Tango Argentino au Chatelet en 1983

La renaissance du tango dans le monde

Novembre 1983, partout dans le monde, le tango est moribond.

En Argentine, nombre de milongas sont fermées, les bandonéons dorment dans les placards : la vague rock and roll des années 50 a conquis la jeunesse. La dictature ensuite n'a pas arrangé les choses, loin de là, et les artistes ont quitté le pays...

Le tango dansé n'est plus qu'un souvenir, rangé au rayon des antiquités et que ne pratique plus qu'une minorité de personnes très âgées. Les bandonéons ont été vendus ou sont dans les placards. Seules restent présents, la musique et le chant dans l'âme des argentins. En France, ne subsiste plus que le tango musette, qui n'est en réalité qu'une sorte de fox-trot simplifié.

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Le tango dansé va-t-il mourir ?...    Et puis l'inattendu arriva...

1.  Les prémices du renouveau : une histoire de femmes...

2.  Les Trottoirs de Buenos Aires :   l'idée à l'origine du renouveau

3.  Tango Argentino au Chatelet à Paris :   un succès foudroyant

4.  La revue Tango Pasión et les autres :  suite et améliorations

5.  Renouveau du tango dans le monde :   partout, même en Argentine

6.  En guise de conclusion,  et avec quelques extraits bibliographiques

1. Les prémices d'un renouveau / une histoire de femmes

Le retour en grâce du tango à Paris commença par la musique, avant le retour de la danse. C'est en 1977, qu'une chanteuse argentine, Valeria Munarriz arriva à Paris et enregistre divers tangos sur un premier vinyle. Peu d'échos nulle part dans la presse, sauf en 1978 un article lui est consacré par une femme, Christiane Chambenois, dans le magazine Le Monde de la Musique, dans son numéro 5 du mois de Novembre 78. De nombreuses erreurs historiques (gauchos, hommes entre-eux, bordels...) et quelques lieux communs qui font sourire, mais l'article est bien écrit et c'est véritablement une première.

    On peut y lire, entre-autre, des références à Carlos Gardel et à Piazzolla, et cette très belle description de Valeria et de son style : " Magnétique par sa voix grave et chaude, offerte par son corps, tragédienne du tango, elle s'entortille autour du spectateur et lui colle son haleine dans le cou."

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Elle enregistre un second disque en 1979, et jusqu'en 1980, personne n'en parle vraiment (le journal Le Monde y consacre quatre lignes en 80) sauf... Playboy... journal littéraire bien connu, dans son numéro du mois de mars de 1980 ! Le journal le Monde se rattrape dans un long article de Claude Fléouté, le 2 mai 1983, parlant ainsi de l'interprète avec un certain lyrisme : "...une forme d'exubérance brusque, un peu folle et une façon étonnante de promener des rêves éveillés et de rire aux éclats avec une stupéfiante fraîcheur." Autre reconnaissance précoce, la Fête de l'Humanité l'avait accueillie en 1978 (date à préciser), où elle avait présenté pour son unique fois en France "El grito", Le cri, vision théâtrale de toutes les voix de la naissance à la mort, inspirée d'une phrase de Pablo Neruda : "Viens voir le sang dans les rues" et annoncé dans l'article du Monde de la Musique. Trop dur, trop fort pour un public non averti, Valeria Munariz décida de se consacrer uniquement au tango.

       

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Pour en revenir à Playboy, certes la journaliste Chantal Kimmerlin, mélange un peu tout, mais elle a au moins le mérite de pressentir un renouveau auquel personne ne croyait à l'époque : "Tango ringard, démodé, chapeaux cloche et cheveux gras..." Parmi les petites "imprécisions" il est signalé l'orchestre de Bachicha à La Coupole : nous sommes en 1980, Bachicha a cessé d'y jouer en 1960 et est mort en 1963. A noter que l'article a été écrit par une femme... journaliste au journal Le Monde mais qui l'écrit dans Playboy... Pourtant, le deuxième disque LP avait été enregistré sous la direction de Juan José Mosalini.
Enrique Cadicamo fit la superbe dédicace ci-dessous, sur la pochette du troisième.

" Lambeaux de passions tumultueuses et impérissables, à jamais présentes, telles ces fleurs du mal aux exaltations fatales, les thèmes de cet album nous entraînent au-delà du tango. Valeria Munarriz, cette surprenante interprète, se dresse au-dessus du sillon, assemblant poésie et musique en sa voix au timbre unique ; confirmant ainsi que pour rendre l'émotion du tango il faut avoir maintes fois arpenté les nuits de Buenos aires. Enrique Cadicamo

     

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Qui était donc cette fabuleuse interprète ? De son vrai nom Rosita Munárriz, elle est née de père basque et mère indienne en 1927, à Balcarce en Argentine. Commençant sa carrière comme actrice de théâtre et comme chanteuse, elle quitte l'Argentine, pour comme tant d'autres, fuir la dictature. Après des débuts confidentiels à Paris, elle impose définitivement son talent en 1983. Le célèbre journal de Buenos Aires, Pagina 12, dans un article de 2005 intitulé " La dernière Diva ", cite un florilège des critiques de l'époque :  « Un monstre sacré arrive d'Argentine, avec une voix qui sort des entrailles et s'élève, arrogante, devant un public qui l'idolâtre » (Les Nouvelles Littéraires) / « Elle chante comme si elle s'immolait » (L'Aurore), etc... F (magazine), organe de la presse féministe s’extasie en 1983, sur « la voix grave et chaleureuse qui dégage une distinction inhabituelle dans ces chansons coquines que sont les tangos… ». Ecoutons son enregistrement de 1977, de " Bandonéon Arrabalero " :

Outre les trois vinyles mentionnés ci-dessus elle produira deux Cds : Valeria Munarriz chante Borges, en 1991, et  Moi je suis le temps du tango, en 1993, où elle chantera, outre des grands classiques comme "Yuyo Verde", "El Firulete" ou "Patio de la Morocha", le morceau de Léo Ferré portant le titre même de l'album.

suasana rinaldi histoire tangoLa seconde chanteuse, déterminante dans le renouveau du tango fut Susana Rinaldi. Née à Buenos Aires en 1935, elle commence une carrière à la fois de comédienne et de chanteuse. Elle et son mari, le virtuose du bandonéon Osvaldo Piro, créent en 1971 le café-concert Magoya, en bord de mer, à Mar del Plata. Fuyant le coup d'Etat de 1976, elle arrive à Paris un an après fin 1977. Juste avant de quitter Buenos Aires, elle eut le temps d'enregistrer son spectacle au Teatro Odeon. C'est un disque intitulé "Y vamos ya" qui gravé en Espagne va aider à la faire connaitre en France. Ecoutons un extrait de cet album et le titre " Cuesta abajo ".

