fermé des puissances influentes. Le véritable culte qui subsiste encore en Argentine, aujourd'hui, autour de cette frégate, tient à la fois du souvenir de sa brillante épopée, et de la nostalgie d'une prospérité perdue.
Cliquez pour agrandir / Images livre "Los Viajes de la Sarmiento" / Pour des raisons de mise en page l'ordre chronologique n'est pas respecté
La reconnaissance de l'importance de son rôle dans l'histoire de l'Argentine, fut officialisée le 18 juin 1962, date à laquelle la Fragata ARA Presidente Sarmiento fut consacrée " Monument Historique National ", puis transformée en Musée flottant, deux ans après. Toujours à flot, le bâtiment peut être visité, encore aujourd'hui, amarré aux quais de Puerto Madero.
13. Conclusion de l'étude, agrémentée de quelques images
En conclusion de cette étude
Il est toujours difficile de conclure une étude historique. Les certitudes sont très rares dans cette discipline, certains diront qu'elles sont inexistantes. Toutefois concernant certains points, comme ici Marseille, dès lors qu'il n'existe absolument aucun indice, ni d'un côté de l'Atlantique, ni de l'autre, aucun témoignage, ni aucun document, pour commencer à étayer un fait quelconque concernant cet évènement, quand, au contraire toutes les sources, tous les témoignages sans le moindre lien entre eux, tous les documents, de toutes origines et de tous pays, abondent dans le sens inverse, on peut alors parler de quasi certitude. Pour le reste il faut se contenter d'hypothèses et rester très prudent. Nous retiendrons donc :
Comme quasi certitude : jamais la Fragata Sarmiento n'a pu passer à Marseille en 1906 pour diffuser des partitions d'El Choclo ou d'un quelconque autre tango. Le premier passage dans ce port eut lieu en 1924.
Comme très improbable : écrit dans la nuit du 25 Décembre 1905, il fort peu probable que des milliers de partitions aient été imprimées seulement un mois après, et embarquées sur la Sarmiento début 1906.
Tout aussi improbable : le fait que ces partitions aient pu être embarquées de façon officielle, à charge de les distribuer dans les ports, le tango étant très mal vu, jusqu'aux environs de 1913, dans la haute société.
Egalement peu plausible : au vu des éléments précédents, l'hypothèse d'un concert au Japon en 1906 et durant lequel on aurait joué un tango, est totalement illogique ; il n'en existe d'ailleurs aucune trace historique.
Hypothèse à envisager : les cadets de la Sarmiento auraient pu effectivement convoyer des partitions demandées par des Argentins de Paris, peut-être les Gobbi ou Angel Villoldo, ou même l'éditeur Pierre Baets.
Dans cette hypothèse : entre les dates de 1907, un peu court, et 1909, date des festivités à Boulogne, cette dernière semblerait plus logique, du fait du délai nécessaire à l'établissement du succès et du besoin.
En conclusion : s'il est possible que la Fragata Sarmiento ait transporté des partitions, lui attribuer un quelconque rôle dans la diffusion première du tango dans le monde, relève de suppositions sans fondement historique, et ne résistant ni à l'analyse ni à la prise en compte du contexte socioculturel de l'époque.
Une seule certitude absolue : La Fragata Presidente Sarmiento mérite effectivement de rentrer dans la légende, mais celle de la Marine et de l'Argentine, en tant que joyau de l'Armada de la República Argentina, et extraordinaire ambassadeur de son pays à travers la planète.
Quant au tango : après de nombreuses recherches, le seul témoignage trouvé, reliant la Sarmiento et le Tango, est celui du Capitaine de Frégate A. Monkes, interview relaté dans l'ouvrage La Sarmiento y sus Glorias, et qui raconte que l'orchestre de la Sarmiento a bien joué du tango. Mais nous sommes alors beaucoup plus tard, en 1929, lors du 27ème voyage de la Sarmiento, et en pleine gloire de Carlos Gardel. Le tango était alors bien admis.
