Le tango à Paris à la Belle Epoque
et la "tangomania"
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page 2
=► 1. La danse à Paris avant l'arrivée du Tango (page 1)
=► 2. L'arrivée du tango en France et en Europe (page 1)
=► 3. La "guerre du tango" (page 1)
=► 4. La "tangomania" et son apothéose en 1913 (page 1)
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=► 5. Les lieux où l'on danse
=► 6. La réaction de l'église, la guerre de 14/18
=► 7. L'influence de Paris sur le style, et le retour en Argentine
- l'influence de la danse Apache
- un tango "pasteurisé"
- l'introduction de la marche
- les répercussions en Argentine
=► 8. Conclusion / Bibliographie
5. Les lieux où l'on danse
En préalable à ce qui va suivre, il faut comprendre un peu le paysage de la pratique du tango, et son évolution. S'il semble certain que le tango ait démarré dans des cabarets, il avait aussi pénétré les réunions fermées de quelques aristocrates et personnes en vue de l'époque. Par contre il eut beaucoup de mal à pénétrer les bals populaires.
Les deux pratiques, lieux privés et cabarets de luxe, existèrent simultanément, celle dans les lieux publics prenant plus d'ampleur au fil du temps, surtout à partir de 1911. Il faut attendre 1913, et des lieux comme Luna Park ou Magic City, pour voir de grandes réunions quasi dédiées au tango.
Une chose est sûre, Montmartre fut, au début, et il le restera longtemps, le temple de la danse et de la musique portègne.
Pourquoi Montmartre
? Nous l'avons déjà évoqué : le quartier était resté une sorte de sanctuaire,
qui avait résisté aux combats de la Commune, et aux travaux du
Baron Hausmann.
Très vite, dans le monde du tango, Montmartre allait devenir un mythe, qui allait perdurer jusqu'à nos jours, et être magnifié dans de nombreux tangos par les poètes argentins.
Une petite carte permet de voir la concentration des cabarets et lieux de danse dans le quartier
=► L'Abbaye de Thélème
Déjà le lieu était incontournable de part son emplacement : 1, Place Pigalle, face à la fontaine. A noter que ce lieu et cette fontaine était déjà emblématiques, car situés à l'emplacement d'une des 57 anciennes barrières d'octroi, que Louis XVI avait instauré pour taxer les marchandises entrant dans Paris, pour y financer les hospices de la ville.
Ancien hôtel particulier, transformé en une sorte de cabaret, il devint rapidement à la fin du XIXème siècle un des lieux favoris de rencontre des peintres du moment, Ferdinand Roybet, Henri Pille qui décora les murs avec Léon Tanzi, Raoul Ponchon, Etienne Goudeau, Emile Carjat, le caricaturiste, et d'autres encore. Rabelais y est à l'honneur, d'où le nom du lieu, référence à Gargantua, et les poètes aiment à fréquenter l'endroit. Verlaine y perpétra un de ses nombreux coups d'éclat, et la devise de l'endroit y donnait le ton : " Fais ce que tu voudras ".
Et puis le tango va arriver.
Copyright collection D. Lescarret
L'Abbaye est ensuite devenue un restaurant-cabaret que le "Tout Paris" et les étrangers fortunés fréquentèrent régulièrement. Le nom va changer en 1903, et deviendra la Boite à Fursy, du patronyme de son nouveau propriétaire. Ce serait un des lieux où le tango serait arrivé pour la première fois à Paris... Le récit d'Henri Fursy : cliquez
=► Le Moulin Rouge
Sans doute le lieu le plus emblématique du Paris de la nuit. Fondé en 1889, il devient très vite un des bals populaires les plus courus de la capitale. Le Quadrille, puis le Can Can avec la Goulue, assurent son succès. Le nom des danseuses Jeanne Avril, la Môme fromage, Grille d'égout et Nini patte en l'air, sont restées célèbres jusqu'à nos jours. La plus célèbre, La Goulue fut immortalisée par Toulouse Lautrec.
En 1902, la mode passe, et il faut attendre 1907 pour que Mistinguett redore le blason de l'établissement. La salle principale est dédiée au music-hall, les bals se déroulent dans la salle du bas, en sous-sol.
Collection D. Lescarret
Après son succès avec la Valse chaloupée, Mistinguett se consacre au tango, et même si elle l'introduit dans sa revue du théâtre Marigny, et le danse également aux Folies Bergère, son nom reste attaché au Moulin Rouge, et nul doute que dans la salle de bal de l'établissement, le tango y ait eu une place d'honneur durant la période d'avant-guerre. Mistinguett reviendra au Moulin Rouge, toujours avec le tango en 1925, pendant les Années folles.
=► Le Princess
Au 6 rue Fontaine, existe un café-concert/restaurant le Princess's Soupers (directeur-propriétaire : Victor Paris). Sur une publicité des années 1910, on peut lire« Ouvert toute la nuit - Où tout Paris s'amuse - Chants tziganes, danses, attractions - Les chansons de Mayol sont chantées et jouées au Princess's tous les soirs ». Le lieu sera successivement : Casino et Alcazar Fontaine puis théâtre des Deux-Masques en 1906 et Théâtre de Cinématographe en 1907. Folies Royales en 1908, Princesse Théâtre en 1909, il redevient Théâtre des Deux-Masques en 1909 et enfin cabaret de L'Abbé Constantin.<
Collection D. Lescarret
Bien sûr le tango va arriver au Princess's, et Celestino Ferrer et Genaro Esposito, "El Tano", s'y produisirent régulièrement. Après la guerre de 14-18, ce lieu va devenir le temple incontesté du tango à Paris, et ce jusqu'à la guerre de 1940, sous le nom célèbre d' El Garron, sous l'impulsion de Pizzaro, relayé par la suite, par l'orchestre Bianco-Bachicha.
