Astor Piazzolla, est certainement le musicien qui a le plus déchaîné les passions ! Génie pour les uns, traitre pour les autres, faisant ou non du "tango", créateur d'un nouveau style ou d'une nouvelle musique, longtemps partisans et détracteurs se sont affrontés, surtout en sa terre natale et chez les danseurs. Aujourd'hui les passions sont retombées et son génie est reconnu .
Pour mieux comprendre balayons sa vie et sa
carrière.
1. Enfance et adolescence - Mar del Plata - New-York
2. Aníbal Troilo - Francisco Fiorentino - Premier orchestre
4. Astor Piazzolla et le Jazz - un pont entre deux musiques
5. Horacio Ferrer - Maria de Buenos Aires - Ballada para un loco
6. El Noneto - Libertango - Conjunto electronico - Quinteto Tango Nuevo (2ème)
7. Nouvelle étape pour le Quinteto - L'histoire du tango - El Sexteto
8. Fin de vie - Prises de positions et polémiques - Le mythe - Epilogue
9. Résumé chronologique de sa vie et de sa carrière
10. Bibliographique, filmographique et discographique des principaux albums
1. Enfance et adolescence entre Mar del Plata et New-York
Né
le 12 mars 1921, à Mar del Plata, la vie s'annonçait compliquée pour le petit
garçon. En effet, il était né avec un "
pied bot
", une malformation qui consiste en
un pied cambré vers l'intérieur et vers le bas. Il a été opéré sept fois et a
finalement pu marcher, mais avec une jambe droite plus courte de deux
centimètres et nettement plus fine que la gauche. Mais il avait du caractère, et
peur de rien ni de personne. L'origine de la famille est italienne, de la région
des Pouilles côté paternel, et de Florence, côté maternel. Les quatre premières
années d'Astor se passent de façon heureuse à
Mar del Plata, la
station balnéaire la plus courue d'Argentine, à 400 km au sud de Buenos Aires.
Ses parents tienne la boutique de cycles du grand-père, mais aspirent à autre
chose.
En 1925, Astor n'a que quatre ans, ses parents décident de partir tenter leur chance aux Etats-Unis, et après un bref séjour chez un oncle dans le New-Jersey, ils s'installent à New-York. Ils y apprennent le métier de coiffeur, et vivent dans un quartier cosmopolite près de " Little Italie ", quartier habité en grande partie d'immigrés italiens. Astor va y apprendre l'anglais, à se débrouiller et va zoner avec les bandes de son âge.
Cette période allait profondément marquer Astor Piazzolla.
En 1928, son père lui offre son premier bandonéon. Il était d'occasion et avait couté 18 dollars. Son père qui écoutait souvent Carlos Gardel et Julio de Caro, décida que son fils allait prendre des cours de musique. Astor Piazzolla qui était sur une mauvaise pente, petits chapardage, vol l'étalage, et autres délits mineurs (il fut même arrêté une fois par la police), fut probablement sauvé par la décision de son père. Il le fut une seconde fois un peu plus tard dans sa vie...
La crise économique de 1929 mit fin au rêve américain, et la famille
Piazzolla dû retourner au pays. En Argentine, touchée également par la crise, la
situation politique y est dramatique : le gouvernement d' Hipolito Yrigoyen,
venait d'être renversé par une dictature, celle du général
José
Felix Uriburu. L'Argentine entrait dans une de ses plus noires
périodes, celle qui fut nommée "La
décennie infâme".
Du coup, un an plus tard, la famille repartit pour New-York.
Astor a fait de gros progrès au bandonéon. Il commence à bien en jouer, reprend des cours avec Agnès d'Aquilaa avec qui il avait commencé à étudier la musique lors de son premier séjour, joue de ci de là, se fait renvoyer de l'école publique, prend régulièrement des raclées par son père qui essaye de le cadrer, mais il réussit un premier enregistrement, le 30 novembre 1931, au Radio Recording Studio de New-York : il vient d'avoir 10 ans. Cette période à New-York est très importante dans sa vie, car, allant écouter Cab Galloway et Duke Ellington, il découvrira le jazz, qui par la suite l'influencera fortement. Il côtoie également Bela Wilda, un pianiste hongrois, élève du célèbre musicien russe Sergueï Rachmaninov : la musique classique sera une autre de ses influences. A New-York il est devenu un jeune prodige, on parle de lui dans les journaux. Il joue du folklore argentin et du tango. A droite la plaque apposée sur l'immeuble qu'habitait Astor Piazzolla à New-York.
En 1932, son père l'emmène au cabaret "El Gaucho". Il y rencontre l'argentin Augustín Cornero (à droite sur la photo) et un guitariste péruvien, Miguel Caceress. Ils forment un trio qui joue alors en costumes de gauchos. On les voit tous les trois sur l'image ci-dessous.
Une anecdote : on dit qu'Astor aurait joué du bandonéon lors de l'inauguration du Rockfeller Center. Il y aurait rencontre Diego de Rivera qui aurait apprécié sa musique. Ils auraient alors sympathisé, et Diego de Rivera, célèbre dans le monde entier comme peintre sur chevalet mais aussi et surtout en peintures murales, lui aurait fait un dessin, qu'Astor Piazzolla aurait gardé toute sa vie. Pour en savoir plus sur Diego de Rivera, regardez le film " Frida" qui relate la vie incroyable de son épouse, Frida Kahlo. |
Depuis 1934, tout s'était arrangé pour la famille Piazzolla : Astor a enfin réussi à
terminer le cycle de l'école primaire. Il fait de la natation, de la boxe, et du
bandonéon, et est devenu ami avec Carlos Gardel... Du coup celui-ci, qui va
entreprendre une grande tournée à travers l'Argentine, le Vénézuela, la
Colombie propose à Astor de l'accompagner... Le gamin est enthousiaste...
Mais El niño, le père à la fois sévère et protecteur, s'y oppose et sauve ainsi pour
la seconde fois l'avenir de son fils, mais cette fois-ci, il lui sauve la vie !
Peu de temps après, pendant la tournée, Gardel devait mourir dans le crash de
son avion à
Medelin en Colombie, le 24 juin 1935...
Les Piazzollas reviennent en Argentine, mais s'installent cette fois-ci à Buenos
Aires1933, l'idole de Noniño, le père d'Astor, arrive à New-York : il s'agit de
Carlos Gardel qui vient pour tourner six films
avec ,la Paramount. Noñino, habile de ses mains, sculpte une figurine en bois comme
cadeau de bienvenue à l'illustre chanteur, et charge Astor de lui apporter. La
rencontre est quelque peu rocambolesque : Astor rencontre dans l'ascenseur de
l'immeuble
Alberto Castellanos,
un des compositeurs de Gardel, qui a oublié ses clés. Il demande à Astor de
passer par l'escalier de secours puis par une fenêtre, pour finir, s'étant
trompé de chambre, dans celle de
Alfredo Lepera, le parolier de Gardel. Mais
tout finit bien, Astor peut remettre le cadeau de son père, à Carlos. La
rencontre se passe bien et c'est le début d'une amitié entre l'idole et le
gamin.
Astor Piazzolla, qui connait New-York comme sa poche va ainsi servir de guide
à Carlos Gardel qui lui-même ne parle pas anglais.
On remarquera sur la photo ci-contre l'aspect quelque peut sévère du père
d'Astor. Son côté autoritaire allait encore sauver la mise du gamin turbulent,
peu de temps après...
En remerciement Gardel proposa à Astor de jouer le rôle de "canillita" (vendeur de journaux) dans le film qui consacrerait le Zorzal : «
El dia que me quieras » tourné en 1935 (photo à
droite).
Astor reçut vingt-cinq dollars pour ce travail.
Une fois le tournage terminé, les Argentins organisèrent une grande fête où ils servirent un
asado à la criolla et où l'on a joué de la guitare et chanté. Piazzolla s'y rendit et se souvint que Gardel lui avait dit : "Allez, petit, joue la musique d' "Arrabal amargo", et donne tout ce que tu as".
Le morceau fut repris la même année dans le film culte de Gardel,
Tango Bar .
2.
Aníbal Troilo - Francisco Fiorentino - Premier orchestreAnibal Troilo
Astor joue dans de petites orchestres sans envergure, puis intègre en 1940, celui d'Anibal Troïlo, à la fois en tant que bandonéoniste et en tant qu'arrangeur. C'est une petite guerre sympathique que se livrent les deux hommes, Troïlo passant son temps à atténuer et corriger ce qu'il considérait comme trop peu orthodoxe dans le travail de Piazzolla.
La première représentation du tango "
Pour l'anecdote, Astor qui était un grand farceur, et qui se moquait un peu du côté un peu "coincé" de Pichuco, aurait, en plein concert, mis un pétard sous la chaise de ce dernier... En fait ils s'affrontaient musicalement tout en travaillant ensemble, mais s'estimaient beaucoup.
En 1950 et 1951, Troilo enregistra trois œuvres de Piazzolla, (reprises dans son album " Bien Milonga " ) : " Para Lucirse " ,
"Tanguango" au rythme très particulier (introduction percussion sur le 3-3-2) et le célèbre "Prepárense"
Tanguango Prepárense
Même les murs du métro de Buenos Aires ont rendu hommage à cette collaboration célèbre
Francisco Fiorentino
En 1944, donc, Astor a d'autres idées en tête.