A Paris, c'est Jean-Louis Barrault qui la découvre. Il l'invite à donner une série de concerts au Théâtre d'Orsay où le succès est immédiat. Puis, c'est le Théâtre de la Ville, l'Olympia et le Dejazet qui l'accueillent. Adoptée par la France, Susana Rinaldi est Chevalier des Arts et des Lettres. Son action, artistique et financière, fut déterminante dans le succès des Trottoirs de Buenos Aires, histoire développée au chapitre suivant. Cliquez sur la photo de la pochette ci-contre, pour voir les titres de l'album enregistré plus tard en 1997, en Suède.

Ci-dessous à écouter, le titre " Sin estridencias ".

Certes l'essentiel du répertoire de ces deux femmes n'est guère dansable, mais la beauté et la puissance de leur voix ont refait découvrir le tango à toute une génération de français, puis d'européens qui, du tango n'avait rien entendu d'original et en provenance directe d'Argentine. La voie était ouverte pour que la danse puisse s'imposer...

La troisième femme, toute aussi déterminante dans le renouveau du tango, non plus pour le chant mais pour la danse fut Carmen Aguiar, première professeure de tango argentin en Europe, qui officia dès 1986 aux Trottoirs de Buenos Aires. Nous en reparlerons également au chapitre suivant, dans lequel figure un interview passionnant.

Et bien sûr on rappelle le nom des deux autres femmes journalistes : Christiane Chambenois et Chantal Kimmerlin.

Cinq femmes à la manœuvre !

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2. Les Trottoirs de Buenos Aires

Le journal Le Monde, dans un article de 2005, résume très bien la situation à cette époque :

" On vient à Paris chercher le succès, quand les chemins argentins se ferment. Surtout, la profusion d'excellents musiciens argentins arrivés en France depuis les années 1960 suit les courbes du destin politique de l'Argentine : allers et retours de Peron à la tête du pays (parti en 1955, revenu en 1973, mort en 1974 et remplacé par son épouse, Isabel), terrorisme, guérilla, Etat militaire (coup d'Etat en 1966, dictature en 1976), instabilité économique. Toutes ces mauvaises passes poussent au départ. Historiques parmi les tangueros parisiens contemporains, Juan Cedron et son fameux Cuarteto s'installent à Paris en 1974, ouvrant le chemin. Rappelons le contexte. Isabel Peron ne contrôle plus rien à Buenos Aires. L'inflation est de 335 %. Le pianiste Gustavo Beytelmann, dont le père, juif russe, était né rue des Rosiers, à Paris, prend la poudre d'escampette trois jours après le coup d'Etat du général Videla, en 1976. Le virtuose du bandonéon Juan José Mosalini le suit quelques mois plus tard. Le guitariste Luis Rizzo arrive en 1982, l'année où l'Argentine est battue par la Grande-Bretagne durant la guerre des Malouines..."

La création : en fait, rien n'arrive jamais spontanément, ni par hasard. Il faut revenir au début des années 70. Benjamin Kurk Edgardo Cantón, musicien et représentant de l'Unesco, et Tomás Barna, veulent faire connaitre le tango, leur tango, aux parisiens. Certes, Tomás Barna, épaulé par l'Alliance Française, fait de nombreuses conférences, et même anime une émission de radio. Mais les français ignorent absolument tout du tango né après la guerre, et la tache est immense. Il faut trouver un local et créer un lieu culturel permanent pour diffuser la culture tango.

Il faut attendre une dizaine d'années, en 1981, pour qu' Edgardo Cantón arrive à réunir partenaires et passionnés pour trouver les fonds nécessaires. Parmi ces pionniers, on peut citer Leopoldo Presas, Pérez Celis Antonio Segui, Tomás Barna, Susana Rinaldi, Roberto Plate... venus de tous horizons, musiciens, écrivains, peintres, sculpteurs, etc...

Le local tant désiré est déniché au 37 rue des Lombards, non loin de la rue des Halles et du théâtre Le Chatelet.

Comment le baptiser ? L'inspiration vint du titre d'un tango composé par Julio Cortázar et Edgardo Cantón : "Veredas de Buenos Aires" , qui devint Trottoirs de Buenos Aires, le nom du lieu nouvellement créé. Restait a en organiser la programmation. Tomás Barna est dépêché à Buenos Aires en juillet 1981.

histoire trottoirs buenos aires cortazar Parallèlement, en 1972, le bandéoniste Luis Stazo, avait réuni quelques musiciens, et fondé un orchestre. Virgilio Machado Ramos, qui les faisait jouer en la Casa Carlos Gardel, rue Jean Jaurès, leur trouva un nom : le Sexteto Major. Tomás Barna mis du temps à les convaincre de venir en Europe, mais finalement la décision fut prise, et dans l'enthousiasme général.

L'inauguration des Trottoirs de Buenos Aire eut lieu le 19 novembre 1981, sous la présidence honorifique de Julio Cortázar. Que de la musique et ensuite du chant, pas de danse prévue dans la programmation. Ce fut un triomphe, mélangeant émotion et enthousiasme. Trois semaines plus tard, le Sexteto Major entrait en scène, nouveau triomphe. La presse française relaya l'évènement, la presse Argentine l'ignora totalement.