=► Le Monico ou la Nouvelle Athènes
La " Nouvelle Athènes ", café du 66 rue Pigalle, ouvert en 1855, et repère des impressionnistes, changera de nom pour devenir le restaurant Monico. A l'entresol, la salle de concert accueillera des orchestres dès 1896, changeant de nom et quelque peu modernisé en 1905. C'est là qu'Erik Satie rencontra Maurice Ravel. Ci-dessous, l'aspect du restaurant en 1911. On remarquera la piste de danse.
Collection D. Lescarret
Après guerre, le lieu deviendra le New Monico, reprenant le tango (on y donnera des cours au premier étage) et y associant le jazz. Pour en savoir plus, cliquez ici.
=► Le Rat mort
Directement sur la place Pigalle, et juste en face La Nouvelle Athènes, ce bar concurrent, entièrement refait à neuf, en récupéra une grande partie de la clientèle. Il devint un des hauts lieux du Paris artistique et littéraire, le peintre Courbet en étant un client fidèle.
Collection D. Lescarret
Le Rat Mort était également célèbre par son orchestre tsigane, sachant qu'à cette époque les tsiganes jouait tout le répertoire à la mode à Paris. C'est ce même orchestre qui procéda à un des premiers enregistrements d' El Choclo en 1909.
=► L'Appolo
Construit en 1907, et reconstruit en 1909, c'était à priori un théâtre, mais il s'y passait plein de choses du genre concours de lutte pour le Championnat du Monde, et à partir de 1913, des thés-tango à partir de 17h00.
Collection D. Lescarret
Après la guerre il restera dans l'histoire du tango, sous le nom de Florida.
=► Le Bal Tabarin
Collection D. Lescarret
Toujours à
Montmartre, et juste à côté des cabarets déjà cités, c'est le grand bal
de Paris. Mais la clientèle n'est pas du tout la même que celle des
cabarets mondains.
Il devient vite un bal musette, et on y voyait plus d'Auvergnats que d'Argentins, et on y entendait plus de polkas que de tango...
Pourtant l'établissement avait été fondé par le compositeur et chef Auguste Bosc qui avait dirigé l'orchestre de la Garde Républicaine lors du premier enregistrement en France, d'El Choclo, en 1907. Il avait conjointement enregistré, un autre tango célèbre, Joaquina. Mais le musette était là...
Néanmoins le tango y fit une entrée assez timide auprès de la clientèle fin 1913, début 1914, pour devenir plus habituel, après la guerre, à partir de 1920.
Pour en savoir plus sur cette seconde période, et découvrir toute une page de dessins et tableaux, dédiée à ce lieu revisité par les artistes de l'époque, suivez ce lien...
Collection D. Lescarret
=► Les Folies Bergère
On descend vers le sud de Montmartre, et on passe du 18ème arrondissement au 9ème, non loin du Palais Garnier. D'abord, une petite précision sur l'orthographe : "Bergère" s'écrit au singulier, c'est le nom de la rue. C'est d'abord une salle de spectacle, inaugurée en 1869. Mais des bals y sont également donnés, et comme en 1910, Mistinguett était la reine du lieu, il n'est pas impossible que l'orchestre, composé de quarante musiciens, aient joué quelques tangos pour le plaisir de leurs clients. Mais il n'en reste historiquement, quasiment pas de trace...
=► Le Bal Bullier
On quitte Montmartre pour se diriger vers Montparnasse, non loin de l'Ecole du Val de Grâce. C'est le grand bal de Paris. Egalement connu sous le nom de Closerie des Lilas, il porte le nom de son fondateur François Bullier. Le nom de Closerie des lilas sera ensuite attribué au café juste en face, où l'on dansera également, mais qui deviendra surtout le rendez-vous des artistes et intellectuel de Montparnasse.
Trois cartes postales de la collection D. Lescarret
C'est avant
tout un bal populaire. C'est aussi un des lieux de prédilection pour
l'organisation des
grandes soirées étudiantes, Arts et Métier par exemple, ou des corporations de l'époque.
C'est le lieu de prédilection du peintre Sonia Delauney qui immortalisera l'endroit, et de son mari, couple encensé par Guillaume Apollinaire.
Comme dans tous les bals populaires, le tango n'y pénètrera que timidement avant la guerre.
Réquisitionné durant la période 1914-1918 par l'Intendance, il sera utilisé pour la fabrication des uniformes de l'armée française, pendant toute la durée du conflit.
Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou - Sonia Delaunay, Le Bal Bullier, 1913
=► La Salle Wagram
Attenante au théâtre de l'Empire, on y trouvait le même luxe que chez le bal Bullier. La salle Wagram disposait d'un jardin d'hiver et d'un jardin d'été. Cette salle voyait se dérouler des bals réguliers, avec une clientèle différente suivant les jours. Cette clientèle était essentiellement populaire, ouvriers plutôt aisés le Dimanche dans une ambiance bon enfant, gens de maison cherchant à imiter la bonne société les mardis, jeudis et dimanche soirs. C'est par ce biais que le tango va y entrer, et y culminer après la guerre avec Pizzaro.
Cette salle continuera à être très à la mode après-guerre, et fut le lieu de tournage de nombreux films jusqu'à une époque récente. En 2005, suite à une explosion le théâtre de l'Empire, du même complexe, disparaitra, mais par miracle la salle Wagram fut épargnée. Elle est toujours, et avec autant de succès, en activité.
=► Luna Park
Construit
en 1909, c'est le troisième parc d'attraction après le
Tivoli
et
Magic City.