Il commence à prendre son indépendance en rejoignant en tant que bandonéoniste et arrangeur, l'orchestre de Francisco Fiorentino. Ce dernier, un chanteur renommé pour sa voix profonde et expressive, était l'un des interprètes les plus emblématiques du tango traditionnel. Ils enregistrèrent 12 albums de deux titres (le microsillon n'apparaitra qu'en 1948) chez le label Odeon. Cela ne pouvait durer et en 1946, Astor quitte l'orchestre. Au bilan, les deux avaient néanmoins gagné en renommée, et leur collaboration nous a laissé, parmi d'autres, le tango Viejo ciego (1946).
L'orchestre de Fiorentino avec Piazzolla assis au centre (3ème en partant de la gauche)
Premier orchestre
Le jeune Astor Piazzolla a déjà acquis une certaine notoriété., il a envie d'indépendance et fonde son premier orchestre. Il continue à travailler avec le label Odeon, et enregistre avec plusieurs chanteurs, Aldo Campoamor, Fontón Luna et Héctor Insúa. Il réalise des arrangements pour José Basso, Francini Pontier et toujours pour Anibal Troilo.
En 1950, Piazzolla commence à travailler avec le label américain TK Records, et sort un album avec notamment « Chiqué ».
L'orchestre comprent plusieurs membres de celui formé entre 1946 et 1948, dont le violoniste Hugo Baralis et le pianiste Carlos Figari – qu'il partageait avec Troilo – et le bandonéoniste Leopoldo Federico. Le deuxième album avec TK a été enregistré la même année avec la chanteuse María de la Fuente, qui a interprété « El choclo » et « El cielo en las manos », une chanson écrite par Pîazzolla avec des paroles d'Homero Cárpena pour le film du même nom, réalisé par Enrique de Thomas (enregistrée, également en 1951, par Osvaldo Pugliese). Cette même année, avec
La Cumparsita » sur la face A, il enregistre sur la face B d'un Shellac, une sorte de petit adagio valsé pour hautbois et orchestre (avec la participation du soliste Roberto Di Filippo) dédié à sa femme et intitulé, comme elle, « Dedé »... Un pas vers la musique classique...
Entre 1951 et 1952, il y a eu trois autres albums avec la chanteuse María de la Fuente, parmi lesquels on peut citer les chansons « El llorón », « Canción celestial », « La misma pena », « Romance de barrio », « Fugitiva » (de Piazzolla et Juan Carlos La Madrid et enregistrées la même année par Fresedo avec le chanteur Héctor Pacheco) et « Loca ».
Mais Piazzolla rêve de plus en plus de musique classique et éprouve un rejet total pour le tango et le bandonéon...
3. Paris et Nadia Boulanger
En 1954 Piazzolla se rend à Paris pour poursuivre ses études musicales. Il a déjà une certaine réputation en Argentine, mais le tango lui parait trop limité : il cherche à élargir son horizon musical en étudiant la musique classique européenne.
Il s’installe avec «
Dedé
», sa femme, Odetta Maria Wolff dans la petite chambre de l’hôtel Fiat, rue de Doué, qu’a loué un ami argentin,
Hector Grané, parti en tournée et qui leur prête leur chambre. Celle de Nadia Boulanger où elle donne ses cours est juste à côté, au
36 rue Ballu. Nous ne sommes pas loin de la Place Blanche et du boulevard de Clichy, dans le bas
de Montmartre (en 1970, l’intersection de la rue Ballu
et de la rue Vintimille, où se trouve l’immeuble, pris le nom de «
Place Lili Boulanger»
). Un petit article sur Lili Boulanger dans le numéro du magazine Femina du 13
aout 1913 :
cliquez
Nadia Boulanger était une pédagogue renommée, ayant formé certains des plus
grands compositeurs du 20e siècle (Leonard
Bernstein,
Aaron Copland,
ou
Philip Glass)
et elle était très amie avec
Stravinsky.
Malgré un immense talent, elle avait renoncé à être concertiste après la mort de sa sœur Lili, à peine âgée de 24 ans, pour se consacrer uniquement à la pédagogie.
Lorsque Piazzolla rencontre Nadia Boulanger, c’est un moment clé de sa carrière. Il n’a pas touché un bandonéon depuis des années, et a presque honte d’avouer qu’il a joué du tango. Venu pour étudier le contre-point de la musique classique, il joua un jour un tango au piano, « Triunfal », à la demande de Nadia, qui aussitôt l’encouragea à trouver une voie originale réconciliant ses racines argentines avec des techniques d'autres horizons. Bien qu’elle soit la grande "dévoreuse" des talents musicaux, Nadia Boulanger savait comment guider ses élèves vers leur propre épanouissement créatif sans les contraindre. Elle lui enseigna ainsi la rigueur de la composition classique tout en valorisant la singularité de son tango.
Une révolution venait de se mettre en marche.
C’est dans cette période parisienne que Piazzolla commence à développer son propre style de tango, qu’il appellera plus tard le " tango nuevo ".
Il commence à intégrer des éléments de la musique classique, mais aussi du jazz, qu’il a bien connu à New-York, et de la musique contemporaine dans sa vision du tango, créant ainsi un genre hybride unique.
Il restera un an à paris, prenant des cours trois fois par semaine avec Nadia. Toutes les portes s’ouvrent, et Astor, déjà connu par son tango traditionnel «
Preparense
», signe avec les trois plus grandes maisons musicales, Barclay, Vogue et
Festival pour enregistrer ses nouvelles compositions. En un mois, il écrit douze
tango et leur orchestration, dont les plus connus, sont «
Chau Paris
», «
SVP
», «
Tzigane Tango
»…
Avec Paris il noua une relation privilégiée, y repassant souvent (c'est même là qu'il subit de son attaque cardiaque), avec toujours un énorme succès, et allant jusqu'à organiser des concerts dans le métro...
À son retour en Argentine, Piazzolla appliqua les leçons apprises à Paris. Il commença à transformer la scène du tango traditionnel, créant des œuvres plus complexes et orchestrées, et fusionnant les rythmes du tango avec des harmonies modernes. Des pièces comme " Adiós Nonino ", " Libertango ", et " Muerte del Ángel " témoigneront de l’influence de Nadia Boulanger. Ce n’est plus seulement un tango rythmé, mais une musique sophistiquée, parfois mélancolique, parfois enivrante, traversant plusieurs genres
Le passage de Piazzolla à Paris et ses années d’études auprès de Boulanger représentent l’union entre la tradition et la modernité, l’Argentine et l’Europe, l’esprit populaire et les principes de la musique savante.
4. Astor Piazzolla et le Jazz
9 Septembre 1955 : Coup d'Etat en Argentine, Peron est renversé, les milongas désertées, Bolero, Rock, Boogie-woogie envahissent le pays. Astor Piazzolla réunit les meilleurs musiciens de tango et crée l' Octeto Buenos Aires, incorporant à l'orchestre, une guitare électrique. Trop révolutionnaire, le public boude, la critique se déchaine : "Ce n'est pas du tango !". L'orchestre en est réduit à jouer gratuitement. Dépité Piazzolla dissout l'orchestre et s'envole pour New-York en 1958.
Là-bas, les choses se passent mal : la famille en est réduite à la misère. Astor
pour survivre accepte
de faire ce qu'il n'aime pas : accompagner des orchestres
et des chanteurs en tournées.
C'est à
Puerto Rico qu'il reçoit un appel de Mar del Plata : son père " Nonino " vient de mourir ! De retour à New-York, il s'isole et en une demi-heure il compose le morceau sans doute le plus célèbre de toute sa carrière, ainsi qu'il le déclare lui-même : Adios Nonino.
Vous pouvez en écouter la version symphonique en bas de cette page : cliquez
"Astor reprend donc le " Nonino " qu'il avait composé à Paris en 1954, et que l'on peut encore entendre dans un enregistrement réalisé par l'orchestre de José Basso en juillet 1962. De ce thème original, il n'a gardé que la partie rythmique et a ajouté la litanie prolongée qui sous-tend sa complainte. La douleur du fils est transmise sans réserve dans ce passage musical douloureux. En deux phrases de huit mesures qui se répètent pour former une belle section de seize, les sentiments d'Astor sont perceptibles."
Extrait de Fulgor de Bandoneó - Ed. La NacionSans un sou, Piazzolla vend " Adios Nonino " pour 2000 $, juste de quoi payer les billets du retour en bateau
En 1960, revenu à Buenos Aires où il est relativement ("relativement"...) bien accueilli, il crée l' "
Octeto Nuevo Tango", un quintette à cordes. C'est le début d'autres choses. Astor Piazzolla intègre au tango la musique classique développée sur Paris, mais aussi le jazz qu'il a bien connu enfant à New-York, et s'y est encore confronté lors de son récent séjour.
En 1953, Piazzolla avait rencontré
Lalo Schiffrin.
Dans le premier des deux albums enregistrés avec l'orchestre à cordes en France, il l'avait engagé pour y jouer.
À cette occasion, Schiffrin lui dit : "Il y a tant de bons pianistes....
Très étonné Lalo Schiffrin lui avait demandé : "Pourquoi m'avez-vous choisi ?" Ce à quoi Piazzolla avait répondu : "J'ai besoin d'un bon pianiste de jazz, qui sache ce qu'est le swing.
Vous avez du swing, et le tango que je fais a du swing". Schiffrin rentre de
France en 56 et continue à jouer du jazz. Avec Piazzolla, ils donnent un concert
au
théâtre El Nacional. Ils jouent régulièrement au
Bop Club, qui
remplit le lundi le siège du YMCA à Buenos Aires, d'artistes et de gens bohèmes
: « Là... on faisait un petit concert de deux ou trois heures, qui ne rapportait
pas un sou, juste par pur plaisir . »
Astor persévère avec ce mélange qui déstabilise la Vieille Garde, mais les jeunes, amateurs de jazz, se retrouvent dans le style de cette nouvelle musique.