Quelques photos de ce magnifique bâtiment
Cliquez pour agrandir
La Fragata Presidente Sarmiento partant pour son dernier voyage
14. Le livre qui résume ces pages et qui rétablit l'histoire
C'est un ouvrage de 350 pages, dont un tiers français-espagnol, et au format A4 qui résume les pages de ce site web. Son auteur, Dominique Lescarret, El Ingeniero, a mis au total six ans pour le réaliser. Comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous, l'accueil a été chaleureux auprès des autorités militaires maritimes en Argentine ; l'Academia Nacional del Tango a reçu un exemplaire, de même que la Fundation Histarmar ; Harvard également, et la Bibliothèque Universitaire de Washington en a demandé un ; il figure au Service Historique de la Marine Nationale à l'Arsenal de Toulon, notre ancienne Première Ministre Élisabeth Borne en possède un, et plusieurs Universités françaises l'ont dans leur bibliothèque.
Il est à noter que c'est près d'un siècle de travail d' "historiens" qui a été infirmé, avec deux découvertes majeures : la machine principale du navire-école, devenu le Musée le plus visité d'Argentine, est de la même origine que certaines machineries de la Tour Eiffel à Paris, et fabriquée par une société française, la société Collet-Niclausse (qui équipait à l'époque, ma majorité des marines militaires de la planète). Autre découverte : quelques éléments pouvant expliquer comment les officiers de la Fragata Sarmiento figurent sur une photographie des funérailles de l’explosion du Liberté en 1911 à Toulon, alors que le navire est arrivé peu après… ces funérailles.
Il est prévu qu'un exemplaire restera à bord du Navire-Musée Sarmiento, à Buenos Aires, et qu'un autre fera le tour du Monde à bord de l'actuel navire-école, la Fragata Libertad. Remerciements particuliers à l'ancien Directeur du Musée Fragata Sarmiento, Carlos Zavalla, et au Contre- Amiral Marcelo Cristian Tarapow, Director General de Educación de la Armada Argentina.
15. Courriers officiels et Bibliographie - Liens utiles
Courriers officiels (extraits)
Chambre de Commerce de Marseille / 19 mars 2012 : cliquez
Service Historique Ministère de la Défense Toulon / 2 novembre 2015 : cliquez
Chambre de Commerce de Marseille / 25 avril 2016 : cliquez
Directeur du Musée Fragata Presidente Sarmiento / 2015 et 2016 : cliquez
Extraits bibliographiques
Los Viajes de la Sarmiento / Ediciones argentinas 1931 / Collection personnelle
La Historia del Tango - Hector y Luis Bates 1936 / Collection personnelle
La Sarmiento y sus glorias - E. Carrasquilla-Mallarino / Compaña impresora argentina s.a. 1938 / Collection personnelle
Fragata Escuela "Presidente Sarmiento" - Humberto F. Burzio / Comando en Jefe de la Armada - Departemento de Estudios Historicos Navales 1972 / Collection personnelle
Mis memorias - Francisco Canaro / Corregidor 1972 / Collection personnelle
Un siècle de Tango - Nardo Zalko / Editions du Félin Paris 1998 / Collection personnelle
Una valija del Titanic - Enrique Rodolfo Dick / Edivém 2002 / Collection personnelle
Estudios para los origenes del tango argentino - Carlos Vega / Universidad de Artes y Ciencias Musicales - Facultad de Artes y Ciencias Musicales - Editorial Guias S.A. 2007 / Collection personnelle
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La Fragata-Escuela Presidente Sarmiento alrededor del mundo - Prudencio Plaza / B.A. Imprenta de la "Nacion" 1901 / mise à disposition internet par l'Université de Toronto
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Liens utiles et incontournables
Un site et un travail remarquable : Fundación Histarmar
Le site officiel de la Armada Argentina
http://www.ara.mil.ar/pag.asp?idItem=112/
La Bibliothèque Nationale de France et son site Gallica
L'Université d'Harvard, extrêmement bien documentée
La page Facebook d'El Señor Haurigot
https://www.facebook.com/Buque-Museo-Fragata-ARA-Presidente-Sarmiento
Et le site incontournable de tout voyageur partant en Argentine
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