Bien évidemment la danse y avait sa place, et le tango y trouva la sienne,
qui perdura durant les Années Folles . Son hall immense que l'on peut voir
sur la page en lien, ainsi que d'autres illustrations, pouvait se transformer
à volonté en une immense piste de danse. (cf
page 2 des Années Folles)
Comme on peut le voir, ci-contre sur cette page du journal Fantasio de 1914, illustrée par le dessinateur Vallée (collection D. Lescarret), la fantaisie ne manquait pas : dans ce curieux concours de danse, figuraient la Mattchiche (orthographe du document), le Tango, mais aussi le Rouli-Rouli, le One-Step et La Très Pickles (sorte de danse country ?).
" Eclectique et joyeuse fut cette épreuve où, dans le jolie cadre de Luna-Park, durant trois soirs de suite, toutes les danses d'aujourd'hui et d'hier furent admises à se mesurer. La Mattchiche a failli remporter le prix, distançant de loin le Tango, mais ce fut le Rouli-Rouli qui définitivement triompha, suivi de près par la Très Pickles."
Le tango finira par s'y imposer après la guerre, concurrencé comme partout à cette période, par les musiques jazz importées par les troupes américaines, mais le parc d'attraction devra fermer à la fin des Années Folles.
=► Magic City
Ce parc d'attraction était devenu le temple de la danse
Certainement le lieu le plus fréquenté à partir de 1913, Magic City offrait aux danseurs une grande piste absolument magnifique, dans une salle pouvant accueillir jusqu'à 3000 personnes et trois orchestres. D'autres salles, dont celle du skating, pouvaient servir également pour des bals occasionnels. Dans l'une d'entre-elles était installé un cinéma ultra moderne, chose encore rare pour l'époque.
Collection D. Lescarret
L'entrée principale se faisait par le parc d'attraction, une entrée plus discrète était réservée aux invités de marque, en particulier le vendredi, et lors des fameux bals costumés du Palais Persan. Ne nous y trompons pas, car même si la fréquentation du lieu était très importante, il ne s'agissait en aucun cas d'un bal populaire, la clientèle étant "choisie" parmi la haute société, aussi bien française qu'étrangère... même si quelques cocottes et aventuriers arrivaient à s'y glisser, premiers pas vers un brassage social qui allait aller grandissant...
Sources Library of dance et Gallica / BNF
Le tango était roi et surtout Magic City était un lieu réputé pour son enseignement par le professeur Montel. Il y enseignait la marche, mais en avant et en arrière (!), Corte et media-Corte, les Ciseaux, la Roue (ancêtre du tour), le Huit Argentin, la Demi-Lune, l'Eventail, et le Pas de Changement (sorte de pas chassé). D'autres professeurs officiaient, dont Bayo et le célèbre Duke. L'orchestre résidant enregistra plusieurs tangos, dont un portant le nom du lieu. Les thés-tango y étaient très courus, et plusieurs grands concours de tango y furent organisés. La suite de l'histoire après la guerre : cliquez
Absolument incontournable
pour qui s'intéresse au sujet, il faut lire l'ouvrage de référence " Magic
City " d'André
Vagnon.
" Un livre indispensable pour l'amateur éclairé et pour qui souhaite connaitre
l'histoire du tango argentin...", et une visite, tout aussi indispensable,
s'impose sur son site particulièrement bien documenté "
Bible tango
".
Et quelques autres images et informations sur le Duke, le Sans-Souci, Luna Park, et Magic City, en cliquant ici
=► Le Café de Paris
Totalement oublié aujourd'hui, mais déjà célèbre avant la guerre à laquelle il survivra, le splendide Café de Paris, accueillait
à l'angle de l'Avenue de l'Opéra et de la rue d'Antin, non loin du
Palais Garnier et de la Place Vendôme, une clientèle huppée et les
riches argentins de passage. L'extrait ci-dessous, du film de
Jules Berry,
donne une idée de l'atmosphère de l'endroit. La période est celle des
Années Folles avec une prédominance du
jazz.
Ce précurseur des lieux de danse dans le quartier durant les Années Folles, jouera un rôle extrêmement important dans la diffusion du tango aux USA, en particulier avec Maurice Mouvet et Irene et Vernon Casttle, qui l'auraient appris là-bas. Pour en savoir plus et voir quelques images et un autre extrait vidéo, regarder le tango aux Etats-Unis
Le Café de Paris était tellement célèbre, que de multiples lieux ouvriront en France et à travers le monde, de Genève à New-York en passant par Berlin et Budapest... et l'aujourd'hui très renommé, Café de Paris à Monaco.
=► Le Café Riche
Créé
par Madame Riche, transformé en restaurant de haut luxe par Louis
Bignon, il est racheté par les frères
Verdier
en 1894, déjà propriétaires de la
Maison Dorée
(voir son homologue dans le
tango en Espagne).
Le lieu, situé au 16 boulevard des Italiens, veut être l'endroit le plus cher de Paris. Siège des frères Goncourt, il est cité par Maupassant dans "Bel Ami", par Balzac dans "La Muse du département", par Emile Zola dans "La Curée", par Courteline dans "Messieurs les ronds-de-cuir", par Amin Maalouf, prix Goncourt et membre de l'Académie française, dans "Samarcande".
Tous ces auteurs
ont fréquenté ce lieu, mais plein d'autres également : Flaubert,
Baudelaire, Alexandre Dumas, des compositeurs comme Offenbach, des
explorateurs comme Ferdinand de Lesseps, etc...