Horacio Malvicino, un guitariste électrique argentin qui jouait du Jazz et de la Bossa Nova, évoquant l'époque de l'Octeto Buenos Aires, raconte : "J'ai rencontré Astor dans un club de jazz où, en 1955, se réunissaient tous les amateurs des nouvelles tendances du jazz : le Bop Club. Il était fréquenté par un groupe de personnes qui suivaient la ligne du bop, qui avait commencé aux États-Unis en 1947 avec Charlie Parker et d'autres musiciens qui étaient à l'avant-garde du jazz. Astor s'y rendait tous les jeudis et nous nous rencontrions. Un jour, il m'a entendu improviser : "C'est ce que je veux dans mon octuor, un gars qui sait improviser", a-t-il dit, et il m'a emmené avec lui. Sachant jusqu'où je pouvais aller avec mon instrument, il a écrit des parties improvisées pour moi, en particulier les fins de phrases. En plus de la grande préparation que tout l'ensemble avait, j'étais libre d'improviser. Tout cela exaspérait les tangueros... c'était la folie totale".
Horacio Malvicino a ainsi rejoint le Quinteto
(première époque) en 1960, il a alterné avec Óscar López Ruiz dans l' Octeto Electrónico en 1976, puis dans le deuxième Quinteto en 1978 et enfin dans le Sexteto Nuevo Tango en 1989.Le jazz et la guitare électrique sont toujours présents dans les musiques et orchestres de Piazzolla.
Il a également collaboré avec le saxophoniste
Gerry Mulligan, sur l'album Summit (1974), où les deux artistes explorent des terrains communs entre tango et jazz, transcendant toutes les frontières musicalesPiazzolla raconte sur la quatrième de couverture d'un disque de l'Octeto, sa rencontre avec Mulligan à Paris en 1954 :
"C'était vraiment merveilleux de voir l'enthousiasme qui existait entre eux pendant qu'ils jouaient, cette joie individuelle dans les improvisations, l'enthousiasme de l'ensemble lorsqu'ils jouaient un accord, bref, quelque chose que je n'avais jamais remarqué jusqu'à présent chez les musiciens de tango.
C'est à la suite de cette expérience qu'est née en moi l'idée de former l'Octeto Buenos Aires.
Il était essentiel de sortir le tango de la litanie qui l'enveloppait, harmoniquement, mélodiquement, rythmiquement et esthétiquement. C'était une impulsion irrésistible de le déhiérarchiser musicalement et de donner d'autres formes de mise en valeur aux instrumentistes. En deux mots, faire en sorte que le tango passionne et ne lasse pas l'interprète et l'auditeur, sans cesser d'être du tango, et qu'il soit, plus que jamais, de la musique".
Ils enregistreront ensemble cet album Summit - Reunión cumbre à Milan, et publié en Italie en 1974.
Dans ses compositions, Piazzolla a toujours su intégrer des structures harmoniques sophistiquées et les rythmes syncopés du jazz, tout en conservant l'essence émotionnelle et mélodique du tango.
5. Horacio Ferrer - Maria de Buenos Aires - Ballada para un loco
En 1966 Astor Piazzolla se sépare de son épouse Dedé Wolff. Cela trainait depuis un moment, Astor semblant fréquenter une jeune femme habituée de ses concerts... En Argentine, il n'y avait pas encore de loi sur le divorce, de sorte que le mariage n'a pu être effectivement dissous que vingt ans plus tard, le 19 février 1988. Astor et Dedé n'ont pas cessé de se voir, et parfois les rencontres se sont même terminées par de brèves réconciliations...
En 1968, il commence à travailler avec le poète
Horacio Ferrer
et la chanteuse Amelita Baltar.
Avec Ferrer il compose l'opéra Maria de Buenos Aires, où l'on retrouve une synthèse
d'influences diverses, mêlant Baroque, Jazz et Tango.
L'opéra fait le tour du monde avec succès (et continue encore aujourd'hui).
Ce spectacle, Maria de Buenos Aires, dure environ une heure quarante-cinq minutes : difficile de le mettre en totalité ici. Le choix a été fait (Piazzolla me pardonnera) de ne mettre que quelques extraits, avec le double objectif d'informer le lecteur de cette page, et de lui donner envie d'aller voir ce spectacle dès qu'il en aura l'occasion. In vivo c'est encore bien plus beau !
Représentation choisie : Piccolo Opera Festival, Trieste 2021, avec Arianna Manganello, Gianluca Ferrato et Giacomo Medici (El duende) / Ensemble della Glasbena Matica, sous la direction d'Igor Zobin
D'autres succès du duo Ferrer-Piazzolla suivront : " Balada para mi muerte ", " La ultima grela ", " Chiquilin de Bachin ".
Mais un morceau allait avoir un succès inattendu. Cela avait pourtant plutôt mal commencé : il n'avait remporté qu'un deuxième prix, d'ailleurs très contesté, au Primer Festival Ibero-americano de la Cancion. Mais la musique de Piazzolla, les paroles d'Horacio Ferrer et la voix magique d'Amelita Baltar allait en faire le premier grand succès populaire de Piazzolla.
" Ya se que estoy piantao, piantao, piantao... / Ya sé que estoy piantao, piantao, piantao...
/
No ves que va la luna rodando por Callao
/ Que un corso de astronautas y
niños, con un vals,
Me baila alrededor, ¡bailá!, ¡vení!, ¡volá!
Je sais que je suis un peu fou, fou, fou.../ Tu ne vois pas que la lune roule sur le Callao / Qu'un chœur d'astronautes et d'enfants, avec une valse, dansent
autour de moi / Danse ! Viens ! Vole !"
Balada para un loco
Ballada para un loco, ou para tres piantaos (locos en lunfardo)...?
Mais la formule inventée par Piazzolla à cette occasion (paraphrasant sans doute le laconisme de celle célèbre de Jules César), " Bailá, Vení, Volá " (Danse, Viens, Vole) résumait avec simplicité et humour, la leçon a tirer de cette aventure.
6. El Noneto - Libertango - Quinteto Tango Nuevo (2ème époque)
El Noneto ( Conjunto 9)
En 1971, Astor crée un nouvel ensemble musical qui marque une étape importante dans son évolution artistique et dans l'histoire du Tango nuevo : " El Noneto ". Ce groupe, composé de neuf musiciens, était une extension de son célèbre Quinteto, mais avec une instrumentation plus riche et, de ce fait, des possibilités sonores plus élargies. L'orchestre comprenait neuf musiciens : bandoneón (Astor Piazzolla lui-même), violon, violoncelle, contrebasse, piano, guitare électrique, flûte traversière, trombone, et un percussionniste.
Parmi les compositions notables créées pour le Noneto, on trouve : " Tristezas de un Doble A " (1971), " Tangata " (1971) et " La Muerte del Ángel " (une reprise spécialement adaptée pour ce nouvel ensemble).
Le Noneto n'a existé que pendant environ deux ans, mais il a laissé une empreinte durable dans l'œuvre de Piazzolla. Cette expérience a ouvert la voie à d'autres explorations orchestrales, comme plus tard, son Orquesta de Cuerdas.
Depuis ce début des années 70, les tournées d'Astor Piazzolla se succèdent à travers le monde. Il est en
Europe régulièrement, passe à New-York, mais ses lieux de prédilections sont l'Uruguay et surtout le Brésil.
Là-bas il rencontre de nombreux artistes dont Milton Nascimento, et un soir
Gilberto Gil, Hermeto Pascoal, Egberto Gismonti et
Chico Buarque
se retrouvent dans un club, le " Number One ", pour assister au concert de Piazzolla et lui rendre honneur.
En 1972, il s'est ainsi produit avec le
Noneto et Amelita Baltar, accompagnés par Horacio Ferrer qui joue le présentateur
(de luxe).
Piazzolla a collaboré avec des musiciens brésiliens de renom et a travaillé avec le guitariste
Oscar Castro-Neves, une figure importante de la
Bossa nova.
On dit que ce style de musique, mélangé à des influence du Cool Jazz, se retrouve en arrière-plan dans plusieurs œuvres, dont Libertango
et surtout Oblivion.
On peut écouter les morceaux enregistrés par El Noneto, sur les albums " Música popular contemporánea de la Ciudad de Buenos Aires, Vol. 1 et 2 " (1971 et 1972).
Libertango
Nous sommes en 1973, et le monde semble soudain s'écrouler pour Astor Piazzolla. D'abord les propositions de travail ne se bousculent pas depuis plus d'un an. Le contrat avec la municipalité de Buenos Aires a pris fin, et Astor a été obligé de dissoudre le Noneto... Sa relation avec Amelita Baltar bat de l'aile, le moral est à zéro, Astor fume, fume et fume encore, malgré les avertissements de ses médecins et de ses proches. Une crise cardiaque, première grosse alarme concernant ses problèmes cardio-vasculaires, l'oblige à réduire encore plus ses activités. Astor publie néanmoins cette année-là : La historia del tango Vol. 2: La época Romántica, suite du Vol.1 La historia del tango: la guardia vieja, gravé en 1967.
En 1974, Astor décide de partir pour l'Europe et de s'y reposer. Amelita,
accepte de l'accompagner et ils s'installent en Italie. Mais avec Amelita, les choses ne vont pas très bien.