La ligne directrice au départ est essentiellement musicale, voire instrumentale. Susana Rinaldi, qui a commencé sa romance musicale avec Paris dès 1979, amène le chant et rencontre un vif succès, particulièrement en 1986 aux Trottoirs de Buenos Aires, suscitant un article élogieux dans le journal Le Monde : " Il y a chez elle une force, une violence, une truculence et une émotion que l'on redécouvre à chaque fois, émerveillé ". A noter que Susana Rinaldi a été présente dès le commencement du projet et, de passage à Paris en 1981, avait participé activement à son financement.

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Les évènement exceptionnels s'enchainèrent : le chanteur et bandonéoniste Rubén Juárez pour le réveillon de St Sylvestre qui suivit, le duet Horacio Salgan et Ubaldo de Lio, Oscar Paretta, pour ne citer que les premiers. histoire tango argentin trottoirs de buenos airesCe fut une longue liste d'artistes de premier plan qui se produisirent aux Trottoirs. Parmi les habitués du lieu, outre Julio Cortázar, on peut citer Osvaldo Pugliese. Ce dernier allait créer un autre évènement en 1986, en se produisant au Bataclan.

   Voir cette soirée reconstituée dans un extrait du film :
Tango, l'exil de Carlos Gardel / lien vers la filmographie

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Quelques programmes des concerts des Trottoirs de Buenos Aires et des premiers cours de tango

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Et puis un disque, réédité en cd, nous permet aujourd'hui d'écouter la musique du concert d' Horacio Salgan et d' Ubaldo de Lio en 1982, ils joueront l'année suivantedans le show Tango Argentino. A écouter, ci-dessous, un extrait de ce disque et leur interprétation du tango " El Amenecer " :

    

Cette même année des divergences opposèrent les membres fondateurs et Tomás Barna pris ses distances. La danse, sous forme de cours, avait pris sa place dans le lieu, mais le nombre de spectateurs aux concerts commençait à baisser. En 1991, la situation était devenue critique, en 1992 elle empira, et le lieu dut fermer en 1994... Mais le bilan de cette aventure fut celui d'une grande réussite, et les germes du renouveau du tango dans le monde, avaient été semés en plein cœur de Paris.

De cette période florissante, il nous reste un disque culte, intitulé " Trottoirs de Buenos Aires " avec des musiques de Edgardo Cantón et Julio Cortázar, chantés par Juan Cédron : inoubliable ! Cliquez sur les images, vous pourrez lire les textes magnifiques des tangos, sur la page intérieure ci-dessous.

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...Et puis, si on y prend garde, si on écoute attentivement la musique d’Edgardo Cantón, on découvre autre chose, un « tango dans le tango », une espèce de parodie amicale qui, sans trahir le modèle ancien, le modernise fortement, l’enrichit d’innovations rythmiques et mélodies originales, de bourrasques de bandonéon, de mélancolie violonée, de contrebasse angoissée mais aussi, comme dans « Paso y Quiro » par exemple, d’une allégresse totale, ravageuse, très audacieuse. Même chose pour les poèmes de Cortázar que porte Juan Cedrón de sa voix superbe. Ils se suffisent à eux-mêmes, sans aucun doute, mais sont pleins, à la fois de clins d’œil aux connaisseurs et de citations pour initiés… Cliquez sur les images pour les agrandir.

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En photo à gauche et au violon, Hugo Crotti ; au centre de gauche à droite, Edgardo Cantón, Julio Cortázar et Juan Cedron, et sur la photo de droite, Juan Jose Mosalini et César Stroscio

…En fait les tangos de Cortázar nous renvoient à l’exil. Aussi bien à l’exil intérieur que subissent tant d’hommes et de femmes dans leur propre pays, là-bas, qu’à l’exil classique de ceux qui, un jour, ont traversé l’Atlantique sans « comprendre que la mer est bien plus que la mer », que « la mort se vêt de distance ». Même si les déchire « la sourde conviction que revenir est vain », ils gardent confiance malgré tout… Les phrases entre guillemets sont issus du tango « La cruz del sur » (La Mufa), le texte est issu de la page intérieure du disque vinyle. Cliquez sur les images du disque pour les agrandir.

trottoirs de buenos aires susana rinaldiEt la danse ? En fait le lieu au départ n'avait pas été conçu pour ça., mais plutôt comme un lieu de rencontres culturelles entre émigrés argentins. La danse, c'est Carmen Aguiar et Victor Convalia qui l'ont introduite vraiment en 1986, sous forme de cours et ont instauré les premières milongas le dimanche. En 1989 tous les danseurs du spectacle Tango Argentino y venaient finir leur soirée : " Osvaldo Zotto, Milena Plebs, Majoral, Pablo Veron, Virulazzo, ils étaient tous là ", nous relate Carmen des années plus tard. Eduardo Arquimbau, également danseur du show Tango Argentino et habitué des lieux, y organisa un premier séminaire, puis des cours régulier pendant trois mois, pour unifier un peu l'enseignement qui se mettait en place à Paris de façon très désordonnée. Il enseigna le style caractéristique en abrazo cerrado des danseurs de Buenos Aires, montrant qu'il savait parfaitement faire le distingo entre le tango de bal, et le tango de scène, pratiquant suivant le lieu et les circonstances, aussi bien les deux façons de danser. Il fut le premier à faire découvrir la Salida aux parisiens, et la notion d'improvisation pour dépasser les techniques de base. A noter que si certains aujourd'hui, et particulièrement des danseurs issus du folklore qui enseignaient des chorégraphies sans la moindre notion de guidage, revendiquent la diffusion du tango en France, voire en Europe à cette époque, nombre d'observateurs qui ont vécu cette période, en attribuent essentiellement le mérite, à Eduardo Arquimbau.

Eduardo et Gloria, danseurs de show, mais dansant en cerrado, tel qu'ils le pratiquaient en milonga :

 

L'auteur et créateur de ce site, Dominique Lescarret," El Ingeniero " eut la chance et le privilège de pouvoir aller aux Trottoirs de Buenos Aires en 1993, et d'assister à un cours de Carmen Aguiar et Victor Convalia et de converser avec ce dernier. Débutant en tango, qu'il avait commencé quelques mois plus tôt, il ne put apprécier toute la valeur de la transmission pour la partie danse, seulement la qualité impressionnante des musiciens présents. A noter que nombre de jeunes danseuses du ballet classique de l'Opéra, venaient s'essayer en ce lieu, aux pas du tango. Plus tard Dominique  Lescarret eut également la chance de pouvoir accueillir Eduardo Arquimbau dans son école à Marseille.