Mais les soirées peuvent être autres que littéraires, voire très coquines au Café Riche : il y a de petits salons à l’étage où les femmes «… arrivent voilées, cachées, discrètes avec cette allure de mystère charmant qu’elles prennent en ces endroits où les voisinages et les rencontres sont suspects ». Là on parle d'aventures... entre gents riches. Mais c’est aussi une adresse pour les "Lorettes" du quartier, homologues des "Grisettes" fort citées dans le monde du tango, qui viennent soutirer l'argent des riches clients contre faveurs et "prestations". Leurs protecteurs fréquentent aussi le lieu....
Et bien sûr, en 1913, on y danse le tango !
Sur
l'extrait du menu de réveillon ci-contre on peut lire : "Tous
les soirs tango-soupers",
et en bas de l'image, "Tango
par les plus célèbres professeurs",
ceci impliquant que non seulement on y danse, mais qu'aussi on y
enseigne.
Mais tout est tango, et sur le menu du 31 décembre on peut lire sur cette
même carte, au niveau des desserts :
"
Glace Tango
- Petits fours - Corbeille de fruit ".
Ce lieu de prestige fermera en 1916
Fréquenté par les très riches argentins de Paris, ce fut là que fut organisé une interview de la célèbre danseuse argentine nommée... "La Argentina" pour le magazine espagnol Mundo grafico. Nul doute que la célébrité mondiale de ce haut lieu de la vie parisienne, littéraire et nocturne, ait participé au rayonnement de la nouvelle image du tango dans le monde.
6. La réaction de l'Eglise, la guerre de 14/18
La réaction de l'Eglise
L'Eglise,
qui s'était contentée de laisser faire tout en critiquant la nouvelle mode,
va soudainement, alors que le tango s'est nettement assagi, partir en
guerre contre le tango, plus particulièrement en France. Quelle en était la
motivation ? A voir le déchainement des évêques de l'époque, on peut se
le demander. Le tango n'aurait-il été qu'un prétexte à une revanche de l'Eglise
contre l'Etat laïc ? L'hypothèse est d'autant plus séduisante que les blessures
et les violences dues à la loi de 1905 sur la laïcité, sont encore toutes
fraiches, et que l'on retrouve un peu la même séparation idéologique entre
partisans et adversaires de cette loi, et les "pour ou contre" le tango...
Contrairement à une légende, au demeurant fort diffusée, aucun Pape jusqu'à aujourd'hui, ne s'est jamais publiquement mêlé à cette affaire ; pas plus qu'il n'existe la moindre trace historique d'une quelconque démonstration d'un quelconque danseur de tango devant un Pape ou un autre...
En partie grâce à l'auteur de ce site, les choses ont changé, exactement un siècle plus tard, en décembre 2014, le Pape François prenant officiellement position en faveur du tango.
Toute cette histoire, véritablement passionnante est relatée ici, sur une page dédiée, de ce site.
A noter que cette hostilité, fin 1913 et début 1914, s'était étendue dans toute l'Europe, et même aux Etats-Unis et au Canada.
Dans le journal La Tribuna Illustrata du 18-25 Janvier 1914 (collection D. Lescarret), on peut lire : "la crociata contra il tango in America : I vescolv di Filadelfia prima di pronunziarsi, assistono a la danza y la proscrivono", c'est-à dire, "la croisade contre le tango en Amérique : l'évêque de Philadelphie, avant de se prononcer, assiste à la danse, et la proscrit".
Le Tango survit pendant la guerre
La guerre allait-elle tuer l'essor du tango renaissant ? Tout portait à le croire. D'abord les Argentins qui l'avaient amené à Paris et qui y vivaient une grande partie de l'année, retournèrent tous dans leur pays. Ensuite l'heure n'était guère aux réjouissances et divertissements, l'Etat ayant réglementé la chose, en interdisant les bals et autres réunions dansantes, dès le 1er Aout 1914, promulguant simultanément les ordres de mobilisation et en déclarant l'état de siège.
Mais danser fait partie de la vie, et des bals furent organisés plus tard, pendant la guerre pour distraire et remonter le moral des permissionnaires, les hommes sur le front allant même jusqu'à danser entre eux, durant leurs rares moments de repos.
Et puis, il y a les riches... à l'abri et loin du front... Pour les plus pauvres, quelques petits bals clandestins, surtout dans les campagnes, réunissaient femmes, vieillards et enfants... mais on n'y dansait pas le tango...
La
vie mondaine est descendue de Paris vers Nice, mais Deauville accueille
encore quelques irréductibles. C'est également le lieu de repos des troupes
Anglaises et Ecossaises. Lisons ce témoignage étonnant, tiré de "L'époque
Tango tome 2, le Bonnet Rose, La vie mondaine pendant la guerre - Georges-Michel
- 1920 :
"On danse pourtant le tango à Deauville. Mais il faut se lever à cinq heures du matin pour voir cela, en plein air, en plein jour, sur la plage. A cette heure matinale, tout le camp anglais, qui vit sur la colline, descend en costumes de higllanciers sur le sable et prend son quotidien bain de mer. La plupart sont des convalescents. Et pour « la réaction », au lieu de boire l’apéritif, ils dansent, entre eux. Et ils dansent quoi ? Horror ingens [comble de l’horreur] : le tango, le subversif tango joué par le bag-piper de la compagnie. Ah ! sur cette plage normande, dans le petit matin, cet air argentin beuglé par un instrument d'Ecosse, devant cinquante couples masculins en peignoirs, ou une serviette jetée sur les épaules... Un pas en avant, deux pas en arrière... C'est le tango, tango de guerre, tango triste, malgré les jeunes figures rieuses de toutes leurs longues dents britanniques !..."