Alors qu'Astor reste à Milan, Amelita décide de retourner à Buenos Aires. En mai 1975, la séparation définitive a lieu.
C'est également au cours de ce mois de mai qu'Astor reçut un appel qui l'émut particulièrement : le 18, Anibal Troilo est décédé. Comme des années auparavant avec "Adios Nonino", le bandonéon transforme la douleur en musique, et il compose en mémoire du maestro la " Suite Troileana ", une œuvre en quatre mouvements qu'il enregistra avec l'ensemble électronique et la participation d'Antonio Agri au violon. Le violoniste Antonio Agri, qui avait joué aussi bien dans des orchestres de tango, que dans des orchestres symphoniques, avait été recommandé à Piazzolla, par Troilo lui-même. Il avait joué dans le " Nuevo Octeto ", avait été le violon principal de Maria de Buenos Aires, et poursuivra sa collaboration dans le " Conjunto Electronico ".
Astor durant son séjour en Italie avait rencontré Gerry Mulligan, saxophoniste, pianiste, chef d'orchestre, compositeur et arrangeur, et leur album " Summit " (Reunion cumbre), dont nous avons parlé plus haut, remporta un vif succès.
Il réalise une série d'autres enregistrements, mais l'un d'entre-eux connut et connait encore un énorme succès : " Libertango ", une ode à la liberté créative. Il avait tellement bien réussi cette revendication musicale, que tout le monde de la musique allait adopter ce morceau, de l'univers du classique...
... à celui de la variété, avec cette reprise mémorable de Grace Jones!
Quinteto Tango Nuevo
Horacio Malvicino, le guitarriste éléctrique de la formation, raconte qu'Astor est revenu de ses voyages avec l'idée de former un groupe lié à la musique électronique. Les groupes de rock européens avaient éveillé son intérêt pour ces formes musicales. Avec Adalberto Cevasco, Arturo Schneider, Juan Carlos Cirigliano, El Zurdo, il tente l'expérience. "Ils ont su trouver le moyen de transformer le style, de l'intégrer et de ne pas recourir - comme le fait le Brésilien - au jazz lorsqu'il actualise sa musique", explique Malvicino. Il ajoute que : "la bossa nova avait une tendance au jazz ; par contre, Astor, à partir du milieu des trente-quatre années où je l'ai côtoyé, a commencé à prétendre que l'improvisation avait un caractère urbain de Buenos Aires". Il y eut là un changement notable avec la période précédente...
L'Octeto
avait été composé d'un bandonéon, d'un piano électrique et/ou acoustique, d'un orgue, d'une guitare et d'une basse électriques, d'une batterie, d'un synthétiseur et d'un violon, remplacé plus tard par une flûte ou un saxophone. Les partenaires habituels (Agri, Malvicino et Cirigliano)
avaient été rejoints par Santiago Giacobbe à l'orgue, Enrique Roizner aux percussions, Adalberto Cevasco à la basse et
Daniel Piazzolla
au synthétiseur.
Tous, à l'exception d'Agri, ont une formation en jazz. Ils ont été accompagnés par la magnifique voix de
Jose Angel Trelles.
C'est avec ce projet qu'ont commencé les collaborations avec son fils Daniel, qui est parti vivre à Rome avec son père et qui, à son retour à Buenos Aires, a formé avec lui le
Conjunto Electronico.
Daniel avait travaillé avec lui comme manager pendant les voyages avec le Noneto, et aussi comme secrétaire du Quintet.
Lorsque Astor est parti en Europe, Daniel a suivi un cours de musique électronique avec
Jorge Zulueta
sur les synthétiseurs, cours qui, à l'époque, n'existaient qu'en Angleterre et aux États-Unis...
En 1974, une rencontre a lieu, et ce fut la seule, entre
Astor Piazzola et Atahualpa Yupanqui.
L'architecte parisien José Pons et son épouse Jacqueline, fille d'un ancien gouverneur d'Algérie, ont l'habitude d'héberger les artistes d'Algérie et d'Amérique latine qui passent par la capitale française ou s'y installent.
Dans les années 1970, son appartement de la rue Descartes était fréquenté par des musiciens, des écrivains et des artistes.
Astor Piazzolla et Atahualpa Yupanqui faisaient partie des habitués de la maison.
Lors d'un dîner en 1974, Atahualpa raconte l'histoire de la rencontre de ses parents. Un cheval s'était échappé du troupeau de
Don José
(le futur père d'Atahualpa)
et était entré dans "le champ de quelqu'un d'autre".
Les propriétaires de l'endroit étaient hospitaliers et l'ont invité à boire un verre, ce qu'il a accepté avec plaisir. Tout en discutant avec eux, Don José ne peut s'empêcher de regarder une jeune fille qui l'émeut. "Revenez quand vous voudrez", lui dit le dueno de casa. Il revint et tomba amoureux de la jeune fille,
Higinia Carmen.
Plus tard, une fois mariés, ils seront les parents de Yupanqui.
Piazzolla, qui était resté silencieux pendant tout le récit, demanda alors à Yupanqui d'écrire un poème racontant
cette histoire, afin qu'il puisse la musicaliser. En l'espace d'une semaine, le poème est écrit. Astor quitte Paris quelques jours pour
aller enregistrer à Rome avec Amelita Baltar, "
Pequena candon para Matilde
" (sur un texte de
Pablo Neruda) et "
Violetas populares
" (sur un texte de
Mario Trejo).
A son retour, en quelques heures, il écrit la musique des vers de Yupanqui. Ce fut le seul contact créatif qu'Astor et Atahualpa eurent de toute leur vie. La chanson s'intitule " Campo, camino y amor " et a été créée le 3 décembre 1974 au Teatro Coliseo de Buenos Aires. Elle a été chantée par
Amelita Baltar, accompagnée par Juan Carlos Cirigliano au piano, Horacio Malvicino à la guitare électrique et Adalberto Cevasco à la basse. "Campo, camino y amor", développé à partir du répertoire de Piazzolla, a été enregistré en 1999 par Amelita Baltar.
1975, alors qu'il était déjà au
travail, Astor se sépare définitivement d'Amelita et, déprimé, appelle Daniel pour qu’il vienne lui tenir compagnie.
Daniela, la petite-fille d'Astor, est sur le point de naître. Daniel lui dit qu'il ne peut pas
car il va bientôt devenir père, mais le désespoir d'Astor le touche et il finit par accepter.
Il part à Rome emportant son synthétiseur. A peine arrivé, Daniel aide son père à faire ses valises, Astor voulant retourner à Buenos Aires.
Mais la chance leur sourit et, en moins de vingt jours, ils enregistrent quatre disques : le playback de l'album de
Trelles, la "
Suite Troileana " et la "
Suite Lumiere
", la musique de
Viaje de bodas
(Voyage de Noces 1975 - film de Nadine Trintignant) et la bande originale du
film célèbre
Llueve sobre Santiago
(Il pleut sur Santiago
- avec Jean-Louis Trintignant).
Après le retour à Buenos Aires, l'Octeto est recréé et les tournées commencent à se succéder au Brésil, plus de vingt concerts, puis à Montevideo, et à Asuncion, où le dictateur de l'époque, Arturo Stroessner, les a entendus. Enfin, ils se produisent à Buenos Aires devant une salle comble au Teatro Coliseo. Mais cette fois, les fans approuvent pas la nouvelle proposition du maestro Piazzolla. Ils disent que le groupe n'a rien à voir avec les précédents, ils le considèrent comme une approximation du Jazz-Rock ; bien que selon Piazzolla lui-même : "Il y avait ma musique, elle avait l'odeur du tango et non du rock". À la fin de l'année 75, Agri quitte le groupe pour "prendre sa retraite". Piazzolla le comprend en tant que musicien, et peu après dissout l'Octeto. Daniel raconte avoir entendu son père lui dire : " J'ai une nouvelle à t'annoncer.
J'ai dissous l'Octeto et je retourne au Quinteto ". J'ai failli mourir, c'était la pire nouvelle qu'on aurait pu m'annoncer, parce que je savais que si mon père retournait au Quinteto, je n'irais plus jouer avec lui avec mon synthétiseur"...
7. Nouvelle étape pour le Quinteto - L'histoire du tango - El Sexteto
Le 1er mars 1976, jour de son cinquante et unième anniversaire, Piazzolla est l'invité de l'émission "Matiné" sur Canal 11, animée par la journaliste Laura Escalada, qui est beaucoup plus jeune que lui et dont il est un grand admirateur. Au cours de l'émission, ils ont bavardé et leur rencontre fut ce que l'on appelle un véritable "coup de foudre"... et Astor fut encore une fois, l'objet de nombre de critiques... mais il a l'habitude...
En décembre de cette même année, un grand concert a lieu au Gran Rex à Buenos Aires où il présente " 500 Motivaciones " et ensuite, durant un mois à partir du 23 mars 1977, Piazzolla joue à Paris, à l'Olympia, en première partie de Georges Moustaki qui lui rend hommage et qui chantera, pour le final du concert, ce titre de circonstance : " Le tango de demain ".
L'ensemble électronique, lui, avait enfin réussi à toucher le public , mais Piazzolla décida d'arrêter de jouer avec lui.
