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A travers les siècles, la Sarmiento

Les amis qui ont mené à terme cette œuvre me font l’honneur de me demander d’en écrire une préface. Ils savent que je suis un passionné de la Sarmiento et peut-être m’ont-ils entendu dire quelques fois qu’il était temps de réunir dans un livre la matière première nécessaire pour écrire son histoire.

Ma passion pour la frégate école que je suppose être aussi celle de tous les argentins, fut une fois à l’origine d’une curieuse réflexion, qui me laissa perplexe : « On peut dire la même chose de tous les bateaux destinés à la même fonction dans beaucoup de pays » Je ne sus quoi répondre. Toutefois il me semble que l’on aime ses enfants et que l’on en prend soin sans penser à ce que ressentent et font les autres parents avec leurs propres enfants.

Je parle du bateau originel qui par définition est « le bateau de l’avenir » de notre patrie et je me rappelle la scène de sa première sortie en mer comme si c’était hier. Il était sous le haut commandement de Betbeder, plus tard ministre de la marine. Un bon début pour les voyages suivants. Le général Roca et le commodore Rivadavia assistèrent à son départ, plein d’émotion. Cette séparation, à laquelle nous n’étions pas habitués, apparut pour beaucoup un déchirement. Surtout pour les familles des cadets qui pleuraient la séparation et se retrouvaient face à l’inconnu. La nation livrait à la furie des océans cette élite de valeureux jeunes hommes, avec les espoirs et les vœux de sa terre et des siens.

Ensuite les voyages se normalisèrent et l’habitude humanisa le drame de chaque départ. Les chroniques qui arrivaient de toute part pendant que la Sarmiento parcourait le monde de port en port, étaient plus que réconfortantes, signes de l’accueil chaleureux qu’il méritait et des impressions sympathiques qu’il laissait. Tsars, empereurs et rois qui ne sont plus de ce monde montèrent à son bord. Nos officiers étaient reçus avec les honneurs appropriés dans les palais gouvernementaux se conduisant de façon exemplaire et en excellents diplomates. Les cadets, formés à la lutte et aux difficultés de la mer, vêtus de costume de gala se transformaient en hommes du monde dans les salons. La formation se complète ainsi, par l’action des éléments, entre les vagues et les étoiles, et par l’action de la sociabilité et du contact avec les grandes civilisations, pendant que les petits poèmes se composent au contact de ces populations animées qui vivent tournées vers la mer mais éloignées des grands courants de la vie.

Tout comme passent les années, et se renouvellent sans cesse les itinéraires la « Sarmiento » est un concentré de notre histoire et de l’histoire universelle des quarante dernières années. En elle a germé et s’est développé l’armée argentine. Les enfants devinrent des hommes et les cadets devinrent des amiraux, aux commandes des grands navires, approfondissant l’étude de la mer, face aux grandes administrations, jusqu’au bureau du ministère et dans les situations d’honneurs, de travail ou de danger ils démontrèrent leur capacité et leur destin propre. La Sarmiento est un symbole, un berceau une école, une scène de luttes et un centre d’essai du caractère et de l’intelligence des aspirants qui passent par elle, les empreignant du souvenir de ses vertus et de ses capacités, c’est déjà difficile de se conformer à telle société et de telle manière , si l’âme n’est pas mise en adéquation avec les tendances et aspirations qui constituent le credo de l’école flottante.

Cette école survivra. La frégate Sarmiento existera toujours. Le jour où une frégate Sarmiento ne pourra plus naviguer, une autre prendra sa place, avec la même histoire, avec le même drapeau, avec le même nom. La liste de ses campagnes est trop glorieuse pour que le pays consente à l’interrompre. Les relations qu’elle a tissées dans le monde sont telles qu’on ne pourra jamais y renoncer. Les vieux marins dans les ports lointains demanderaient des nouvelles du bateau école au drapeau bleu et blanc, des chefs et officiers si experts et accomplis et des grands gaillards des équipages, intelligents et volontaires, portant chacun en eux la promesse d’un amiral, jusqu’aux vents , vagues et étoiles finiraient par sentir son absence après l’avoir cherchée dans tous les coins. La Sarmiento parcourra encore les mers après avoir réalisé le vœu formidable de l’homme de génie qui porte son nom. Cent millions d’argentins, fils de nos fils, jusqu’à la centième génération et le bateau déployant sous le ciel étoilé, éternellement le drapeau argentin. A travers les siècles la Sarmiento.

Traduction Patricia Bessac