Le tango s'invite aussi, dans la propagande de guerre, ci-dessous côté allemand, ces derniers se promettant d'aller le danser jusqu'à Londres... A droite cette caricature met en scène les deux empereurs autrichien et allemand dans un dernier tango.
Cartes postales collection D. Lescarret
Cette
sombre page de l'histoire allait servir d'inspiration à plusieurs tangos,
dont les plus célèbres sont
El Marne,
d'Edouardo Arolas en 1918, et plus tard
Silencio
de
Carlos Gardel,
qui en écrivit la musique, et l'enregistra en 1933.
"...Un clarín se oye, peligra la Patria, y al grito de guerra los hombres se matan, cubriendo de sangre los campos de Francia..." "...Un clairon retentit, la Patrie est en danger, et dans un cri de guerre les hommes s'entretuent, recouvrant de sang les champs de France..."
A
noter que les hommes, même au front, dansaient entre-eux, pendant leurs
rares moments de repos, et ce quel que soit le camp, et dans tous les pays
: pour en savoir plus, quelques photos et citations
sur cette page.
Le peuple argentin, comme les uruguayens, furent solidaires de la France, malgré la neutralité choisie par ces deux pays, et beaucoup envoyèrent de l'argent. Certains s'engagèrent dès 1914 et devinrent des héros, comme Vicente Almandos Almonacid ; les américains attendirent jusqu'en avril 1917... et en attendant, dansaient le tango, comme on peut le voir sur ces deux cartes postales envoyées en 1917...
Cartes postales
collection D. Lescarret
7. L'influence sur le style du passage à Paris et retour en Argentine
L'influence de la danse Apache
S'il est bien une population parisienne qui impressionna les premiers argentins arrivés sur Paris, c'est celle des Apaches. Ce nom, apparu en 1900, désignait les bandes qui sévissaient dans la capitale en particulier à Montmartre, où on les appelait les Loups de la Butte. D'une violence et d'une sauvagerie sans nom, ils disparurent au début de la guerre où on les envoya immédiatement en première ligne, vu leur efficacité... et aussi pour s'en débarrasser.
L'appartenance
à une certaine classe sociale, la ressemblance de style, voire vestimentaire avec les
Compadritos
était évidente, comme une façon de vivre
en marge de la société. La différence fondamentale était dans la pratique
courante des meurtres et agressions, y compris envers la police, caractéristique
des truands parisiens et quasi inexistante chez les compadritos.
Restait la danse. La prostitution dans le milieu de la danse au début du tango était
surtout le fait d'hommes seuls (souvent des français) "soutenant" une femme
(souvent la sienne), voire une seconde. Rien à voir avec l'abattage pratiqué
par la
Swi Migdal, celle-ci étant bien loin de la naissance et de la pratique du tango.
Et si rarement le compadrito était souteneur, rien ne nous est parvenu d'une
quelconque forme de domination violente de l'homme sur la femme. Par contre
c'était une des caractéristiques principale des rapports hommes-femmes dans
le monde des Apaches. Il n'est pas impossible que les argentins, fortement
impressionnés par ce style et ces comportements, n'aient pas copié quelque
peu leurs modèles parisiens dans la symbolique de leur danse.
Musicalement, plusieurs tangos y font référence, dont le plus célèbre fut intitulé... "
El Apache Argentino
".
Mistinguett, avec la Valse Chaloupée, en réalité une danse Apache qui ne pouvait porter son nom vu le public concerné, avait ouvert la voie dans sa revue, et elle avait tout naturellement continué avec le tango.
De même
pour la façon de danser, le style de la danse Apache d'origine (pas celle
très caricaturale montrée par le cinéma américain) insistait sur une style d'abrazo
avec le haut du corps, le reste de celui-ci restant très en retrait, sorte
d'apilado
très fortement accentué.
Il n'est pas impossible que ceci ait
eu une influence sur certaines formes d'abrazo à Buenos Aires. N'oublions
pas, comme l'a signalé
Vincente Rossi
que depuis les origines, et comme
à Montevideo "on y dansait français" et que l'on y copiait la
moindre chose en provenance de Paris...
De la même manière, il n'est pas impossible que cette façon de danser ait influencé le Chamame, la "Polka corriente", car si la musique est incontestablement un mélange entre polkas, mazurkas, valses et mélodies Guarani, la notion de danse de couple fut dans cette province, importée d'Europe et assez tard. Ci-dessous un extrait du plus vieux film sur la Danse Apache, datant de 1902, et quelques pas exécutés par deux spécialistes du Chamame de Corrientes, que nous remercions.
La corrélation en termes d'attitudes, tour sous le bras compris, est troublante, mais en l'absence de documents et témoignages, ceci ne peut pris que comme une remarque et une hypothèse, et non comme une affirmation historique...
Par contre l'influence de la Danse Apache sur le Lindy Hop est tout à fait certaine, une des plus communes des figures de base du Lindy portant le nom... d'Apache, parfois rebaptisée Texas Tommy.
Un tango "pasteurisé"
Quelle
était la forme des premiers tangos dansés, arrivés à Paris ? Si on constate
que ce sont des aristocrates qui l'ont amené, il n'existe que deux explications
possibles : soit, et l'écart historique le valide, ils avaient fait partie
vingt ou trente ans plus tôt des "patotas"
de "ninos mal
de familia bien"
qui avaient hanté les lieux de perdition de Buenos Aires et dansé le tango,
et qui se souvenaient de la danse de leur jeunesse ; soit ils avaient continué
à pratiquer dans les bordels de luxe où les hommes de la haute société de
l'époque avaient l'habitude d'aller. Dans les deux cas, et
les deux avaient pu coexister, le style du tango
était sûrement très "chaud".