Une deuxième phase du Quintet voit le jour en 1978, qui consolide Piazzolla sur les scènes du monde entier. En mai, il fait ses débuts à l'Auditorium de Buenos Aires. La formation comprend, comme toujours, Oscar Lopez Ruiz à la guitare (en 1984, il sera remplacé par Horacio Malvicino), le nouveau violoniste Fernando Suarez Paz, Pablo Ziegler au piano et Hector Console à la basse. Durant cette période, Piazzolla se consacre à des compositions de nature chambriste et symphonique, et c'est au cours de ces années que la musique de Piazzolla connaît sa plus grande diffusion. Les tournées en Europe, en Amérique du Sud, au Japon et aux États-Unis se multiplient. Les tournées vertigineuses avec le quintette sont entrecoupées de concerts en solo avec des orchestres symphoniques et des orchestres de chambre. Il réalisa de nombreux enregistrements en direct de ces concerts, qui ont ensuite été publiés sur CD.
Une phrase très souvent répétée : " la musique de Piazzolla n'existe pas si elle n'est pas interprétée par lui ; l'aspect physique est une caractéristique de son style, que l'on pourrait définir comme " une esthétique du corps en état de musique" . (libro Fulgor de bandonéon)
En 1980, lors d'une tournée au Mexique, il y avait retrouvé sa fille Diana et lui avait demandé d'écrire sa biographie. Elle l'écrira et elle sera publiée en 1987 aux éditions Corregidor, et traduit en français en 2002 : un document incontournable.
L'histoire du tango
C'est durant cette période faste qui va durer jusqu'en 1988, qu'Astor écrira notamment l' Histoire du Tango pour flûte et guitare, en 1985, qui comprend quatre mouvements (Bordel 1900, Café 1930, Nightclub 1960 et Concert d'aujourd'hui...). D'après Wikipedia, Piazzolla aurait écrit sur le livret du disque et à l'intention de ses auditeurs :
«
Bordello, 1900 : Le tango est né à Buenos Aires en 1882. Il a d'abord été joué à la guitare et à la flûte.
Les arrangements ont ensuite inclus le piano, et plus tard, le concertina. Cette musique est pleine de grâce et de vivacité.
Elle dépeint le bavardage bon enfant des femmes françaises, italiennes et espagnoles qui peuplaient ces bordels et qui taquinaient les policiers, les voleurs, les marins et la racaille qui venaient les voir.
C'est un tango plein d'entrain.
Café, 1930 : C'est un autre âge du tango. Les gens cessent de le danser comme en 1900, préférant simplement l'écouter. Il devient plus musical et plus romantique. Ce tango a subi une transformation totale : les mouvements sont plus lents, avec des harmonies nouvelles et souvent mélancoliques. Les orchestres de tango se composent alors de deux violons, deux concertinas, un piano et une contrebasse. Le tango est parfois également chanté.
Night Club, 1960 : C'est une époque d'échanges internationaux en pleine expansion, et le tango évolue à nouveau lorsque le Brésil et l'Argentine se rencontrent à Buenos Aires. La bossa nova et le tango nuevo bougent sur le même rythme. Le public se précipite dans les boîtes de nuit pour écouter attentivement le tango nuevo. Cela marque une révolution et une profonde altération de certaines des formes originales du tango.
Concert d'Aujourd'hui : Certains concepts du tango se mêlent à la musique moderne.
Bartok, Stravinsky et d'autres compositeurs se rappellent au bon souvenir de la musique de tango.
C'est le tango d'aujourd'hui, et aussi le tango du futur. »
Il va aussi écrire notamment, la sonate Le Grand Tango pour violoncelle et piano, et à l'intention de Mstislav Rostropovitch qui l'inaugurera à la Nouvelle Orléans en 1990, et ne l' enregistrera qu'en 1996.
Le Sexteto Nuevo Tango
Piazzolla adore la pêche qu'il pratique assidument à Punta del Este. C'est là, en 87, qu'il apprend par la radio qu'il a remporté le prix César à Paris, pour la bande sonore du film « El exilio de Gardel », de Fernando "Pino" Solanas. Les bonheurs s'enchaînent car cette même année, il se produit un événement qu'Astor apprécie particulièrement : un concert-hommage couronné de succès est organisé à Central Park, à New York. La ville où Piazzolla avait passé son enfance, où il avait été subjugué par la musique de Bach et le jazz, et où il avait échoué en 1958, vénérait enfin sa musique. Une reconnaissance et une justification de son travail, enfin méritées et historiques.
Mais en 1988, Astor Piazzolla connait de graves problèmes de santé. Il est opéré d'un quadruple pontage coronarien et il décide de dissoudre, après dix années de concerts et de tournées internationales, le quintette qui lui avait enfin donné une notoriété internationale. Trop de fatigue... Après son rétablissement il repart à Punta del Este, ses médecins lui conseillant le repos et lui interdisant même sa pêche favorite, celle du requin.
Au début de l'année 1989, Piazzolla forme un nouveau sextuor composé de deux bandonéons, d'un violoncelle, d'une guitare, d'une contrebasse et d'un piano. Le deuxième bandonéon est sensé soulager Astor ; à l'usage il ne servit à rien. Aux yeux d'Astor ce Sexteto fut un échec, regrettant d'avoir remplacé le violon par le violoncelle à la sonorité plus "triste". Piazzolla avoua avoir retrouvé le son de De Caro des années trente...
Malgré l'avis de son médecin, Fernandez Aramburu, qui considère que l'opération est trop récente pour que Piazzolla fasse de trop gros efforts, le Sexteto entame une grande tournée aux États-Unis. En l'espace d'un mois, ils se produisent dans vingt villes avec un très grand succès.
De retour à Buenos Aires, le Sextuor fait sa présentation officielle au Teatro Opera, le vendredi 9 juin 1989, un concert auquel le président argentin de l'époque, Carlos Saul Menem, avait été invité. Malgré le fait que Piazzolla l'ait fortement combattu pendant la campagne électorale, tout se passa bien. Et lorsque Astor, en partageant avec lui une coupe de champagne, dit à Menem qu'il n'avait jamais été péroniste, le président lui répondit que cela n'avait aucune importance car lui " il avait toujours été piazzollista ". En fait Piazzolla s'était toujours intéressé à la politique, s'étant même très engagé en faveur de la guerre des Malouines en 1982...
Une semaine plus tard, avant leur départ pour l'Europe, le Sexteto joue au Teatro Solis de Montevideo. Ils font ensuite le tour du vieux monde en sept semaines. Au Royal Carre d'Amsterdam, eut lieu la rencontre, le 26 juin 1989, de Piazzolla avec l'orchestre d'Osvaldo Pugliese, concert où les deux maestros ont joué séparément pour finalement s'unir dans l'interprétation de "La yumba" et "Adios Nonino". Deux albums, " Finally together" immortalisent ce grand moment :
La Yumba et Adios Nonino réunis en un seul morceau
12 minutes de délectation
Astor Piazzolla alterne entre fatigue, et envie de réaliser de nouveaux projets. La finale de la Coupe du Monde de football en Italie, en 1990, alors qu'il est là-bas, lui change les idées. Il n'aime pas particulièrement le football mais il est patriote, alors il joue " Adios Nonino " avec les joueurs et leur promet de les inviter à diner après le match, si ils gagnent. Mais c'est l'Allemagne qui remporte la finale, un à zéro. Fatigué, dépité, Astor et Laura quittent l'Italie et vont se réfugier à Paris, dans l'appartement de la rue des Innocents, non loin de rue des Lombards, dans le 1er arrondissement.
Laura annule tous les concerts... Retour haut de page
8. Fin de vie - Prises de position et polémiques - Début d'un mythe - Epilogue
Le 5 août 1990, à Paris, alors qu'il s'apprête à aller à la messe à Notre-Dame, Astor s'effondre sur le sol en sortant de la douche. Une attaque cérébrale a paralysé le côté droit de son corps. Tous ses amis sont venus l'accueillir à l'hôpital, mais Astor est dans un coma profond et, selon les médecins, le mieux pour lui est de mourir rapidement. Il survit mais reste paraplégique.
Laura, pressentant la fin et soutenue par Diana et Daniel, décide qu'Astor devait mourir en Argentine...
Astor Piazzolla meurt à Buenos Aires le
4 juillet 1992, et est enterré au
Cimentiero Jardin
de Paz, un peu à l'écart, au nord-est de Buenos Aires, une simple plaque posée
sur le gazon...
Encore et toujours à l'écart...
Prises de positions et polémiques
Dès le début de la carrière d'Astor Piazzolla, les polémiques ont démarré : " Ce n'est pas du tango ! " . Elles sont relativement timides au départ, quand Piazzolla était à peu près dans le rang, "cadré" par Anibal Troilo, ou quand il dirigeait, l'orchestre qui accompagnait, de façon traditionnelle, le chanteur Francesco Fiorantino en 1945 (en 46, avec le même orchestre et le même chanteur, ça commençait déjà à se gâter avec les danseurs). Il en est de même quand il réalise les arrangements de José Basso. Les polémiqiues vont s'amplifier après, à partir de 1960.
Lorsqu'Astor Piazzolla avait demandé à sa fille en 1980 d'écrire sa biographie, tous les jours, de 17h00 à 23h00, il avait enregistré sa vie sur des bandes magnétiques, y joignant quelques documents sonores.
Sa conversation avec le journaliste Jorge Nelson, est ici enregistrée. Précisons que ce journaliste était un grand spécialiste du tango, auteur en parallèle de plusieurs morceaux restés célèbres, "
Margarita Gauthier ", repris par les plus grands, Miguel Calo, Troïlo, Osmar Maderna, et chanté par Roberto Goyeneche, accompagné par l'Orquesta Horacio Salgán. Citons également " Cuento azul " et " Carriego " parmi d'autres. Il avait figuré dans le documentaire " Carlos Gardel, historia de un idolo ", et en 1991 une place fut nommée à son nom et en son honneur, à Buenos Aires.