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Ci-dessous Victor, et l'auteur en compagnie de Carmen Aguiar, lors d'un interview en Octobre 2021.

Carmen donne toujours des cours à Paris et à Montreuil et anime la milonga El Patio

               

Une autre interview passionnante donnée par Carmen Aguiar, et publiée avec l'aimable autorisation de Arno tango, dont nous saluons le gros travail, et qui nous éclaire sur les débuts de la danse aux Trottoirs. Pour voir la vidéo entière ( 28 minutes), cliquez

l'original de Arno tango : ou

 

Le site de Carmen Aguiar : http://carmen-aguiar.fr/blog/

Une petite vidéo, tournée en 1989, permet de voir les premières démos de danse aux Trottoirs de Buenos Aires.

Sur la piste certains reconnaitront Pablo Veron (qui portait la moustache durant le show) et Carolina Iotti qui dansent dans le show Tango Argentino. On les retrouvera ensemble dans le film culte "La leçon de tango".

D'autres reconnaitrons plutôt Norma et Luis Pereyra, d'autres encore...

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Mais l'histoire ne s'arrêta pas là...                                     Retour haut de page

3. La revue Tango Argentino au Chatelet à Paris

histoire tango juan carlos copesUn soir de 1982, deux habitués des trottoirs, deux argentins, Claudio Segovia et Héctor Orrezzoli, viennent emmenant avec eux, les propriétaires du Théâtre du Chatelet. C'est l'aboutissement d'un projet né six ans plus tôt en 1976. Dans une loge de l'ancienne et célèbre boite " Le Sans Souci ", crée par un des deux frères Citroën, Juan Carlos Copes, en photo à gauche, est abordé par Claudio Segovia. Il a un grand projet de spectacle en tête. Ils promettent de se revoir rapidement pour en parler, ce qu'il feront... six ans plus tard. Le projet : réunir 33 artistes argentins pour se produire pendant une semaine à Paris. Une date est trouvée durant le Festival d'Automne du vieux théâtre du Chatelet. De nombreux musiciens et chanteurs renommés donnent leur accord, dont le Sexteto Major et Roberto Goyeneche. Copes assurera la chorégraphie pour les danseurs.

Un seul gros problème : le financement. Impossible de payer les billets d'avion. C'est finalement un petit avion de quarante places  de l'Armée de l'air, qui va les transporter. La fin de la dictature en Argentine avait permis aux artistes et à l'armée de renouer le dialogue. Mais dans quelles conditions ! Ils sont trente-trois à faire le voyage, mais ne peuvent occuper la cabine avant, celle-ci étant occupée par une turbine et du matériel militaire. Entassés à l'arrière, certains assis par terre, ils n'eurent droit qu'à un seul repas pendant tout le voyage. Après plusieurs escales dans des bases militaires et plus de quarante heures de voyage dans des conditions épouvantables, ils arrivèrent à Paris.

Le 11 novembre 1983 la première de " Tango Argentino " est présentée au public. La salle de deux milles places est pleine à craquer. En soirée c'est encore pire, le guichet est débordé. Le jour suivant les prix s'envolent au marché noir, les deux spectacles sont présentés dans une salle pleine, où les derniers arrivés sont assis par terre dans les travées ! Les six jours de spectacles furent un succès incroyable autant qu'inattendu. Le 14 novembre, le journal Libération souligne : " ... Le tango est entré de nouveau dans Paris... " et il souligne également que la porte d'entrée en avait été les Trottoirs de Buenos Aires.

Ci-dessous, le programme du Chatelet de 1984 (collection D. Lescarret) : dont un résumé de l'histoire du tango (version de l'époque concernant les origines...), et les noms et photos des artistes.

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Ces six jours mémorables furent suivis d'une tournée en Italie, Venise Rome et Milan. On raconte que durant le spectacle au Chatelet, des producteurs américains se trouvaient dans la salle. La revue s'envola en 1984 vers New-York. Le succès est incroyable. Au City Center, il a fallu remettre en service toute la partie supérieure du théâtre, fermée depuis quarante ans. Tango Argentino ne pouvait plus quitter Broadway ! Salle comble pendant presque un an.

 

1er Janvier 1985 : le journal Notre Temps, publie sous la plume de François-Régis Barbry, ce petit texte :

...la France vit, à l'automne au rythme du tango : plusieurs spectacles s'y sont donné - pure coïncidence - rendez-vous. Tango Argentino, au Théâtre musical de Paris, retour de la grande revue qui a triomphé sept mois plus tôt ; El Tango, aux Bouffes du Nord rassemble la flamboyante italienne Milva et Astor Piazzolla ; Cafetin de Buenos Aires, au Casino de Paris, en décembre. Il faut préciser qu'en juin Tango pile et face, d'Eve Griliquez et Oscar Sisto, avait mis en scène le chant profond de l'Argentine, et qu'aux Halles, la musique chère à Carlos Gardel tient des assises permanentes aux Trottoirs de Buenos Aires, depuis quelques années. Le tango, dans ses couleurs sombres et sa gouaille quelque peu blasée, comme un chant ironique qui danse dans la nuit : c'est d'après les spécialistes, le pas de danse qui correspond le mieux à la crise.

Ci-dessous le programme de Tango Argentino à Brodway en 1986 (collection D. Lescarret). Tango Argentino est nominé lors de la 40e cérémonie des Tony Awards, et se produit pendant la soirée. Seules les pages originales, par rapport au programme du Chatelet, sont reproduites ici (collection D. Lescarret). En dehors de la couverture et de la page de garde, on peut voir, dans l'ordre de gauche à droite, une évocation d'un dessin de Vanity Fair censé rappeler le premier pas de tango aux Etats-Unis en 1917, puis un mini lexique traduit de termes de tango, une page entière consacrée au bandonéon, et enfin une page de commentaires élogieux de la presse américaine.