C'est sûrement ce
côté "caliente" qui séduisit tous ceux... que le scandale attirait, et comme
on l'a vu plus haut, essentiellement dans une classe richissime et avide
d'exotisme et de sensations fortes. Restait à convaincre les plus hésitants.
Ce fut essentiellement le travail des professeurs de danse, qui "réglementèrent", en quelque sorte, la danse, faisant la part de ce qui était acceptable, de ce qui ne l'était pas. Le Corte se limita à un arrêt ou à une suspension, sans plus, et la Quebrada a une simple génuflexion, symétrique cavalier-cavalière. Il fallait danser "comme il faut" pour convaincre le maximum de personnes susceptibles de prendre des cours de danse (on notera qu'il en fut de même lors de la vulgarisation de la Salsa Cubaine en France, certaines figures très chaude, ayant quasiment disparu des programmes d'enseignement).
L'abrazo fortement encastré, main sur la fesse de la cavalière, le corps du cavalier penché en avant, et le guidage joue-à-joue et cuisse du cavalier entre les cuisses de la cavalière, furent remplacés par des corps plus droits et quelque peu plus distants.
Le tango "comme il faut" pouvait partir à la conquête du monde.
L'introduction de la marche
Si
aujourd'hui nombre d'enseignants professent que le tango c'est d'abord et
avant tout de la marche (même si faire plus de deux pas d'affilée, relève
de l'exploit dans une milonga, et que la grande majorité des milongueros
de Buenos Aires, marchent comme leur a appris leur maman...), la marche,
telle qu'on la conçoit aujourd'hui n'existe pas dans le tango qui arrive
à Paris, et si on fait quelques pas en avant on les enchaîne avec le
même nombre en arrière, comme cela est expliqué en 1911 dans la méthode
du
professeur Robert
(ci-contre), sachant que le fox-trot est déjà présent, et mentionné dans
le fascicule... En 1905, point de marche...
Déjà les voyageurs, premiers témoins des débuts du tango en Argentine, parlaient d'une danse quasi sur place, et partant dans tous les sens. La Kizomba, véritable photographie du tango des origines en Uruguay, émigré au Brésil, et transporté en Angola, d'une colonie à l'autre par les Portugais, présente la même base rythmique, phrase musicale en huit temps, rythme de la habanera, et la présence du fameux déboité (Salida dans le tango argentin, Saida en portugais dans la Kiz), mais il n'y a point de marche ni de circulation dans le bal.
Les premiers ouvrages publiés en Europe, pour apprendre, sont éloquents sur le sujet : il fallait effectuer de véritables "sacs de nœuds" sur place, on se demande comment on pouvait apprendre avec ça. La marche quand elle existait, était professée en avant et également en remontant une ligne de danse quasi inexistante, avec préconisation de commencer par quatre pas, parfois six... au bon gré et à l'inspiration des professeurs, et sous l'influence du One Step.
Parmi les ouvrages de cours, un des plus précis et sûrement le plus beau et le plus luxueux, est édité en Italie, en 1914.
Il s'agit de Balli d'Oggi ( images ci-dessous collection D. Lescarret)
Extrait d'ouvrage de la collection D. Lescarret
Mais très vite, la petite révolution qui venait d'arriver, le One Step, allait introduire la ligne de danse et la circulation dans le bal. En fait c'était de la marche tout simplement sur les temps forts de la musique. Peu de temps après allait en arriver la suite logique, le Two Step, ce qui dans la version tango donna la marche avec un contretemps. Cette révolution apparait dès 1913, soulignée en particulier dans l'ouvrage The Tango and how to dance it, paru à Londres, de Gladys Beattie Crozier. En 1914, J.S. Hopkins, aidé par les Castles venus de Paris, commence son ouvrage de cours sur le tango, avec un cours sur le One Step... Les Castles reprirent exactement la même approche dans leur ouvrage Modern dancing de 1914 (tous ces livres sont disponibles sur demande chez l'auteur de ce site, pour les historiens et leurs recherches).
La
marche était intégrée au tango, ce que
Nicanor Lima,
premier auteur argentin, d'une méthode d'apprentissage du tango entérina
dans son ouvrage paru en 1916 à Buenos Aires, "
El tango argentino
". Même si certains historiens très nationalistes s'en défendent, il s'agit
très probablement du "
Tango de Paris
" ramené par les aristocrates argentins, et par tous ceux qui s'étaient
rapatriés, fuyant la guerre. La publication d'un tel ouvrage avant la "
tangomania argentine ", serait parue hautement improbable. Nous détaillerons
le pourquoi dans le paragraphe suivant : le retour en Argentine.
Deux autres révolutions allaient influencer le tango : le Tango brésilien, et l'arrivée de la Valse lente. Le Tango brésilien, ou Maxixe, en guerre au début du siècle avec le tango argentin avait perdu la bataille, défaite entérinée par la reconversion du célèbre professeur de l'époque " le Duque ". Mais il en restera quelque chose, et encore aujourd'hui : la position de la cavalière, dos au cavalier, utilisée (surtout en démonstration) principalement dans la valse. Et la Valse lente arrive avec quelques figures caractéristiques, les balancés et les suspensions. Elle va ralentir les autres danses, le tango compris. Il est également fort probable que ce soit la Valse qui ait introduit dans le tango les fermetures à droite (fin de salida) et à gauche, et peut-être encore de façon nettement plus antérieure, et cette fois-ci directement à Montevideo et Buenos Aires des figures comme "baldosa", caractéristique de la milonga... Ce qui est certain, c'est que le fameux croisé de la cavalière dans la figure nommée Salida, n'est autre que le croisé de la valse française ou viennoise, à gauche.