Le 3 Mai 1962, sur Canal 7, une violente polémique éclata entre
Jorge Vidal,
défenseur du tango traditionnel, et Piazzolla qui défendant son approche du
modernisme. La bagarre éclata entre les deux hommes. La police dut intervenir,
et le lendemain la "pelea" faisait la une des tabloïds.
Se poser la question de savoir si les commentateurs sont saouls ou analphabètes, a pu aider à faire de lui l' homme le plus controversé du tango...
On remarquera également que Jorge Vidal était un chanteur de tango apprécié, qui travailla avec Pugliese (déjà quelque peu révolutionnaire)... et que Pugliese et Piazzolla se comprenaient et s'appréciaient... et finirent par jouer ensemble !
Cet article paru dans
France Soir en 1977 pour sa première à
l'Olympia, résume très bien l'état d'esprit d'Astor Piazzolla, éternellement tiraillé entre ses racines,
parmi lesquelles le tango traditionnel tient une place importante, et son désir frénétique de s'en échapper...
tout en restant fidèle à son pays, l'Argentine...
" Je n'ai pas quitté définitivement Buenos aires. Comment peut-on ? Je travaille en Europe parce qu'un contrat me lie pour six ans, mais j'y retourne souvent... (76 début de la dictature du général Videla. ndlr) Mais ce n'est pas une raison pour tout quitter. "
" Je déteste le tango à danser. Depuis que j'ai 19 ans ! Moi je fais de la musique pour écouter. Et après 20 ans on commence à écouter effectivement. La danse, c'est une autre mentalité. La grande confusion vient du " Tango à la Valentine "... Le tango argentin c'est autre chose, complètement méconnu, mais ancré au fond de nous... Je parle de l'époque d'or du tango : 1940-1945... "
Cette deuxième partie est très intéressante, et mélange un peu tout. Piazzolla " déteste le tango à danser "... mais en a écrit, ou arrangé plusieurs dont d'excellents dans les années 46/47 (El Recodo / Orgullo criollo / El Desbande / Chiclana ). Le "Tango à la Valentine" c'est une référence à Adel Valentine, à la mode e France en cette période des années 70, et qui joue à l'accordéon dans un style rythmiquement simpliste et limite musette, les morceaux argentins à la mode. De quoi indigner, bien sûr, n'importe quel argentin. Et Piazzolla se réfère aussitôt à l'époque d'or du tango... qui est essentiellement du tango à danser... Contradictions... En outre deux bémols sont à mettre à ces affirmations : d'une part Piazzolla adore provoquer, allant plus loin que sa pensée, et d'autre part il n'est pas sûr que le journaliste ait bien compris et bien relaté ses paroles, vu la confusion du propos tel que relaté. Ce ne serait pas la première fois...
Le début d'un mythe
1971, certains pressentaient déjà une reconnaissance mythique, même si le public n'était pas encore prêt : "La semaine dernière, un génie du jazz a joué devant une salle comble dans l'un des plus grands cinémas de Buenos Aires, il s'agissait de Duke Ellington. Tout le monde chantait ses louanges. À moins de huit cents mètres de là, quelqu'un dont on peut dire qu'il est aussi grand qu'Ellington jouait devant une salle à moitié vide dans l'un des plus petits théâtres de la capitale. C'était Astor Piazzolla". (The Buenos Aires Herald, quotidien argentin de langue anglaise, 28 de novembre1971)
La consécration a lieu enfin à Buenos Aires, au Teatro Colon le 11 Juin 1983, sur la principale scène de musique classique en Argentine. Pour l'occasion, il avait réuni le Conjunto 9, mais il joua également en tant que soliste avec l' " Orquesta Sinfonica ", dirigé par Pedro Ignacio Calderon, en interprétant son célèbre " Concierto para Bandoneon y Orquesta ". Le journal La Nation souligna la performance de cette soirée apothéose. Le 11 décembre de la même année, après l'accession de Raul Alfonsin à la présidence de l'Argentine, Astor revint jouer au Colon : c'était la première fois qu'il jouait pour le président de son pays. Regardons le final du mémorable concert de 1983 :
Déjà en 1988, le journaliste de jazz Leonard Feather observait dans le Times que la renommée que Piazzolla avait acquise aux États-Unis était inhabituelle : " une rareté qui défie toutes les tentatives de classification : ce groupe n'est ni pop, ni jazz, ni soul, ni rock, ni fusion, ni rhythm and blues, mais "la qualité intrinsèque" de leur musique exige de l'attention dans un monde dominé par des semi-lettrés qui assimilent l'énergie au talent ".
Le 4 juillet 1994, la municipalité de Mar del Plata décide de rebaptiser son auditorium Sala Astor Piazzolla ... en présence de Laura, Daniel, de leurs enfants et de leurs proches et amis.
Le 27 novembre 2004, on peut lire dans le Gardian : " Par ses efforts de rénovation du tango et pour l'avoir amené aux côtés d'autres formes avancées de la musique dans la seconde moitié du siècle dernier, Piazzolla fut d'abord excommunié par les Argentins...Il y a cinquante ans, il fut pour le tango ce que Charlie Parker, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk ont été pour le jazz quand ils introduisirent ce qui fut connu comme l'hérésie du be-bop". Boris Vian s'était illustré, et avec humour, dans la guerre entre " les figues moisies et les raisins aigres " (les anciens, le New Orléans Revival, et les modernes, le Be-bop).
Mar del Plata continue ses hommages, décidant de renommer son aéroport " Aeropuerto Internacional de Mar del Plata Astor Piazzolla ", et donne son nom à une rue dans le barrio " Alfar ".
Le Conservatoire Supérieur de Musique de Buenos Aires, s'appelle maintenant " :
Conservatorio Superrior de Música
Astor Piazzolla
Dirección:
Sarmiento 3401,
Ciudad Autónoma de Buenos Aires
https://cmbsas-caba.infd.edu.ar/sitio/
Musique d'accompagnement du clip : " Violetango "
Le 22 mai 2003, l'Assemblée législative de la ville de Buenos Aires a adopté la loi 1.024, qui établit le " Paseo Turistico-Cultural Subterráneo del Tango " le long du tracé de la ligne H du métro. Ainsi, les stations déterminées et nommées par la loi n° 317 auront : " une esthétique particulière et un développement thématique en hommage aux figures du tango, dont Homero Manzi, Azucena Maizani, Francisco Canaro, Aníbal Troilo, Enrique Santos Discepolo et Osvaldo Pugliese, entre autres". Astor Piazzolla, à qui correspond la station Retiro de la nouvelle ligne, est également inclus, bien sûr. " Les éléments affichant le matériel thématique seront situés sur les quais et seront de type mural, garantissant la circulation et la sécurité des passagers. Dans d'autres zones, il pourra y avoir des affichages de type spatiaux..."
En 2018 un timbre à l'effigie d'Astor est publié par le Correo Postal Argentino.
Les Mexicains firent de même pour le centenaire en 2021.
La formule illustrant le timbre de la poste argentine : " Si hasta creao que baillamos juntos el bandoneón y yo... "
" Je pense même que nous dansons ensemble, le bandonéon et moi... "
Et cela l'aurait fait surement sourire : il y a aujourd'hui à Buenos Aires une salle de spectacle... de tango de scène pour touristes qui porte son nom... lui qui s'était tant moqué du spectacle Tango Argentino en 83, " une caricature du passé "...
Epilogue
Personnage atypique, soumis à deux principales influences, tango et jazz, et avec un attrait prononcé pour la musique classique, Astor Piazzolla ne pouvait rentrer dans un moule. Il a réussi à créer "autre chose " et sa seule erreur est peut-être de n'avoir pu trouver un nom à ce style novateur moins directement relié au tango, ou mettant en avant une autre influence " Jazz-Tango " ou marquant plus une rupture, " Otro Tango " ? ; " un nom autre pour cette autre chose ". Mais peut importe les étiquettes, au fil du temps, il a réussit à s'imposer, et comme il existe un jazz à danser, et un jazz à écouter, il existe maintenant un tango à danser et un tango à écouter, et opposer les deux est une erreur : les deux sont complémentaires. On peut laisser exprimer son corps dans le contact avec son ou sa partenaire sur Di Sarli ou d'Arienzo, et sentir monter ses larmes, tout seul, chez soi, en écoutant Adios Nonino ou Oblivion. L'homme n'est pas doté d'une sensibilité unique et exclusive... C'est en tout cas l'humble avis du rédacteur de cette page.
Et votre serviteur va, avant d'aller danser ce soir sur du tango traditionnel et plus " bailable " , se faire l'immense plaisir d'écouter encore une fois " La Milonga del Angel ", jouée par Astor lui-même en concert en 1984... et peut-être qu'après il n'aura plus envie d'aller danser...
... ou bien tout au contraire, allez donc savoir...
Et pourquoi ne pas aller à ... " La Milonga del Angel " à Nîmes, créée par Felix Akli, un des pionniers du tango dans le sud, dans une salle sympa et une bonne ambiance... et du tango traditionnel, mais de bonne qualité...