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La revue partit pourtant des Etats-Unis, d'abord pour revenir au Chatelet en 1984, et plus tard, pour  une grande tournée à travers le monde, Biennale de Venise en 84, Milan, Rome, de nouveau les Etats-Unis en 1985 et 1986, et jusqu'au Japon en 1987.

Antón Gaenbeek raconte dans son ouvrage "Inside the show, Tango Argentino" une anecdote qui aurait eu lieu, lors de cette tournée au Japon. L'empereur est encore une sorte de Dieu vivant que personne n'approche à moins de dix mètres, et encore moins ne touche. Lors d'une des dernières soirées, l'Empereur aurait serré la main de tout le staff du spectacle et aurait embrassé Carlos et Iñes Bórquez. Il aurait même, choquant quelque peu les dignitaires présents, exécuté quelques pas de danse. Il est vrai que le tango, depuis le baron Megata dans les années vingt, était très populaire déjà au Japon.

Toutes les célébrités de la planète allèrent voir le spectacle : Jacqueline Kennedy, Ann Miller, Rita Moreno, Mikhail Baryshnikov, Rudolph Nureyev, Burt Reynolds, Kirk Douglas, Dustin Hoffman, Robert De Niro, Liza Minnelli, Katharine Hepburn, et Placido Domingo, pour ne citer que les principaux.

Aux Etats-Unis l'engouement fut exceptionnel à New-York comme dans tous les autres Etats du pays, en 1985, mais engouement qui, curieusement, ne donna pas la même envie de découvrir la danse, par rapport avec ce qui se passa en Europe...

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Ci-dessous, le programme du Théâtre Mogador, lorsque la Revue Tango Argentino revient encore à Paris en 1989 (collection D. Lescarret).  Cliquez sur les images pour agrandir

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On pourrait croire à la lecture de se programme, et en s'apercevant qu'il y a une liste des musiciens et des chanteurs, mais pas de liste des danseurs, que ceux-ci ont été relégués au second plan. Au contraire, et c'est la nouveauté, chaque couple a droit dans ce programme, beaucoup plus riche et épais que celui de 83 ou 84, à une page pleine avec son nom.

         

         

         

Ainsi on retrouve parmi les danseurs du premier spectacle, Nelida et Nelson, et Gloria et Eduardo Arquimbau. qui fera une milonga d'anthologie dans le film " Tango ! L'exil de Carlos Gardel ".Le reste de l'équipe a changé, est un peu rajeunie, et s'est professionnalisée pour la scène, avec l'arrivée de Carlos Rodriguez et nes, Norma et Luis Pereyra, Monica et Luciano, Hector Mayoral et Elsa Maria, Virulazo et Elvira, et ceux qui allaient devenir une légende , Miguel Angel Zotto et Milena Plebs, d'une part, et Carolina Iotti et Pablo Veron, d'autre part. On retrouvera ces derniers et tous les deux dans le film culte " La leçon de tango " de, et avec, Sally Poter

         

     

Quelques extraits du spectacle Tango Argentino - Mogador 1989.

         

L'une des chanteuses de la troupe, Maria Graña, évoque avec émotion ces tournées. « Nous étions souvent devant des publics qui ne comprenaient pas notre langue, et j'ai dû, au-delà du chant, trouver l'interprétation pour transmettre le désespoir des textes que j'interprète.»

Larmes de sel --- Si les constantes du tango se soudent dans les plaintes et la nostalgie, c'est bien parce que les porteños, les hommes du port, ont en eux les images d'autres ports et celles de leurs ancêtres, et que, à force de les chercher au-delà de la plaine, de la pampa sans limite, ils pleurent. Larmes de sel où se reflètent d'autres visages, d'autres paysages perdus ou abandonnés. Les plaintes du tango disent plus que l'amour frustré, elles parlent de fatalité, de destins qui s'engouffrent dans la douleur et du paradis perdu, Europe mythique. Alors, le tango n'est plus seulement la musique de Buenos-Aires, il est à lui seul la synthèse de la ville. A Buenos-Aires et sur les deux rives du grand fleuve, à la frontière de l'Uruguay, tout instant est en rapport avec le tango.

Jorge Lavelli

Et l'Argentine ? Ce furent les derniers servis. La revue n'y passa qu'en 1992, presque dix ans plus tard, par manque d'intérêt des producteurs, le tango étant passé de mode dans le pays, et par l'existence de nombreuses difficultés. En fait le tango était considéré comme secondaire, dans le panorama culturel argentin. Enfin, le 16 septembre 1992, au théâtre Grand Rex à Buenos Aires, 3 500 personnes assistaient à un premier spectacle. Mais très vite l'intérêt retomba et les critiques furent très négatives : ce fut le début de la fin pour Tango Argentino. En Argentine, un comble ! Les argentins allaient donc être les derniers à avoir chez eux un regain d'intérêt pour le tango, et les premiers surpris de voir celui suscité dans les autres pays dans le monde.

Par la suite on vit à Buenos Aires pulluler des spectacles pour touristes, malheureusement sans grand intérêt ni authenticité, bien loin de Tango Argentino.

Ils allaient quand même se rattraper en adhérant à d'autres spectacles comme Tango Passion, et à une époque plus récente, le 19 février 2011, enfin un grand hommage fut fait à Claudio Segovia, sur la place de l'Obélisque, à Buenos Aires (voir en bas de page, au paragraphe 5).

histoire tango argentino vinyl   histoire tango argentino vinyl Aujourd'hui il nous reste pour danser en milonga, la musique enregistrée à l'époque par l'orchestre du Sexteto Mayor, sur ce superbe vinyle de 1986 (collection D. Lescarret).

Du pur bonheur

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4. Le spectacle Tango Pasión, et les autres

Brodway avait marqué de son empreinte le spectacle Tango Argentino, une sorte d'apogée. Le groupe et la troupe s'étant quelque peu dissociés, un producteur américain, Mel Howard, élaborer le projet d'un nouveau spectacle, sur la base de Tango Argentino, et qui allait s'appeler Tango Pasión.