Enfin, pure création locale, et spécifique du tango parisien : la marche en miroir. Celle-ci ne sera pas reprise par les argentins, mais subsiste dans le " tango américain " dont on dit qu'il est une photographie du tango de Paris du début du XXème siècle. Il n'en reste généralement qu'un pas utilisé en sortie de figure, ce qui le fait appeler par certains "sortie américaine" (?!) alors que si on voulait faire référence à son origine, on devrait l'appeler "sortie à la française".
A gauche la position
issue de la Maxixe, Bianchi 1914 - Au centre la position miroir, jambes
intérieures en avant, illustrateur Bianchi - A droite la position miroir
jambes extérieures en avant, illustrateur Sharpa
Cartes postales collection D. Lescarret
Les répercussions en Argentine
Sur l'influence de la tangomania à Paris, sur le tango à Buenos Aires, les nationalismes et les historiens s'affrontent. D'un côté, et c'était jusqu'à une époque récente communément admis, certains disent que sans la France le tango serait mort en Argentine, d'autres nuancent fortement ce propos. Comme toujours la vérité est probablement plus nuancée, comportant des éléments propres aux deux points de vue antagonistes.
Qu'en
était-il du développement et de l'acceptation de la danse en 1910-1913,
en Argentine ? Le tango avait quitté les faubourgs pour intégrer le centre-ville,
mais s'il connaissait un vif succès musical dans les cafés, dans nombre
de ceux-ci on ne dansait pas. Descendant des
pulperias,
le tango y était joué en alternance avec les chansons des
payadors.
Quelques noms de lieux ont traversé l'histoire, comme celui de l'Almacen
Suizo, près
d'Abasto, ou celui de
Garibotto,
un peu plus loin (San Luis et Pueyrredón).
Juan « Pacho » Maglio,
célèbre pour son enregistrement réalisé un peu plus tard de
La Paloma,
fréquentait assidument cet endroit. Le
café El Nacional,
sur Corrientes, proposa dès son ouverture en 1916, des orchestres de
tango, dont un exclusivement composé de femmes. Il est resté célèbre
sous le nom de la
Catedral del tango.
Il restera ouvert jusqu'en 1952. Dans d'autres cafés, par contre, une arrière
salle, souvent clandestine abritait les danseurs. Dans une troisième catégorie,
ayant tendance à se restreindre laissant la place à des "confiterias"
plus ou moins réputées, quelques chambres accueillantes étaient proposées
à l'étage. Enfin, plus respectables, commençaient à fleurir dans le centre
des "
Salons de baile ". En fait tout existait autour du mot tango : acceptation,
intérêt culturel, intégration d'une clientèle classique, et à l'inverse,
débauche et lubricité.
Mais le tango indubitablement, gagnait du terrain, la musique étant globalement en phase d'acceptation, la danse toujours en butte à une certaine partie de la population fortement réactionnaire vis-à-vis d'elle.
Dans une tout autre catégorie de la population, les hommes de pouvoir ou les possédants, avaient gardé l'habitude de fréquenter les bordels, ce qui n'était guère inhabituel et choquant à l'époque. Mais deux conditions restaient impératives à cette pratique : bordels de luxe bien évidemment, et une certaine discrétion, très hypocrite, vis-à-vis du reste de la société.
Le tango en Argentine avançait donc sur plusieurs fronts, lentement mais sûrement, la musique précédant l'acceptation de la danse, les premiers enregistrements comme celui des tangos Rosendo et Don Juan, en 1910 par Vicente Greco aidant à sa vulgarisation. On peut situer aux environs de cette année-là l'apparition des premiers " orquesta tipica criolla ".
Concernant la danse, et comme on a pu le voir, les membres fortunés de l'aristocratie portègne, passaient une bonne partie de leur temps à Paris. On peut donc supposer, chose que tout un chacun a vécu en vacances au bout du monde où on se permet des choses que l'on ne fait pas chez soi, que ces personnages aient pu "oser" une pratique publique à Paris, chose qu'ils auraient difficilement envisagé chez eux. On peut supposer aussi, qu'ils ne présentèrent pas en public leurs versions les plus "débridées". N'oublions pas, que les argentins fortunés étaient considérés comme des notables, et que leurs moindres faits et gestes étaient immédiatement relatés dans les journaux. L'enthousiasme des parisiens, servit de déclencheur à une affirmation publique de leurs pratiques dansantes dans leur propre pays (d'autant plus que le tango ramené était nettement assagi, donc plus acceptable). Pour cette frange de la population qui commençait lentement une sorte de "coming out" de la pratique de la danse, Paris donna, sans doute, un certain " coup d'accélérateur ".
La France n'avait pas déclenché la reprise du tango en tant que musique en argentine, mais avait sûrement servi d'alibi pour que le tango dansé s'affiche au grand jour, et avait accéléré la transition. L'alibi se transforma ensuite en mode, celle des cabarets, des lieux et dancing, répliques de ceux de Paris, du luxe et du champagne associés au tango.
Ainsi,
le fameux bal organisé par le
Baron de Marchi,
eut lieu dans la réplique du
Palais de Glace
de Paris, et un des premiers lieux de tango, l'Armenonville,
avait été baptisé en référence à l'établissement chic du Bois de Boulogne à Paris. Ont suivi
une multitude de cabarets aux noms français :
Ba-ta-clan
(qui avait impressionné l'équipage de la
Sarmiento lors du passage de la frégate
en France),
Casino-Pigall,
Côte d'Azur,
l'Elysée,
les Folies-bergère,
Maipu Pigall,
Maxim,
Montmartre,
Moulin Rouge,
le Paris, le Petit Parisien,
le Sans-souci,
le Tabarin,
le Trocadero,
etc...