Laissons à Astor Piazzolla lui-même le mot de la fin qui lui revient, avec cette pensée prémonitoire :
" J'ai l'illusion que mon travail sera entendu en 2020. Et en 3000 aussi. Parfois, j'en suis sûr, parce que la musique que je fais est différente... Je vais avoir une place dans l'histoire, comme Gardel..."
9. Résumé chronologique : vie et carrière d'Astor Piazzolla
1921 Astor Pantaleon Piazzolla est né le 11 mars 1921 à Mar del Plata, fils unique de Vicente Noniño Piazzolla et d'Asunta
Mainetti, deux descendant d'italiens venus de Trani, région des Pouilles (le père), et de Sassorosso, près de Florence (la mère).
1925 La famille
quitte l'Argentine et part s'installer à New-York.
1929 À l'âge de 8 ans, son père lui offre son premier bandonéon. Il
l'étudie pendant un an avec Andres d’Aquila.
1930 Il retourne avec sa famille à Mar del Plata. Peu après, ils repartent aux
États-Unis.
1931 Il réalise son premier enregistrement, Marionete Spagnol, au Radio Recording Studio de New York.
1933 Astor
Piazzolla prend des leçons de musique avec le pianiste hongrois Bela Wilda.
1935 Il rencontre Carlos Gardel, avec qui il joue dans le film "El dia que me quieras"
dans le rôle d'un vendeur de journaux.
1936 Il retourne avec sa famille en Argentine, à Mar del Plata, où il commence à se
produire dans quelques groupes.
1938 A 17 ans, Astor
Piazzolla s'installe à Buenos Aires.
Il alterne dans divers groupes de second ordre.
1939 Il devient
bandonéoniste dans l'orchestre d'Anibal Troilo, qu'Astor reconnaît comme l'un de ses professeurs.
1941 Il commence des études musicales avec Alberto Ginastera.
1942 Épouse Dede Wolf.
1943 Astor
étudie le piano avec Raul Spivak.
Naissance de sa première fille Diana, avec Dede Wolf. Début des compositions "savantes" avec la Suite pour cordes et harpe.
1944 Naissance de son fils, Daniel. Il quitte Troilo pour diriger l'orchestre typique du chanteur Francisco Fiorentino
1946 Il forme son premier orchestre (dissout en 49) et avec lequel il commence à développer son élan créatif avec des
compositions et des orchestrations aux critères harmoniques et dynamiques plus importants. Ce tango commence à susciter
les premières polémiques avec les musiciens de tango classique.
1947 Il compose le tango El Desbande, considéré par Piazzolla comme son premier tango en raison de sa
structure formelle différente. Il commence à composer des musiques de film.
1949 Il ressent le besoin de dissoudre l'orchestre, de s'éloigner du bandonéon et presque du tango. Il continue à
étudier Bartok et Strawinski, étudie la direction d'orchestre avec Herman Scherchen, écoute beaucoup de jazz. Sa recherche devient obsessionnelle, à la poursuite d'un style, d'une musique qui n'a rien à voir avec le tango. Astor décide d'abandonner
le bandonéon pour se consacrer à l'écriture et approfondir ses études musicales. Il a 28 ans.
1950/54 Il compose un ensemble d'œuvres qui se démarquent nettement du tango de l'époque et dans lesquelles il
commence à définir son style : "Para lucirse", "Tanguango", "Preparense", "Contrabajeando", "Triunfal", "Lo que vendra"
1953 Il présente l'œuvre "Buenos Aires" (Tres movimientos Sinfonicos), avec laquelle il remporte le concours Fabien Sevitzky.
L'œuvre est interprétée à
la Faculté de droit de Buenos Aires par l'Orquesta Sinfonica de Radio del Estado
avec l'ajout
de deux bandonéons et sous la direction de Sevitzky lui-même. Un
scandale éclate, dû à l'indignation provoquée dans un certain secteur "cultivé"
du public, par l'adjonction de deux bandonéons à un orchestre symphonique.
1954 Astor Piazzolla se rend à Paris, grâce à la bourse qu'il a obtenue au concours Sevitzk, pour étudier avec Nadia Boulanger,
considérée à l'époque comme la meilleure pédagogue du monde de la musique.
1955 Il retourne en Argentine pour former l'Octeto Buenos Aires, qui marque le début de l'ère du tango contemporain :
une formation composée de deux bandonéons, deux violons, une contrebasse, un violoncelle, un piano et une guitare électrique, produisant des innovations en matière de composition et d'interprétation qui rompent avec le tango traditionnel.
1958 Il dissout l'octuor et l'orchestre à cordes et se rend à New York pour travailler comme arrangeur et se produire aux États-Unis,
où il fait l'expérience négative du Jazz-Tango.
1959 En octobre, son père meurt et il écrit son célèbre "Adios Noniño" à New York.
1960 De retour au pays, il crée un autre de ses célèbres quintettes, baptisé
"Nuevo
Tango"
(bandonéon, violon, basse, piano et guitare électrique)
1963 Première sous la direction de Paul Klecky de
"Tres Tangos Sinfonicos" (Prix Hirsch).
1965 Il enregistre deux albums
très importants : Piazzolla at the
Philharmonic Hall de New York, qui reproduit les œuvres du concert
donné avec le Quintet en mai 1965 dans cette même salle, et El Tango, réalisé avec Jorge Luis Borges.
1966
Astor Piazzolla se sépare de Dede Wolff.
1968 Il commence à travailler avec le poète Horacio Ferrer, avec lequel il compose
l'opéra Maria de Buenos Aires.
Il commence à collaborer avec la chanteuse Amelita Baltar.
1969 Avec Ferrer, il compose "Balada para un loco", présenté au premier Festival ibéro-américain de la chanson, où il obtient
un deuxième prix controversé. Cette œuvre a été son premier véritable impact populaire.
1970 Il retourne à Paris, où il compose avec Ferrer l'oratorio El Pueblo Joven, qui
est joué à Sarrebruck (Allemagne).
1971 Il forme le "Conjunto 9", qui se produit à Buenos Aires et en Italie, où il
enregistre plusieurs programmes pour la RAI.
Cet ensemble était comme un grand
rêve pour Astor Piazzolla : l'ensemble de chambre qu'il avait toujours voulu avoir
et
où il a peut-être produit sa musique la plus élaborée.
1972 Première représentation au Teatro Colon de Buenos Aires, partagée avec d'autres orchestres de tango.
1973 Il est victime d'une crise cardiaque qui l'oblige à réduire son activité artistique. Il décide de s'installer en Italie, où il entame
une série d'enregistrements qui s'étend sur cinq ans, dont le plus célèbre est "Libertango", une œuvre qui doit être considérée comme sa lettre d'introduction au public européen. Il forme le Conjunto Electronico : un octuor composé d'un bandonéon, d'un piano électrique et/ou acoustique, d'un orgue, d'une guitare et d'une basse électriques, d'une batterie, d'un synthétiseur et d'un violon, remplacé plus tard par une flûte ou un saxophone
1974 Se sépare d'Amelita Baltar. Enregistre un album mémorable avec le saxophoniste Gerry Mulligan : Summit.
1975 Rejoint le groupe électronique Jose A. Trilles qui alterne entre musiciens argentins et européens.
Il est considéré comme une approximation du jazz-rock, selon Piazzolla lui-même : "Voilà ma musique, elle avait l'odeur du tango et non du rock". Cette année-là, Anibal Troilo meurt et, en sa mémoire, il compose la Suite Troileana, une œuvre en quatre mouvements, qu'il enregistre avec l'ensemble électronique, avec la participation d'Antonio Agri au violon.
1976 Il rencontre sa dernière femme, Laura Escalada. En décembre, un concert explosif a lieu au théâtre Gran Rex de Buenos Aires,
où il présente son œuvre "500 Motivaciones", écrite pour l'ensemble électronique.
1977 Il enregistre un autre concert mémorable à l'Olympia de Paris, avec un ensemble similaire au précédent,
mais avec des musiciens d'une formation plus rock. Il s'agit du dernier ensemble électrique.
1978 Une nouvelle étape du Quintette voit le jour. Il redémarre également une étape où il se consacre à des compositions à caractère
rocailleux et symphonique.
1979 La période des grandes tournées commence, la meilleure de Piazzolla en termes de diffusion. Il intensifie ses concerts dans
le monde entier, principalement avec le Quintette, en tant que soliste avec des orchestres symphoniques et de chambre, avec sa
dernière formation, le Sextuor, et avec des quatuors à cordes.
1982 Il écrit Le Grand Tango, pour violoncelle et piano, Rostropovitch et créé par ce dernier en 1990 à la Nouvelle-Orléans.
1983 Il présente un programme entièrement consacré à sa musique au Teatro Colon de Buenos Aires, la principale scène de musique
classique en Argentine. À cette occasion, il réunit l'Ensemble 9 et se produit également en tant que soliste avec l'orchestre symphonique dirigé par Pedro I. Calderon. Calderon, interprétant son célèbre Concert pour bandonéon et orchestre.
1984 Se produit avec la chanteuse Milva, enregistrant le CD Live at the Bouffes du Nord, et à Vienne avec le Quintet,
où il enregistre le CD Live in Wien.
1985 Nommé Illustre citoyen de Buenos Aires, il crée le Concierto para bandoneon y guitarra : Homenaje a Lieja, sous la direction
de Leo Brouwer, lors du cinquième Festival international de la guitare en Belgique.
1986 Reçoit le prix César à Paris pour la bande originale du film El exilio de Gardel et enregistre avec Gary Burton
la Suite for Vibraphone and New Tango Quintet, en direct du Festival de jazz de Montreux, en Suisse.