Même qualité de spectacle, mais avec une recherche esthétique et musicale plus élaborée. José Libertella, fondateur du Sexteto Major, a dit : " Tango Pasión, c'est l'évolution, le perfectionnement...". Tango Argentino, n'ayant pu honorer nombre de contrats, Tango Pasión, prit donc la relève, et étendit la diffusion de spectacles de tango à des régions qui jusque là, n'en avait pas vu : Hong Kong, Russie, Espagne, Finlande, etc...

Le programme de 1993

Le style change et l'on note l'arrivée du dessinateur Ricardo Carpani, en couverture et avec diverses illustrations (collection D. Lescarret). Cliquez sur les images pour agrandir

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Quelques extraits du spectacle Tango Pasión 1997. Si besoin survolez l'image pour lancer la vidéo

               

Le programme de 1998

On peut remarquer une nette évolution par rapport aux précédents. D'abord le programme est trilingue lorsque le spectacle est présenté en Allemagne. Ensuite la place donnée à l'orchestre est plus importante, et enfin le graphisme est plus recherché, donnant une plus large place au dessinateur Ricardo Carpani. Ce changement dans la présentation, est également le reflet de ce qui a été à l'origine de la création de ce spectacle : la possibilité d'évoluer et " d'apporter des nuances étiques, esthétiques et musicales respectant les individualités " (Paris Tango - Manrique Zago, 1998). L'arrivée du chorégraphe Hector Zaraspe, issu du Ballet classique, contribue fortement à ce changement

Selon Jose Libertella évoquant cette évolution entre " Tango Argentino " et " Tango Pasión " :

« El primero fue "el boom" , el espectáculos de más éxisto en el mundo después de Carlos Gardel. Pero Tango Pasión es la evolutión, el perfeccionamiento de algo que siempre es pasible de cambio »

Le premier fut une explosion, le spectacle le plus connu dans le monde depuis Carlos Gardel. Mais Tango Pasión est l'évolution, le perfectionnement de quelque chose toujours susceptible de changer.

Cliquez sur les images pour agrandir (collection D. Lescarret)

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Quelques extraits du spectacle Tango Pasión 2002

           

 

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Tango X2 : une autre revue, issue elle-aussi de Tango Argentino, allait être mise sur pied en 1993, par un couple de danseurs mythiques, Miguel Angel Zotto et Milena Plebs , celle dont le visage avait été choisi pour illustrer l'affiche du spectacle (ci-contre à gauche). Ils avaient commencé à danser ensemble dans Tango Argentino en 1986. Le style est différent, plus enraciné dans la culture populaire, et le succès mondial est immédiat. Miguel Angel Zotto est un danseur complet, qui aime bien sûr le tango, mais excelle également dans le swing, aussi à l'aise sur une scène de spectacle, que dans une milonga, et avec, dans les deux registres, un sens du rythme hors du commun.

En 2007 Miguel Angel Zotto change de partenaire pour danser avec Daiana Guspero qu'il épouse. Le succès est toujours au rendez-vous et le tournées internationales s'enchaînent.

Ci-dessous le trailer de son spectacle Puro Tango

       

Note personnel du rédacteur : ayant eu l'occasion de le voir en spectacle, danser pour le plaisir, et ayant pu échanger lors d'un champagne partagé au Festival de Menton, je peux dire que je n'ai jamais vu un danseur professionnel mettre autant de plaisir à pratiquer, quelque soit le lieu, la partenaire ou l'occasion, étant de plus particulièrement sympathique.

Il faut citer aussi l'inoubliable spectacle Forever Tango, créé par Luis Bravo, le violoncelliste de Tango Argentino, et qui eut un énorme succès à Broadway. On en retiendra la prestation mythique, en 1997, de Carlos Gavito et de Marcela Durán, prestation qui donna tant envie d'apprendre le tango à une multitude de spectateurs de l'époque, à travers le monde.

   

FOREVER TANGO

Que reste-il de ces revues ? Si elles furent fondamentales dans le renouveau du tango dans le monde, aujourd'hui, il ne reste quasiment plus que de spectacles pour touristes à Buenos Aires, le tango et sa perception ayant très fortement évolué. Ainsi les danseuses de l'époque, souvent issues du classique et n'ayant appris le tango que pour la scène, paraissent aujourd'hui techniquement très limitées, sauf en ce qui concerne les sauts et acrobaties. Avec quelques exceptions heureusement. De même les danseurs, capables de faire un double tour en dehors sans problème, ont des guidages, quand il y en a, quelques peu musclés. Depuis, les choses ont évoluées, et on peut voir dans certains shows de tango argentin à Buenos Aires, de véritables danseuses et danseurs de tango, capables de danser en milonga, et qui parfois, après le spectacle, vont boire un verre avec leur partenaire, et faire quelques pas pour le plaisir, à la Viruta... Un retour aux sources en quelque sorte, les tout premiers comme Edouardo Arquimbo étaient de vrais danseurs aussi bien de bal que de scène...

Mais ne l'oublions : c'est d'abord la musique et ensuite le tango de scène qui ont relancé le tango argentin dans le monde...

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5. Le renouveau du tango dans le monde

Claudio Segovia, confia dans un interview:

« Paris a joué un grand rôle dans l'histoire du tango. Au début du siècle, le succès français a donné en Argentine ses lettres de noblesse à cette danse née dans les bas-fonds. Le tango a fait ainsi son entrée au cabaret argentin. Des décennies plus tard, Paris fut de nouveau, avec Tango Argentino et le formidable regain qu'il a aussitôt suscité, le redépart du tango dans le monde.»

Non seulement, il y eut un regain pour les spectacles, mais aussi pour l'apprentissage de la danse.

A Paris, sous l'impulsion de Isabelle de la Preugne et Alfredo Palacios, un haut lieu de la danse était né, le Latina, surnom du Bistrot latin. Outre les soirées dansantes, des cours y étaient donnés, dans le prolongement de ce qu'Edouardo Arquimbau, véritable initiateur du tango de bal en France, leur avait donné.