Ci-dessus l'Armenonville de BA : " le meilleur endroit pour l'été et les familles, diners et concerts, terrasses et jardins ".
La France était alors, incontestablement la référence absolue, mais ce n'était pas nouveau, déjà à la fin du siècle précédant, Buenos Aires copiait Paris et ses établissements : n'oublions pas que le café le plus célèbre d'Argentione, le Café Tortoni, avait été ainsi nommé en référence au non moins célèbre, Café Tortoni de Paris, boulevard des italiens.
Ci-dessous, deux photographies du magnifique Sans Souci de Buenos Aires, en référence au cabaret de Paris devenu ensuite le " Jardin de ma soeur " du frère d'André Citroën. Il est toujours ouvert aujourd'hui, transformé en lieu de réception de prestige. En 1911, les frères Carlos María, Josefina et Elisa de Alvear, mariés respectivement à Mercedes Elortondo, Matías Errázuriz et Ernesto Bosch, se sont rendus à Paris, à la recherche de quelqu'un qui concevrait leurs résidences. Les trois époux choisissent l'architecte en vogue : René Sergent, considéré comme le meilleur de l'époque dans le style néoclassique et versaillais. L'éminent architecte français a également construit le Palais Bosch dans la ville de Buenos Aires , où se trouve la résidence officielle de l'ambassadeur des États-Unis, et le Palais Errázuriz, aujourd'hui musée des arts décoratifs.
Créé un peu plus tard, et ci-dessous, le Chantecler, fondé par Amadeo Garesio, originaire de Corse, débarqué à Buenos Aires en 1923, venant de Marseille à bord du Mendoza, de la Société Générale de Transports Maritimes - SGTM.
Inauguré en 1924, il deviendra en 1930 le cabaret " Vieux Paris "
Et le célèbre Palais de Glace de Buenos Aires, aujourd'hui transformé en lieu d'expositions artistiques :
Photographies originales D. Lescarret 2015
8. Conclusion - Bibliographie
Et que peut-on retenir succinctement de cette présentation ? D'abord que le tango à Paris a été un phénomène important qui laissa une trace dans l'évolution du tango, quasi exclusivement dans la danse, même si de nombreux tangos prirent pour thème, ou citèrent, Paris et principalement Montmartre.
Ensuite, et on le verra confirmé dans les pages sur les Années Folles, que la fameuse "tangomania" parisienne, n'a touché qu'une très faible partie de la population, principalement des classes dites supérieures et la noblesse européenne. Mais comme toujours, et en particulier à cette époque, si les journaux mentionnaient la moindre présence ou le moindre déplacement des personnes haut placées, le peuple ordinaire ne bénéficiait pas de tels relais explicitant leur mode de vie. Il y avait en fait, infiniment plus de danseurs de polkas et de musette que de danseurs de tango durant cette période, et l'époque fut peut-être "belle" pour certains, mais c'était aussi celle de la grande misère de la classe ouvrière... population bien éloignée de la mode tango...
Enfin, ce sont les argentins fortunés qui ont amené le tango à Paris, suivis par les musiciens venus d'outre atlantique, et ce sont les mêmes qui ont ramené une version édulcorée de la danse. Entamé dès 1912, ce processus subit une forte accélération avec le retour de toute la colonie argentine de Paris, au début de la guerre de 14-18. Pour la petite histoire, ce retour fut accompagné par de nombreuses "cocotes" parisiennes qui partirent hanter les cabarets de Buenos Aires.
Paris n'a pas "créé" l'engouement pour la danse tango à Buenos Aires, mais les populations d'argentins qui ont fait l'aller et retour (parfois de nombreux allers-retours) ont fortement accéléré le mouvement d'acceptation et de popularisation à Buenos Aires, mouvement déjà en marche, et ce d'autant plus que la danse qu'ils rapportaient avait été rendue "respectable"... Et comme on copiait à cette époque tout ce qui venait de Paris, idées politiques, architecture, mode, parfums, et même la cuisine, (de multiples restaurants, tradition aujourd'hui quasiment disparue, proposaient alors de la cuisine alsacienne, normande ou lyonnaise à Buenos Aires)...
Du tango Buenos Aires était devenue la mère, et Paris la fiancée, mais ce n'était pas fini...
Extraits Bibliographiques :
- Le Vice errant - Jean Lorrain / ed Ollendorff / Paris 1902
- Jouir - Paul Margueritte / Flammarion / Paris 1918
- L'époque Tango - Michel Georges Michel / Paris "l'Edition" 1920
- La vie à Deauville - Michel Georges Michel / Flammarion Paris 1922
- Cuatro conferencias - Jorge Luis Borges 1965 / éditées en 2016 par Lumen, Espagne
- La Historia del Tango en Paris - Enrique Cadicamo / Corregidor 1975
- El libro del Tango - Tomes 1 - Horacio Ferrer / Publicaciones reunidas
- Barcelone 1980
- Le Tango - Horacio Salas / Editorial Planeta - Buenos Aires 1986
- Jean Richepin y el tango argentino en Parίs en 1913 - Guillermo Gasió / Corregidor - Buenos Aires 1999
- Buenos Aires Los cafés vol 1,2 et3 - A.Delpino, E.Longo, E.Himshoot, A.Ostuni / Librerias Tutistica - Buenos Aires 1999
- Mis memorias (nouvelle édition) - Francisco Canaro / Corregidor - Buenos Aires 1999
- Nueva historia del tango - Héctor Benedetti - Siglo veintiuno editions, Buenos Aires 2015
et d'autres encore...
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