1987 Enregistre avec le St. Luke's Orchestra, sous la direction de Lalo Schiffrin, le Concert pour bandonéon et Tres Tangos
pour bandonéon et orchestre. Se produit devant un large public à Central Park, à New York.
1988 Enregistre ce qui sera son dernier album avec le Quintette : La Camorra. Subit quatre opérations de pontage cardiovasculaire.
1989 Il forme son dernier groupe : le Sexteto Nuevo Tango, aux caractéristiques inhabituelles : contrebasse et violoncelle.
Avec cet ensemble, il se produit en juin au Teatro Opera de Buenos Aires, pour ce qui sera son dernier concert en Argentine, et effectue de nombreuses tournées aux États-Unis, en Allemagne, en Angleterre et aux Pays-Bas.
1990 Le 4 août, à Paris, il est victime d'une thrombose cérébrale.
1992 Il meurt le 4 juillet à Buenos Aires.
10. Bibliographie, Filmographie et principaux albums
- Susana Azzi et Simon Collier, Le Grand Tango : The Life and Music of Astor Piazzolla, Oxford University Press, 2000
- Diana Piazzolla, Astor, Anglet, Atlantica, 2002
- Emmanuelle Honorin, Piazzolla. Le tango de la démesure, Éd. Demi-Lune, 2011
- Sébastien Authemayou et Marielle Gars, Astor Piazzolla: libertad : l'étonnant voyage d'un homme libre,
La Seyne-sur-Mer, Parole, 2020
et un livre grand format (500 pages en 28cmx28cm), avec des documents et des photos magnifiques :
Piazzolla Archive - Carlos Kuri - UNR Editora - AR Rosario 2021
Filmographie
Trois principales références (celle d'Arte comprend des témoignages rares et très intéressants) :
- Astor Piazzolla in Portrait - BBC television production - DVD 113 mn - 1996
- Astor Piazzolla The Next Tango - by José Montes-Baquer - Deutsche Gramophon - Japon DVD 43 mn - 1996
- Astor Piazzolla Tango Nuevo - Emission spéciale ARTE France - film écrit par Daniel Rosenfeld - 52 mn - 2017
Musiques de film
C'est dans plus de quarante films que l'on peut entendre la musique d'Astor Piazzolla...
- Ástor Piazzolla compose Oblivion en 1984 pour le film Henri IV du réalisateur italien Marco Bellocchio.
- Ástor Piazzolla a écrit la musique du film Tangos, l'exil de Gardel, pour laquelle il a reçu un César en 1986.
- Ástor Piazzolla compose la musique du film Sur de Fernando Solanas en 1988.
- Introduccion, extrait de la Suite Punta del Este, dans le film L'Armée des douze singes de Terry Gilliam.
- C'est la même musique pour le générique de l'émission Rendez-vous avec X, sur France Inter.
- Ce même thème est aussi utilisé dans Les Simpson dans l'épisode La Chorale des péquenots.
- Tango Apasionado est utilisé dans le film Happy together de Wong Kar-wai en 1997.
- Bande originale du documentaire Parlez-moi du Che, (Jean Cormier et Pierre Richard, 1987) tourné à Cuba.
La liste complète des films où l'on entend sa musique :
Con Los Mismos Colores, Torres Rios, Argentina, 1949 / Bolidos de Acero, Torres Rios, Argentina, 1950 /
El Cielo en las Manos, E. De Thomas, Argentina, 1950 / Stella Maris, Carpena, Argentina, 1953 /
Sucedió en Buenos Aires, Enrique Cahen Salaberiy, Argentina, 1954 / Marta Ferrari, Sarraceni, Argentina, 1956 /
Los Tallos Amargos, Fernando Ayala, Argentina, 1956 / Continente Blanco, B. Roland, Argentina, 1957 /
Historia de una carta, Porter, Argentina, 1957 / Violencia en la ciudad, De Rosas, Argentina, 1957 /
Una viuda dificil, F. Ayala, Argentina, 1957 / Dos basuras, Land, Argentina, 1958 /
Las furias, V. Lah, Argentina, 1960 / Sabado a la noche, cine, F. Ayala, Argentina, 1960 /
Quinto año nacional, Blasco, Argentina, 1961 / Prisioneros de una noche, David Jose Kohon, Argentina, 1962 /
Detras de la mentira, E. Vieyra, Argentina, 1963 / La fin del mundo, E. Vieyra, Argentina, 1963 /
Los que verán a Dios, Blasco, Argentina, 1963 / Paula Cautiva, F. Ayala, Argentina, 1963 /
Con gusto a rabia, F. Ayala, Argentina, 1965 / Che, Buenos Aires, D. J. Kohon, Fernando Birri, Argentina, 1966 /
Las locas del conventillo, F. Ayala, Argentina, 1966 / Las Pirañas, Luis Garcia-Berlanga, Espana-Argentina, 1967 /
Breve cielo, D. J. Kohon, Argentina, 1969 / La fiaca, F. Ayala, Argentina, 1969 /
Tango Argentino, Simon Feldman, Argentina, 1969 / Pulsación, Carlos Paez Vilaro, Uruguay, 1969 /
Con alma y vida, D. J. Kohon, Argentina, 1970 / La ñata contra el vidrio, varios, Argentina, 1972 /
II pleut Sur Santiago (Llueve sobre Santiago), Helvio Soto, Bulgaria/Francia, 1975 /
Luna de miel, Nadine Trintignant, Francia, 1975 / Lumiere, Jeanne Moreau, Francia, 1975 /
Madame Claude, Just Jaeckin, Francia, 1976 / Servante et Maitresse, 1976 /
Armagedon, Alain Jessua, Francia/Italia, 1976 / ¿Que es el otoño?, D. J. Kohon, Argentina, 1977 /
El infierno tan temido, Raul De La Torre, Argentina, 1980 / ¿Somos?, Carlos Hugo Christensen, Argentina, 1982 /
Volver, Lypszyc, Argentina, 1982 / Bella Donna, Peter Keglevic, Germany, 1983 /
La intrusa, C. H. Christensen, Brasil, 1982 / Cuarteles de invierno, Lautaro Murua, Argentina, 1984 /
Henry IV, Marco Bellocchio, Italia, 1984.
Principaux films intégrant la musique d'Astor Piazzolla
El crack, Jose A. Martinez Suarez, Argentine, 1959 / Argentinisima, F. Ayala et H. Olivera, Argentine, 1972 / El canto cuenta su historia, F. Ayala et H. Olivera, Argentine, 1976 / Cadaveri Eccelenti, Francesco Rosi, Italie, 1976 / El exilio de Gardel, Fernando "Pino" Solanas, Argentine-France, 1984 / Raw Deal, John Irvin, États-Unis, 1986 (contenant la célèbre version de "Libertango" par Grace Jones et "I've seen that face befote") / Frantic, Roman Polanski, France-États-Unis, 1988 (toujours avec la version de Grace Jones) / El Sur, F. "Pino" Solanas, Argentine, 1988 / El viaje, F. "Pino" Solanas, Argentine, 1992 / All Ladies Do It, Tinto Brass, Italie, 1992 / Citizen Langlois, Edgardo Cozarinsky, France, 1994 (avec la musique du Kronos Quartet et de Piazzolla / Unter der Milchstrasse (Sous la Voie Lactée), M. X. Oberg, Allemagne, 1995 / 12 Monkeys, Terry Gilliam, États-Unis, 1995 / Blue in the Face, Wayne Wang et Paul Auster, États-Unis, 1995 / Happy Together, Wong Kar-Wai, Hong Kong, 1997 / et The Tango Lesson, Sally Potter, Grande-Bretagne, 1997. Et parmi un grand nombre de documentaires tournés, citons Quereme así (Piantao), Elisea Alvarez, 1997, et El Tango es una Historia, Humberto Rios, Mexico, 1994.
Discographie - les principaux Albums enregistrés par lui-même
Disque 78 T Odéon 279 983 - Ahi va el duclce / Cargamento (milonga) - 1948 |
Sinfonía de tango - 1955 | Musica contemporanea Cdad de BA Vol 1 - 1971 |
Tango Progresivo (Octeto Buenos Aires) - 1957 | Musica contemporanea Cdad de BA Vol 2 - 1972 |
Tango Moderno (Octeto Buenos Aires) - 1957 | Libertango - 1974 |
Tango en Hi-Fi - 1957 | Chador o Piazzolla 78 - 1978 |
Tango Contemporáneo - 1963 | Biyuya - 1979 | Tango para una ciudad - 1963 | Enrico IV - B.O. - 1984 |
Concierto en el Philharmonic Hall New York - 1965 | El Exilio De Gardel - B.O - 1985 |
El Tango - 1965 | El Exilio De Gardel - B.O - 1985 |
Historia del Tango Vol 1. La guardia Vieja - 1967 | Tango: Zero Hour - 1986 |
Historia del Tango Vol 2. Epoca Romántica - 1967 | The New Tango - 1987 |
Maria de Buenos Aires - 1968 | Sur - B.O. - 1988 |
Amelita Baltar interpreta Piazzolla y Ferrer - 1969 | Hommage a Liège - Orch. philarmonique - 1988 |
Adiós Nonino - 1969 | Camorra: Solitude of passionate provocation - 1989 |
Concierto para quinteto - 1970 | The Rough Dancer and the Cyclical Night - 1991 |
La bicicleta blanca - 1971 | Pulsació Five Tango Sensations - 1991 |
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