Partout ailleurs, pendant les tournées, les spectateurs des shows cherchaient des professeurs, demandaient même aux danseurs après le spectacle comment apprendre, avec qui, etc... A la fin des années 80, début des années 90, les lieux d'enseignement commençaient à se répandre en Europe, au Japon, partout, et des argentins, souvent de simples danseurs partaient diffuser leur manière de danser, souvent hébergés en résidence.

Deux pays firent exception. Les Etats-Unis, d'abord où curieusement ce qu'on appelle aujourd'hui le "Tango Américain" garda une certaine prévalence. Pour rappel ce "tango américain" est, aux yeux de nombre de spécialistes, une parfaite image du tango importé de Paris entre 1913 et 1920 et qui avait peu évolué depuis. L'Argentine ensuite, où le tango n'avait jamais connu le concept d'école de danse et où la transmission se faisait en famille et entre amis. Les seuls danseurs prenant des cours réguliers ( et particuliers) étaient (et sont souvent encore) ceux qui se destinaient aux spectacles. Les choses sont en train de changer doucement, mais jusqu'au début des années 90, le tango resta très marginal, quasiment mort en ce qui concerne la danse, et ce fut très long à repartir.

histoire du tango olivier manouryRegardons ce qu'en disait, Olivier Manoury, dans une interview accordé à Solange Balezy :

" Il n'y avait à cette époque là (1978-79) aucun jeune bandonéoniste, pas même en Argentine. C'était un instrument en voie d'extinction. Les derniers, les plus jeunes étaient Mosalini, Medeiros, Walter Rios... Ils avaient dix ans de plus que moi, ils avaient résisté au sentiment de honte, aux sarcasmes, au fait de paraître ringards, à tout ce que la mode et le conflit des générations véhiculent de stupides et cruels préjugés et qui a frappé le monde du tango (en Argentine) comme chez nous (en France) le monde de l'accordéon."

Plus tard lors de son voyage en 1990, il note à son retour, dans un article de la revue Trad-mag, et repris dans le numéro 2 du magazine Dansons, consacré au Tango  : " La fameuse Calle Corientes qui était autrefois le Broadway du tango, ne compte plus aucun dancing, aucun théâtre où l'on puisse entendre ou danser le Tango... Le tango s'est réfugié dans le quartier de San Telmo... C'est là que jouent les musiciens les plus connus, et souvent les meilleurs. Mais le public argentin du Tango n'y va pas. L'entrée coûte un quart du salaire mensuel d'un employé... Il y a environ une quinzaine de bandonéonistes professionnels de moins de quarante-cinq ans, et aucun entre vingt et trente ans... Une grande quantité de bandonéon anciens sont vendus en Europe et au Japon par des musiciens en tournée... (le Tango) est rejeté par la génération des sixties au même titre que le monde auquel il appartenait, comme symbole de la génération précédente..." Horacio Ferrer avait dénombré une centaine de lieu pour écouter ou danser le tango, dont une cinquantaine rien que sur que sur Corrientes ou sur des rues adjacentes. En 1976, Los Dinzel n'avaient plus que quatre élèves dans leur cours (dont un français) et pensaient à arrêter. Susana Rinaldi s'enfuyait dans la nuit pour se réfugier à Paris (où elle rencontra Bruno Coquatrix, et fit ainsi ses débuts dans la capitale). En 1990 tous les lieux décrits par Horacio Ferrer avaient disparu, rock, dictature, musique et danse marqués générationnellement, le tango était moribond. En fait le tango qui subsistait était confidentiel et réservé à quelques passionnés de musique, ou bien c'était une petite activité destinée aux touristes qui depuis peu commençaient à arriver. C'est l'explosion et leur arrivée massive, à partir de 1992-93, qui va relancer le tango en Argentine et les jeunes porteños se le réapproprieront aux alentours de 1995.

Héctor Benedetti fait la même analyse de la mort du tango en Argentine et de sa résurrection au début des années 90, date de la création de la radio FM Tango, dont le producteur, Michel Peyronel, venait... du Rock'n Roll... Comme quoi rien n'est jamais perdu et tout est toujours possible, surtout dans le tango, véritable Phénix au fil des générations !

En France, c'est le système associatif qui mit en place des réseaux au début des années 90, avec principalement le Temps du Tango à Paris et Tangueando au départ d'Ales et dans quatre autres villes du sud de la France.

histoire tango argentin en france  carte histoire tango argentin franceCi-contre une carte extraite du livre de Christophe Apprill, " Le tango argentin en France " (Anthropos, Paris, 1998). Cliquez sur la carte pour la voir en plus grand.

Quels ont été les principaux acteurs de cette diffusion ? Deux catégories, les folkloristes et les autres. Pour les folkloristes, le tango n'a de sens que sous forme de chorégraphie, et n'est qu'une danse parmi de nombreuses autres du patrimoine argentin. Pas de guidage, que des figures et du par-cœur. Le résultat fut assez catastrophique mais heureusement limité et de courte durée, même si certains ne sont depuis, pas avares de revendications... Les "autres" étaient composés d'amateurs, de danseurs de bal, voire de démonstration. Analyse du mouvement et pédagogie totalement absente, mais chez certains, une véritable fierté et un désir de partager qui faisaient des miracles. Ainsi Les Trottoirs de Marseille, association fondée en 1990, prit en résidence Rodolpho et Maria Cieri, un couple de milongueros talentueux et d'une générosité sans limite, qui ensuite diffusèrent leur technique dans toute la France, et jusqu'en Italie et Angleterre. L'auteur de ces lignes n'aurait jamais persévéré dans le tango, sans les encouragements de Rodolpho et les petits cris de rappel à l'ordre (gentils) de Maria : " la marca ! la marca ! " Eux aussi, après une interruption de vingt ans s'étaient remis à danser à la fin des années 80, avec le renouveau du tango. Là encore la pédagogie était limitée à l'exemple, mais quel bel exemple ! Mais en plus chez Rodolpho il y avait dans sa façon d'enseigner et de danser, une musicalité extraordinaire, rarement rencontrée depuis, et qu'il savait partager avec générosité.

Un petit extrait d'une démonstration, en se rappelant que c'était avant tout des danseurs de bal, juste pour le plaisir des yeux :

   

Une particularité en France, le tango s'est propagé essentiellement par le biais des associations, marquant un certain ostracisme vis-à-vis des écoles de danse. Compte-tenu d'une certaine "rigidité" de celles-ci, cela ne fut pas forcément préjudiciable, bien au contraire et au début. Les effets pervers à long terme furent par contre la persévérance d'un "tango de salon" artificiel et suranné dans les écoles traditionnelles, et une concurrence commerciale sévère entre des associations qui avaient perdu leur côté "non lucratif" et des professionnels soucieux de préserver leur espace de chalandise. On peut rajouter un amateurisme pédagogique souvent déplorable dans nombre d'associations montées par des amateurs de petit niveau et dont la danse n'était pas le métier. Heureusement une troisième catégorie d'acteurs intervint rapidement : les danseurs et surtout danseuses de contemporain, à l'instar de Nathalie Clouet dès 1992 ou de Theresa Cunha partenaire de Pablo Veron pendant un temps, et qui allaient apporter un souffle nouveau et plus de rigueur dans l'enseignement.

Mais le vrai pas en avant, le changement radical, la révolution, ce fut Gustavo Naveira, le père du tango moderne qui l'amena à partir de 1989, transformant le tango, jusque là essentiellement danse de figures, en une danse d'improvisation.

Mais c'est une autre histoire...

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6. En guise de conclusion

Au final, le tango est reparti partout dans le monde y compris un peu plus tard, en Argentine, où la ville de Buenos Aires rendit un hommage appuyé en 2011, à Claudio Segovia sur la plaza Obelisco : il s'y était rassemblé plus de 15 000 personnes ! 70 artistes étaient sur scène, et parmi eux María Nieves, Gloria et Eduardo, Carlos Copello et Angie Gonzalez, Miguel Ángel Zotto et Daiana Guspero, Gloria et Eduardo Arquimbau, Carlos et Maria Rivarola, Pablo Verón et Cecilia Capello, Horacio Godoy et Alejandra Mantinan, Junior Cervila et Natalia Royo, Carlos et Ines Borquez, Guillermina Quiroga, El Flaco Dany et Silvina Valz, Silvia Toscano et Gabriel, Maxi Copello et les milongueros Osvaldo et Coca, El Chino Perico et Cecila Bulotta

Sélectionné parmi les shows de cet évènement, celui d' Eduardo et Gloria Arquimbau, touchant et authentique, tous deux manifestant, à près de 75 ans, toujours le même plaisir de danser, et des qualités techniques conservées. C'est à eux deux que je dédie cette conclusion dansée.

si besoin, survolez l'image, le lecteur vidéo s'affichera

       

extrait de l'ancien site 2Xtango , annonces, cours, milongas, un canal Youtube, et une radio tango

Et c'est à Carmen Aguiar qu'il sera laissé le soin de conclure, sur un plan philosophique, ces merveilleuses aventures :

       

Le tango a été ainsi ressuscité pour notre plus grand plaisir et s'est redéveloppé rapidement, mais rien de tout ceci ne serait arrivé, son renouveau, sa seconde popularité planétaire, son classement au Patrimoine Mondial de l'Humanité, sans l'initiative et l'idée de génie de trois précurseurs, Benjamin Kurk, Edgardo Cantón, et Tomás Barna qui créèrent ce lieu mythique, depuis entré dans l'histoire :

Veredas de Buenos Aires

De pibes la llamamos la vedera

y a ella le gusto que la quisiéramos.

En su lomo sufrido dibujamos

tanta rayuelas.

Después, ya más compadres, taconeando

dimos vuelta manzana con la barra,

silbando fuerte para que la rubia

del almacén saleria con sus lindas trenzas a la ventana.

 

A mi me tocó un dia irme muy lejos

pero no me olvidé de las veredas

pero  no me olvide de la veredas.

 

Aqui o allá las siento en los tamangos

como la fiel caricia de mi tierra.

Cuánto andaré por áhi hasta que pueda volver a verlas.

 

Les Trottoirs de Buenos Aires

Gamins nous l'appelions le trottoir

et ça lui plaisait que nous le chérissions

Que de marelles a-t-on tracé

sur son dos si patient.

Plus tard, devenu mecs, et en frappant du talon, nous faisions avec la bande, le tour du pâté de maison, sifflant fort pour que la blonde de l'épicerie avec ces belles tresses, se montre à sa fenêtre.

Un jour est arrivé où je suis parti très loin

mais je n'ai pas oublié les trottoirs

mais je n'ai pas oublié les trottoirs.

Ici ou là-bas, je les sens sous mes godasses comme je sens la fidèle caresse de ma terre. Jusqu'à quand devrais-je errer avant de les revoir.

 

Extraits bibliographiques

Olivier Manoury / Revue Trad mag Paris 1990 / Revue Dansons N°2 Toulouse 1991

Le siècle d'or du Tango - Horacio Ferrer / Manrique Zago / Buenos Aires 1998

Paris Tango - Manrique Zago / Luis Vasquez / Buenos Aires 1998

Un siècle de Tango - Paris Buenos Aires / Nardo Zalko / Ed du Félin Paris 1998

Tango Argentino - Inside the show / Antón Gazenbeek / Enrico Massetti publishing / Torrazza 2013

Los Legionarios del Abrazo / Benzecry Sabá / Abrazos Buenos Aires 2015

Nueva historia del tango / Héctor Benedetti / Siglo veintiuno - Buenos Aires 2015

Filmographie

Le magnifique documentaire d' Odile Fillion, " Paris, le Tango et Buenos Aires " avec des interviews de Edgardo Canton, Pepe Fernandez, Carmen Aguiar, Coco Diaz, etc... avec Nardo Zalko comme conseiller

Interviews concernant cette époque réalisés par l'auteur de ce site

Lors de leur passage à Marseille : Nestor, Rodolfo Cieri, Eduardo Arquimbau

A Toulouse : Tete Rusconi

A Buenos Aires : plusieurs vieux couples rencontrés en 2007, dans les milongas d'après-midi et témoins de cette époque

A Paris : Carmen Aguiar

Cartes téléphoniques - collection D. Lescarret

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